Il était tôt. Mais vraiment TRES tôt. En fait, Martha s'était réveillée à trois heures du matin à cause d'un cauchemar et avait juste simplement décidé de ne pas se rendormir. Il était inutile qu'elle s'acharne à replonger dans les songes où la voix de son père l'obligeait à agir à l'encontre de sa volonté. Non, pour quelqu'un d'aussi fier que Martha Ludwig, ce n'était même pas concevable.
Elle avait donc décidé d'aller à la piscine pour se changer les idées. Le temps de se préparer, de claquer la porte de chez elle suffisamment fort pour réveiller ses idiots de parents et se rendre dans le bassin, il devait être aux alentours de quatre heure trente du matin lorsque Martha décida de faire la planche au milieu du petit bassin. L'eau y était largement plus chaude que dans le grand bain et la dixième représentante d'Astria pouvait largement profiter du moment présent, seule et confortablement installée.

Seule ou pas. Bizarrement, Martha avait l'impression qu'une seconde personne se trouvait là. Tant pis, il n'y avait pas de quoi interrompre sa méditation. Tant qu'on ne viendrait pas la déranger, tout irait bien. Après tout, qui irait embêter une Astria flottante à moins de cinq heure du matin ? Ca devait sûrement être un élève un peu fanatique de la natation qui ne tarderait pas à faire des longueurs comme un débile pendant une heure ou deux.

Cependant, bien que le temps passait, Martha n'entendait pas le bruit de l'eau. Intriguée, le chewing-gum releva la tête, cessant son activité reposante. La tignasse aussi rose que la sienne qui se trouvait en face semblait lui dire quelque chose. Où avait elle bien pu rencontrer une autre fille avec des couettes roses... Une réminiscence de la scène de son entrée à Astria perça dans l'esprit de la demoiselle. C'était la petite dernière ! Elle n'avait que de vagues souvenirs car elle s'était contentée de se curer les ongles pendant la moitié de la réunion, mais elle se souvenait de la touffe en bataille de son "alliée". Un cri s'éleva de la gorge de Martha tandis qu'elle s'approchait du rebord du bassin au petit trot pour saluer son homologue rose-bonbon.

"Laureen ! Tu viens me rejoindre ? Viens, il n'y a personne, on va discuter un peu !"

Oui, "discuter"... Si elle pouvait également s'attirer les bonnes faveurs de la demoiselle, ça ne la dérangerait pas. Elle avait déjà en tête tous les arguments pour l'attirer dans ses filets. ou pas.

C’est que Laureen avait remarqué la tignasse d’un rose plus soutenu que le sien. Une de ses mèches entre les doigts, elle s’éloigna prestement du petit bassin, espérant que Martha Ludwig ne l’aurait pas remarquée. Ce n’est pas que... Si, en fait, évidemment, Laureen avait une peur bleue de ce que pourrait être une confrontation avec son aînée. Elle ne se sentait pas de taille à subir les assauts énergiques de numéro dix. Pourtant, Laureen appréciait sans doute Martha plus qu’elle ne la fuyait. Elle était sans aucun doute la plus je-m’en-foutiste de la Team, et Laureen, en digne représentante du mouvement, était ravie de voir la mine peu concernée de Martha pendant leurs réunions ultra-sélectes. Et puis, contrairement à elle, Martha était si dynamique que les yeux de Laureen étaient piquants à force de bouger en tous sens pour la suivre.

Mais à trois heures du matin, Martha serait probablement sur les nerfs et Laureen n’avait pas du tout envie de servir de punching-ball, si bien qu’elle se faufila le plus silencieusement possible vers le grand bassin, dans l’optique de faire quelques longueurs. D’ailleurs, que faisait-il si tôt dans un endroit si humide? Elle qui détestait l’eau sans doute plus qu’un pauvre Racaillou, venir si tôt dans un endroit qu’elle devrait haïr, était-elle réellement bien consciente? Oui et non. Certes, sa haine de l’eau pouvait presque être considérée comme une phobie, mais Laureen ne voulait avoir aucune faiblesse. Alors, depuis deux semaines, elle se rendait à la piscine, tôt le matin, à l’aube, ou bien tard dans la nuit, afin que personne ne voie qu’elle... ne savait pas nager. Un comble, pour une villageoise de Pacifiville, mais depuis son plus jeune âge, elle exécrait l’eau et n’avait donc jamais mis plus d’un orteil à l’intérieur. Ici, c’était différent, il fallait qu’elle se donne tous les moyens de réussir, et pour l’instant, ne pas savoir nager représentait un risque majeur. Du moins le pensait-elle.

