Les rares rayons de soleil en ce mois d'octobre caressent le visage de la jeune Spiraea. Le réveil est difficile. La journée le sera aussi. Car avant tous les autres, elle savait déjà ce qui allait être affiché sur le panneau d'affichage. Mais elle allait quand même devoir faire le déplacement pour ne pas mettre en doute sa couverture. Alors, une fois réveillée par les alertes des élèves dans les couloirs, qui parlaient tous de la fameuse affiche à l'administration, elle se décida de se laisser emporter par la foule. De faire grâce de sa présence aux bureaux de la Team Astria. Et revenir d'un air las dans sa chambre. Voilà qui était fait. A présent, elle ne pouvait plus agir, elle devait laisser les élèves réfléchir et réagir. Tel était le plan.
Lucresia pensait donc passer la journée dans sa chambre, à se reposer, jouer avec son Coupenotte, faire ses devoirs. La routine, le quotidien. C'était sans compter l'intervention de ce jeune Spiraea. Lukas. Un adolescent en larmes, bouleversé, qui s'était introduit dans sa chambre. En le voyant arriver ainsi, Lucresia se sentit mal à l'aise. Elle ne s'y attendait pas. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'un inconnu débarque dans votre espace privé. Mais elle savait ce qui l'amenait là. Elle ne l'avait pas observé, mais elle pouvait s'en faire une idée : il venait de perdre confiance en la Team Astria. C'était normal. Pourtant, elle n'allait pas se montrer plus gentille pour autant. Elle allait rester Lucresia. « Tu sais que tu viens d'entrer dans une chambre de fille ? Les dortoirs des garçons ne sont pas de ce côté. » Pause, son ton était sec, elle ne cherchait pas à le réconforter. Il y avait cependant de la compassion en elle. Mais elle ne voulait le montrer. « Montre toi fort devant ton Malosse, c'est un Pokémon qui a du potentiel, il a besoin d'un maître qui ne doit jamais faiblir. Il t'aime énormément, ne le déçois pas.» C'était un sujet qui était sensible à Lucresia. Elle avait pour but d'élever des Pokémons un jour. Et elle savait à quel point le comportement d'un dresseur envers son Pokémon était important. Mais en quoi cela la concernait ? Ils ne s'étaient jamais parlé, elle n'avait pas à se mêler de cela. Puis, sans crier garde, elle entamait déjà le sujet qui fâchait. Elle ne ménageait pas ses mots. « Tu pensais que la Team Astria étaient des Bisounours ? »

Lucresia se leva. Elle parlait souvent sans réfléchir, et c'est ce qu'elle venait de faire. Aurait-elle du se montrer plus douce ? Elle aurait alors pu essayer de le faire rejoindre Mirage. La jeune fille se mordit les lèvres, elle regrettait un peu de lui avoir parler sur un ton aussi sec. Puis d'un autre côté, les bouleversements de la matinée s'avéraient être un facteur important de sa mauvaise humeur. Alors au final, elle ne se sentait pas très coupable de s'être montrée aussi peu compréhensive envers cet élève.
Elle se dirigea vers le Malosse, le regard maternel. Certains jours, elle paraissait être une gamine de six ans qui ne savaient tenir sur place, en plus de faire preuve d'une stupidité hors norme. D'autres jours, elle avait l'air d'une adulte mature et responsable, qui se dévouait aux Pokémons. Ce jour-là, elle n'avait pas envie de sautiller partout telle une hystérique, elle avait envie de montrer une présence calme et posée. Arrivée à la hauteur du Pokémon, elle le caressa légèrement, il ne semblait montrer d'objection pour le moment. C'était un bon Pokémon. Elle observait le spécimen tandis qu'elle écoutait son maître parler. Lucresia ne pouvait s'empêcher de ressentir une grande peine pour lui.
« Je suis d'accord avec toi. Je ne sais pas quel est leur but. Même si c'était pour la bonne cause... Est-ce que cela justifie la façon dont ils traitent les Pokémons ? Je n'en sais rien. Je n'ai pas de réponse à t'apporter. »
La jeune fille portait un air maussade sur son visage. Ce qu'elle venait de dire était malheureusement vrai. Elle-même avait pendant un moment cru aux bonnes volontés de la Team Astria. Elle-même avait pendant des jours douté de Mirage. Et jusqu'à présent, elle n'avait toujours pas de réponse. Seule l'instinct lui disait que ce qu'elle faisait était juste.
« Ca ne doit pas être la réponse que tu attendais. » Pour la première fois, elle lui adressa un sourire. C'était un sourire qui ne voulait rien dire, si ce n'est qu'ils devaient être tous deux autant perdus. Lucresia s'assit en tailleur, à côté du Pokémon. Elle n'appréciait pas d'avoir été dérangée ainsi, mais maintenant que c'était fait, autant avoir une bonne discussion avec lui. « Au fait, c'est quoi ton nom ? »

A y réfléchir, c'était bien la première fois que la jeune fille osait parler ouvertement d'un tel sujet à un inconnu. Elle n'avait jamais abordé la question de la Team Astria avec quelqu'un envers qui elle n'avait pas confiance, c'était beaucoup trop risqué. Comment savoir s'il n'était pas du conseil disciplinaire ? Qu'il ne l'était pas mais qu'il défendait avec ferveur les idées de la Team ? Ou tout simplement qu'il méprisait les personnes qui se laissaient au jeu des héros qui punissent les méchants. Non, elle ne pouvait prendre ce risque.
Mais en parler ainsi avec ce Spiraea apaisait énormément son cœur. Elle ne pouvait expliquer pourquoi, c'était peut-être le sixième sens mais... elle savait qu'elle ne risquait rien. Il n'était pas impossible que tout cela soit un stratagème, une mise en scène pour qu'elle se révèle être une Mirage, mais cela lui semblait plutôt invraisemblable. Au contraire, elle se sentait sereine, comme vidée de toutes pensées négatives.
Machinalement, Lucresia finit par passer un mouchoir à ce Lukas donc. Elle avait envie de passer un peu de temps à discuter, cela lui faisait du bien à elle aussi. Puis, elle était tellement rassurée que des élèves en dehors des Mirages prennent conscience du mal que représentait la Team Astria. Que l'affiche avait eu un effet considérable. Que les choses allaient