Hélas, en passant devant Martha, Laureen sentit un os de sa cheville craquer. Aucun risque pour que, dans le silence presque divin de la piscine, Martha ne l’ait pas entendue. Effectivement, levant le nez de la cheville traître, Laureen croisa son regard posé sur elle.

« Laureen! Tu viens me rejoindre? Viens, il n'y a personne, on va discuter un peu! »

Laureen secoua la tête, un peu perdue, et resserra la queue de cheval qui pendait dans son dos. Elle tira sur son maillot de bain une pièce et s’avança vers le rebord du grand bassin. Elle s’assit, les jambes dans l’eau. Brr, elle était froide.

« Martha, quelle bonne surprise, récita-t-elle. Les nouvelles sont bonnes? »

Numéro douze conservait son calme. Après tout, c’est pour ses traits insondables qu’elle fait malheur dans la Team.

Le déroulement des opérations commençait bien, Martha avait pu commencer une discussion sans trop de problème avec la statue inexpressive qui se trouvait devant elle. En parlant de ne pas bouger, il n'y avait pas moyen que ça dure toute la matinée. Au nom de sa réputation, Martha jurait de faire rire cette petite poupée ou de la faire rager de colère au moins une fois ! Et pour ça, l'aînée du duo ne manquait pas d'idées toutes plus farfelues les unes que les autres... Que la pauvre Laureen risquait sans aucun doute de découvrir à ses risques et périls.

En attendant, la championne de l'arène Roche faisait dans le social. Ou dans l'hypocrisie pour les susceptibles. Souriant sur les propos pourtant bateau de son vis-à-vis, elle émit un petit rire discret avant de répondre sur un ton presque enjoué. Lui demander à elle s'il y avait des nouvelles, c'était déjà un peu mort, mais s'il fallait en plus savoir si les nouvelles étaient bonnes, ça devait à peu près revenir à demander à un végétarien la qualité de la viande d'une boucherie.

"Si tu savais ! Les nouvelles sont vraiment excellentes ! Je projette d'accroître la popularité de Narcissus avec un coup de théâtre formidable et même d'ouvrir mon arène. Oui, je sais, il aurait fallu que je le fasse il y a longtemps, mais je ne me sentais pas encore prête... Maintenant, on va pouvoir bien s'amuser !"

Remarquant que sa cadette s'apprêtait à rentrer dans le terrifiant grand bain glacé, Martha se propulsa sur le rebord pour sortir rapidement. Sans crier garde, la jeune fille tira sa camarade vers l'arrière pour la dissuader. Tentant tant bien que mal de soulever la jeune fille afin de la forcer à aller dans le petit bain, Martha déploya des arguments plutôt convaincants.

"N'y va pas, l'eau est gelée là bas et on ne pourra plus parler ! Allez, viens avec moi dans le petit bain ou je serai obligée de te chatouiller jusqu'à la mort !"

Comme pour prouver sa détermination, la jeune femme fit une petite démonstration de sa punition en chatouillant les côtes de sa cadette. Attendant une réaction de sa part, Martha préféra ne pas penser au ridicule de la scène. Le plan guili-guili était pitoyable mais avait des chances de réussir. il ne fallait pas qu'elle le blâme aussi rapidement.

Lorsque Laureen avait parlé, elle avait fait attention à ce que ses propos restent vagues et que les réponses puissent être aussi vagues. Deux membres de la Team, au petit matin, dans un endroit public, évidemment, ça paraissait suspect, même si, réellement, Martha et Laureen ne s’étaient pas données de rendez-vous. Pas parce qu’elles n’avaient rien à dire, mais parce qu’entre Lilith qui ne disait jamais rien et Martha qui en faisait trop, les conversations menaçaient de n’aboutir que sur du vide. Aujourd’hui, et puisque c’est le destin qui les avait réunies, Laureen accepta fatalement la discussion, et l’amena même d’elle-même. Martha était après tout l’une des seule Astria à obtenir justice auprès de Laureen, de par sa franchise à toute épreuve et son caractère survolté. Tout ce qui ne ressemblait pas à Laureen, à dire vrai.

Elle se douta que quelque chose d’important allait se passer alors que, fortement surprise, elle entendit le rire le plus déplacé s’évader de Martha: c’était quelque chose de trop léger, un son trop doux, trop calme, qu’on n’aurait pu en aucun cas accorder à Moon. À moins que ce ne soit qu’un passage à vide, un répit avant une énième crise d’hystérie de son aînée, Laureen n’en savait rien, n’ayant pas suffisamment fréquenté Martha pour encore le deviner, mais elle était impatiente de cet échange.

Je projette d'accroître la popularité de Narcissus avec un coup de théâtre formidable. Je projette d’accroître la popularité de Narcissus avec un coup de théâtre formidable. Coincée dans un laïus pareil, cette petite phrase à l’allure anodine n’était pas innocente du tout. Ah non, si Martha parlait de Narcissus, de popularité et de, alertez les secours, “coup de théâtre formidable”, il y avait à parier que le cerveau de Martha était en pleine effervescence et qu’un évènement surnaturel allait bientôt avoir lieu dans l’enceinte de l’école. D’ici sous peu dans un futur proche.

Comme Laureen tentait de rentrer dans l’eau, elle entendit des bruits de pas saccadés, et puis tout alla très vite; elle se sentit projetée en arrière, accrochée presque douloureusement à la taille, et puis on tenta de la soulever. Évidemment, c’étaient les faits de Martha Ludwig, mais tout ça alla beaucoup trop vite au goût de Laureen, qui préférait prendre le temps de.

« N'y va pas, l'eau est gelée là-bas et on ne pourra plus parler! Allez, viens avec moi dans le petit bain ou je serai obligée de te chatouiller jusqu'à la mort! »

Surprise. Capteurs qui réagissent aux stimuli. Réflexe. Réflexes. Rire forcé, rire étouffé, rire gêné, Laureen se tord dans tous les sens, jusqu’à ce que Martha cesse. Le message d’alerte a parcouru son chemin jusqu’au cerveau: “Attention! Présence d’un corps étranger non identifié!”

« Mais- que- », souffla Laureen. Mieux valait ne pas en parler, finalement, tout ça était passé, ce n’était plus qu’un mauvais souvenir, oui. Oui oui. « Je viens, je viens », avoua-t-elle péniblement, en se relevant sur les genoux. Elle accompagna Martha jusqu’au petit bassin. De toute façon, elle n’aurait jamais osé barboter comme un enfant qui apprend à nager devant un membre de la Team. Devant n’importe qui, en fait.

« De quoi parlais-tu? Ce coup de théâtre? Ne concerne-t-il que les Narcisses? »

Oui, la curiosité de Laureen était piquée, et la démangeaison devait être apaisée.

La petite Laureen était encore plus bizarre qu'elle n'avait pu l'imaginer. Ce n'était ni un compliment ni un reproche, Laureen était juste... Bizarre. Elle riait, avait des réactions en apparence normales et humaines, mais avec un temps de réaction de poule asthmatique unijambiste. Martha s'était retenue par Narceus sait quel miracle de balancer la jeune guimauve dans le petit bain pour la réveiller un peu, se contentant juste de s'y jeter elle même dans un magnifique plongeon sans doute très proche du dernier saut d'un magicarpe empoisonné. Ne manquant pas de s'assurer qu'elle avait éclaboussé sa cadette, Martha ressorti sa tête de l'eau en secouant sa tignasse vers l'arrière. Lorsqu'elle entendit la question qui lui était destinée, elle ne put s'empêcher de sourire de toutes ses dents dans une attitude toute proche d'un démolosse face à un écrémeu. Joignant les mains dans un claquement qui aurait pu être sec si elle n'avait pas été dans une piscine, Martha entreprit de répondre, fortement amusée et pressée de proposer son petit défi à celle qui lui tenait compagnie.

"Allons, allons ! Ne pense pas que je vais te fournir tous les détails gratuitement ! Tu as le droit de me poser toutes les questions que tu veux bien évidemment, sauf celles qui sont dans l'idée de "dis moi tout". Pour chacune de tes questions, je te proposerai un prix à payer qui ira de manière croissante. Mon but sera bien sûr de te donner le moins d'informations possible afin de faire continuer le jeu un maximum de temps... Jusqu'à ce que tu craques en somme. Huhuhu ! Allez, on recommence, pose moi une question ! Le prix à payer pour la première réponse est : un câlin !"

Martha était toute contente de sa trouvaille. Les personnes introverties étaient les plus amusantes et de loin. Il était appréciable de savourer leur gène et leur pudeur... Il était donc bien évident que Martha pousserait le bouchon aussi loin que possible pour jouer avec cette petite poupée. Elle n'avait rien à y perdre de toute façon.

Martha éclaboussa le corps figé de Laureen. Ok, elle n’avait jamais été très réactive, mais là c’était carrément un glaçon dans son freezer. Bon sang, le soleil n’était même pas encore levé, elle avait encore le droit d’être plus ensommeillée que d’habitude! Comment pouvait-on plonger dans un bassin si peu profond, se demanda Lilith, sortant petit à petit de sa léthargie. Son atonie était toujours présente, loin de là. Seulement, doucement, la torpeur s’écaillait et Laureen retrouvait ses facultés à éprouver des émotions, et, plus important, à s’en servir.

Moon était dingue. Son sourire carnassier aurait fait frémir n’importe quelle créature un peu molle. Pour le coup, même Laureen se sentit gênée, mal à l’aise, comme si on l’avait plongé dans un bain glacé et qu’on lui demandait si ça lui plaisait, sincèrement. Comment dire non à un sourire aussi franc? Martha tapa des mains et une goutte d’eau se retrouva sur la joue de Laureen, juste sous son œil droit. Laureen était encore debout, les mains serrées l’une contre l’autre pour ne pas trembler, les genoux collés et la peau à moitié sèche, et donc un peu collante de l’eau traitée. Elle commençait un peu à avoir froid, aussi essuya-t-elle d’un revers de la main expéditif la goutte d’eau qui dégoulinait sur son visage et entra prestement dans le petit bassin, juste à côté de Martha.

« … Te fournir tous les détails gratuitement... Me poser toutes les questions que tu veux. … Prix à payer. ... Mon but... que tu craques. … Pose-moi une question... un câlin! »

Un, deux. Un, deux. Un, deux. Inspirer, expirer. Inspirer, expirer. Souffler lentement, compter, garder le compte. Lilith n’avait pas bien entendu ce que Martha venait de dire, pas vraiment écouté. Elle entrait dans l’eau, les petites vagues autour d’elle avait désamplifiées le son de sa voix et puis Laureen n’avait entendu que des petites bribes de son laïus. Ce qu’elle avait entendu était effrayant et Laureen avait reculé instinctivement. Mais puisque c’était inquiétant, ce devait être correct. Pourquoi Moon aurait-elle changé ses habitudes et dit quelque chose de relativement sain?

Laureen réfléchit quelques secondes. Si sa question devait être précise, et si pour cela elle devait, arg, enlacer quelqu’un, Martha, qui, Laureen en était certaine, aurait pu être celle qui la poignarderait dans son sommeil, elle devait prendre le temps d’y réfléchir.

« Prévois-tu d’accroître la popularité des Narcisses en même temps que celle de la Team? » Laureen ajouta, plus pour elle-même: « Ce serait un peu injuste, non, pas injuste, irrecevable que la Team n’en profite pas. »

Puis, Laureen pris quelques minutes supplémentaires. Donc, elle devait enlacer Martha? Non, pas maintenant, pas tout de suite, Laureen le ferait, à condition que...

« Tu auras ton câlin, Moony Moon. Réponds d’abord. »

"Moony Moon" ? C'était mignon, elle aimait bien son nouveau surnom. La proposition de son "alliée" l'enchantait en revanche beaucoup moins. Qu'elle donne sa réponse sans être sûre d'en avoir la récompense ? C'était tout bonnement impensable ! Bien sûr, si elle avait eu confiance en Lilith, elle aurait sans aucun doute accepté mais la première règle de vie d'un Narcissus était de n'avoir confiance en personne. Pauvre petite Menthae, elle ignorait tout de la vraie vie. Devrait-elle lui apprendre qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même ? Sûrement, mais pas aujourd'hui. Elle avait un câlin à recevoir et pas question de passer à côté à cause d'un plan foireux.
Un petit sourire amusé sur le visage, Martha leva son index avant de l'agiter en signe de négation. Lorsqu'elle prit la parole, ce ne fut pas pour apporter la réponse tant attendue.

"Si tu tiens à faire changer les règles, c'est avec mon accord, et je ne te le donne pas pour ce coup là. Je te propose cependant autre chose : je te donnerai la réponse quand tu me feras le câlin. Comme ça, si tu n'as pas la réponse, tu peux me faire ce que tu veux. Par contre, pas question de cesser le câlin avant que j'ai donné la réponse complète à ta question. Ca te va ?"

Martha prévoyait déjà la suite des évènements. La pauvre Laureen ferait mieux d'accepter pour assouvir sa curiosité, bien qu'elle dût payer pour ça les insupportables défis pourris de Martha.

Voyant le temps de réaction de son vis-à-vis, la dixième représentante d'Astria fit signe de la main à la jeune fille afin qu'elle s'approchât, faisant de son côté deux pas en avant pour l'encourager.

Évidemment, Martha était une Narcisse, et évidemment, elle refusa. Elle n’aurait pour rien au monde acceptée de perdre une miette de pouvoir. Et Laureen était trop lasse pour contester. Après tout, qu’importe, Martha aurait toujours les règles qu’elle désirait, pour la bonne raison que Martha ne jouait qu’aux jeux qu’elle inventait, et n’acceptait que les règles qu’elle mettait en place au fur et à mesure. Discuter l’échange serait inutile et Laureen n’aimait pas se fatiguer en vain. On ne lui laissait qu’une option: le câlin.

À contrecœur, complètement malgré soi, mais néanmoins portée par la curiosité, Laureen s’approcha. Et plus l’eau gigotait autour d’elle, faisant des cercles, plus elle se disait à quel point Moon pouvait être détraquée. À deux centimètres des bras ouverts de Martha, Laureen stoppa:

« Et pas de fourberie, Moony Moon. »

Ses joues chauffaient, et elles étaient sans doute aussi roses que les cheveux criards de son aînée. Elle enlaça gravement cette dernière, effleurant seulement sa peau. Ses main allèrent se crocher dans son dos, et ses bras enserraient les épaules de la Narcisse. C’était un câlin quand même, bon sang. Laureen avait le corps tendu, et elle n’osait effacer le centimètre qui séparait les bustes des deux filles. Après tout, Martha n’avait pas donné de précision, et un câlin était un câlin. Voilà.

« La question que j’avais posée il y a deux secondes, murmura-t-elle dans le creux de l’épaule de Martha, je veux la réponse. »

Laureen souffla sur les courts cheveux derrière la nuque du numéro dix.

« Et courte, la réponse. »

Finalement, il y avait des moyens plus insurmontables d’obtenir des informations. Un câlin, une poignée de main, c’était du pareil au même, après tout. N’est-ce pas? Si Martha était aussi simple à satisfaire, aucun doute qu’elle allait devenir l’Astria la plus agréable aux yeux de Laureen. Elle appréciait déjà de la voir de loin, dans les réunions ultra-secrètes, la voir exploser, hurler de rire toute seule. Elle était si exubérante, comparée à elle. Sauf que Laureen, dans son soulagement momentané, oublia les paroles de Moon: « Pour chacune de tes questions, je te proposerai un prix à payer qui ira de manière croissante. »

Tout se passait très bien. Laureen semblait jouer le jeu, bien que timidement et Martha fut presque outrée d'entendre sa cadette parler de tricherie à son égard. Jamais autant jamais Martha n'avait triché en jouant et sa réputation de chanceuse invétérée était basée sur des faits concrets et purement naturels ! Cependant, elle avait eu un câlin et pas n'importe quel câlin ! Un câlin de la douce et fragile Laureen dire "Lilith" dans le cercle d'Astria. Ceci n'avait pas de prix et Martha ne parvenait pas à deviner le nombre de garçons de l'académie qui baveraient pour être à sa place à cet instant. Ah ! Ca pouvait être intéressant d'ailleurs... Devait-elle songer à vendre les services de la petite poupée pour se faire de l'argent ? Ca serait rentable mais pas drôle. Non, finalement, elle n'avait pas grand intérêt à faire ça.

Mais revenons en à nos tétons, Martha savourait le contact de la peau douce de sa cadette contre la sienne presque autant que sa timidité lorsqu'elle l'enlaçait. Mais sa réponse valait tous les clichés moe du monde ! Si Martha avait été un homme, elle aurait eu une érection. Mais Martha n'était pas un homme et elle pouvait facilement dissimuler son intérêt. C'est d'ailleurs avec une voix mielleuse et provocante qu'elle répondit à la petite guimauve.

"Allons, allons... Ne sois pas si pressée..." Un bras remonta dans le dos de la jeune fille. "Nous avons encore largement le temps de nous amuser..."

D'un geste, elle plaqua Laureen contre elle, enfouissant sa tête dans le cou de sa cadette. Elle souffla le long de sa nuque pour l'embêter un peu plus. Vraiment, elle était impatiente de voir jusqu'où elle pourrait la pousser.

"Mais je vais te le dire... Je vais accroître la popularité des Narcissus avant celle de la Team..." Elle posa un baiser dans le cou du marshmallow avant de reprendre. "Et quand les Narcissus auront leur gloire, j'aurai l'appui de ses hauts-représentants pour soutenir Astria..."

Oui, elle avait bien planifié tout ça. Elle savait que Crow Van Drake, célèbre délégué des Narcissus n'aurait pas accepté de participer au complot si elle lui avait avoué directement vouloir accroître la popularité d'Astria. Elle devait d'bord gagner sa confiance et sa reconnaissance pour profiter de son soutien lorsqu'elle en aurait besoin. Astria avait besoin d'alliés et elle avait trouvé où s'en fournir rapidement. Ca ne serait jamais gratuit mais elle mettrait le feu à autant de classe qu'il le faudrait si cela pouvait lui permettre de les maintenir sous sa coupe.
Elle se sépara de Laureen à regret avant de lui annoncer la prochaine étape du jeu avec un air espiègle.

"Pour la prochaine question, ça sera à ton tour de m'embrasser... Ici."

D'un doigt taquin qu'elle posa sur ses lèvres, elle indiqua sa prochaine cible. Malheureusement pour Laureen, son aînée avait bien l'intention de pousser la plaisanterie au delà d'un simple baiser.

Laureen ne se souvenait plus du dernier câlin qu’elle avait échangé. Ça devait remonter à loin, peut-être à son père, avant de quitter la maison familiale et de venir s’installer dans les dortoirs Menthae. Une éternité, en soit. Et voilà qu’elle se retrouvait collée contre la poitrine généreuse d’une de ses “coéquipières” Astria. Si sa famille la voyait, ils feraient tous une syncope, de surprise.

Elle frémit, retint un sursaut lorsque Martha glissa son bras vers ses épaules. L’eau chlorée qui n’était pas spécialement bouillante et la lenteur mesurée, tout ça n’était pas bon pour les nerfs de Laureen, assez faibles quand il s’agissait de contacts physiques. Et ça n’était encore rien! Sur une échelle de 10, le bras venimeux de Martha n’était qu’à 3 ou 4. Laureen écarquilla les yeux, et essaya de perdre connaissance lorsque numéro cinq l’attira soudainement vers elle. Mais elle n’y parvint pas, seulement à avoir la chair de poule alors que l’autre lui soufflait dans la nuque.

À partir de là, Laureen avait l’impression d’avoir été transportée dans un film d’horreur. Elle était entourée d’un liquide qui devenait du sang et elle était enlacée par une terrible psychopathe. Pour une réponse affligeante de simplicité et... de non-information, en vérité. Martha lui forçait la main!

Quand Martha s’éloigna, Laureen sembla reprendre son souffle. Elle inspira, la main sur la poitrine, et expira, une reprise d’air digne d’une sprinteuse. Pour un maudit câlin! Bon sang, ce qu’elle était chochotte!

« Pour la prochaine question, ça sera à ton tour de m'embrasser... Ici. »

Ici! Un mot simple, qui signifiait tant. Car ici, c’était les deux lèvres de Martha.

Laureen prit son courage à deux mains. Il lui semblait qu’elle avait encore une question, et elle espérait recevoir une réponse plus concrète. Elle s’approcha lentement, jusqu’à surplomber les deux énormes seins de Martha. Mon dieu, qu’était-elle en train de faire? Laureen était horrifiée. Elle n’aurait jamais cru qu’il faille en arriver là pour obtenir quoi que ce soit. Se battre, parlementer des heures, faire la maligne, manipuler et extorquer. Mais des échanges de ce type, ça paraissait inconcevable. Inconcevable, tout à fait Moon.

« Quelles actions envisages-tu? »

Et puis, Laureen réprima une deuxième question. Oh non!

Elle s’avança encore un peu, de quelques centimètres et puis, n’y tenant plus, elle jeta sa bouche contre celle de Martha. Pas question de s’attarder. … Peut-être fut-elle un peu trop pressée, car elle s’élança si bien que son front cogna celui de Martha en même temps que leurs lèvres et que le contact violent les éloigna aussitôt. Portant une main à l’endroit de l’impact, elle grimaça:

« Désolée Moon... »

Elle tenta de sourire, mais seul un rictus coincé apparut.

C'était trop beau pour être vrai, Martha se doutait bien que quelque chose n'irait pas avec sa requête et elle était servie. Un coup de tête ! Elle avait osé abîmer son si joli visage avec sa tête de poupée ! Elle lui ferait cracher ses cheveux par la racine ! C'était sûr, elle lui ferait payer au centuple son insolence ! Non, ça ne serait pas assez ! Personne ne portait la main sur elle ! Déjà qu'elle subissait les assauts répétés de son père, elle ne laisserait personne d'autre l'humilier davantage ! Sa revanche serait terrible mais elle ne s'abaisserait pas à la brutaliser... Non... Pas encore... Le jeu n'était pas fini... Il fallait avant tout s'amuser, n'est-ce pas ? Martha prendrait son pied et cette petite pouffiasse paierait son crime comme elle le mériterait, même si Martha devait lui ouvrir la chair avec les ongles !
Lorsqu'elle sortit sa tête de l'eau après la chute, la dixième championne d'Astria remit ses cheveux moillés en place dans son dos. Honteux. Scandaleux. Comme la punition qui attendait sa "collègue". Un sourire malsain illuminait ses traits lugubre. on pouvait clairement lire la folie et le sadisme dans son regard qui annonçait la couleur de la scène. Sa voix, en revanche, était calme et douce, même un peu amusée.

Spoiler:

"Allons, ce n'est rien ! malheureusement, je n'ai pas pu sentir ton baiser à cause de la douleur... Tu permets que je rattrape cet incident moi même afin de te fournir ta réponse ?"

Sans attendre l'approbation de sa cadette, Martha s'avança vers elle et lui retint les mains sans douceur. Continuant dans son élan, elle s'apprêta à embrasser une seconde fois la petite Lilith qui avait fait ce qu'elle n'aurait jamais du faire : froisser Martha le matin. Si elle reculait, Martha reculerait jusqu'à l'acculer contre la paroi du bassin. Si elle résistait, Martha forcerait peu importe les blessures. C'était une forme d'agression, mais Martha tenait quand même ses paroles. Avant d'enfoncer sa langue dans la bouche de sa camarade, elle lui lança sur un ton joyeux.

"Je vais brûler une salle de classe et laisser tout le reste du boulot à mon allié."

Quelle dommage que Laureen ne soit pas plus précise dans ses questions. Martha pouvait si facilement contourner le problème pour la faire tourner en bourrique ! Voyons jusqu'où la curiosité la pousserait. En attendant, Martha embrassait toujours avec fougue la petite guimauve. Elle s'arrêta quelques dizaines de secondes plus tard, essoufflée et rassasiée. Elle lâcha les bras qu'elle tenait encore et recula de trois pas. Elle annonça sans scrupule sa prochaine sentence.

"La prochaine fois je poserai ces mains sur ton corps... Pas de panique, j'éviterai les parties trop intimes..."

Pour le moment...

Moon était de sortie. Laureen recula d’un pas. Le regard fixe et le sourire malsain de Martha étaient effrayants, même pour elle. Une pierre se serait enfuie en courant! Elle tordit sa bouche, percevant la douleur, la vengeance derrière le masque d’horreur que portait Martha. Le décor anodin lui paraissait à présent un océan sans issue, un enfer d’eau clos, avec nulle autre échappatoire qu’une confrontation avec son homologue la plus psychopathe. Laureen tremblait, et, pour une fois, ses spasmes n’étaient pas du à son dégoût de l’eau.

« Allons, ce n'est rien! Malheureusement, je n'ai pas pu sentir ton baiser à cause de la douleur... Tu permets que je rattrape cet incident moi même afin de te fournir ta réponse? »

Cette réponse était désormais à une place privilégiée de son top five des phrases les plus inquiétantes. Aucun de ces mots n’étaient innocents, vides, simples. Il fallait entendre à travers la ponctuation, déchiffrer les mots, deviner les intentions. Si ce n’était rien? Bien sûr qu’elle savait que Martha n’en pensait rien, il n’y avait qu’à regarder son regard. Et cette fausse politesse... Laureen n’eut même pas le temps de refuser, de bafouiller une onomatopée.

Martha attrapa ses poignets, rageusement... “Je vais brûler une salle de classe et laisser tout le reste du boulot à mon allié.” … Et fourra sa langue dans la bouche de Laureen, qui écarquilla les yeux, puis, dans la volonté d’essayer d’annihiler ce moment, fixa un bout d’horizon où le soleil pointait son nez derrière la large vitre. Ce serait bientôt fini, n’est-ce pas?

Mais non. Le baiser continuait, et Laureen commençait sérieusement à perdre les pédales. Elle ne voyait qu’une raison à son manque de concentration au lever de soleil: son cerveau manquait d’oxygène. Sinon, pourquoi s’agripperait-elle aux épaules de Martha, les ongles plantés à l’intérieur de la chair? Enfin, Martha sembla avoir terminé. Et Laureen se courba, les mains tenant ses côtes. Elle inspira et expira plusieurs fois d’affilés, doucement.

« La prochaine fois je poserai ces mains sur ton corps... Pas de panique, j'éviterai les parties trop intimes... »

Laureen eut l’audace de rire, très légèrement. Oh non, pas trois fois, pas encore. Du moins, pas aujourd’hui, pas de matin. Il n’était même pas encore sept heures du matin, et Laureen venait de vivre l’expérience la plus troublante de toute son existence. Elle avait découvert, par elle-même et elle s’en serait bien passée, à quel point les rumeurs sur la bipolarité de Moon étaient fondées.

Et, d’un côté, elle était effrayée et tétanisée et tout le tintouin, et de l’autre, Lilith, bien cachée, était en totale admiration devant cette personnalité forte et désœuvrée. Martha Ludwig était une fille badass, et Laureen en était persuadée, aucune autre élève, aucune autre stupide personne dans cette foutue école ne pouvait être plus timbrée, instable, et par cela, plus intéressante.

« On ne peut pas s’en tenir à une poignée de main, plutôt », marmotta-t-elle, en plaisantant à moitié. « De toute façon, je n’ai plus de question. Pour l’instant », ajouta Laureen en se décalant sur la droite pour sortir du bassin.

Elle plia ses genoux, tendit ses bras et se glissa hors de l’eau. Avant de sortir, elle éclaboussa le visage de Martha d’une pichenette.

« Bonne journée, Moony Moon. »

Laureen partait. Vraiment?

Au moins, elle était marante. Le côté lunatique de Martha avait sauté sur l'occasion du changement d'attitude de la cadette pour passer du coq à l'âne. La dixième championne d'Astria avait retrouvé son sourire franc sinon sincère de grande gamine taquine. Le coup de la poignée de main avait allégé le coeur du chewing-gum qui semblait bien loin de la scène qui datait pourtant de quelques secondes auparavant seulement. Quelque chose qui ressemblait fortement à un au revoir fit redescendre ladite Moony Moon de son petit nuage savoureux, marquant une fois de plus la folie de la maîtresse des roches. Un grand signe du bras accompagna le départ de la petite Lilith, bien semblable au bonjour qui datait finalement pas tant que ça. C'était comme si un trou noir était arrivé, aspirant totalement l'esprit de Martha dans une autre dimension durant le passage de sa cadette Menthae. Une simple phrase au sens lourd de sous-entendus s'éleva du fond de la piscine, pouvant faire frissonner un articodin.

"Bonne journée, Lily-Moon, à la prochaine !"

Bonne journée, ça c'était sûr après ce qu'il s'était passé. Comment pouvait elle passer une mauvaise journée après s'être accaparée le corps d'une de ses compatriotes d'Astria ? Oui, le temps de Lilith était révolu. Maintenant, c'était l'âge de Lily-Moon, la petite fleur qui lui appartenait. Elle était son jouet et Martha comptait s'amuser avec de bien des façons différentes. Attention cependant, il n'était pas question de l’abîmer ou quoi que ce soit du genre ! Tout bon joueur sait qu'il faut faire attention à ses jouets, sinon maman risquait de faire la tête. Surtout quand cette maman se fait connaître sous le légendaire nom d'Insanity. Non, il n'était pas question de l'abîmer, bien au contraire. Ce nouveau jeu où elle devrait passer inaperçue l'excitait presque autant que la scène qui s'était déroulée quelques minutes auparavant. Il l'amusait même davantage. Qu'il était agréable de jouer à des jeux dangereux, surtout avec des bons joueurs ! Elle avait eu raison de rejoindre Astria, elle n'avait pas fini de s'amuser.

Le son de la cloche la sortit de ses rêveries. En moins de vingt minutes, Martha Ludwig se prépara à rejoindre sa classe, achetant le silence de son professeur par sa simple présence.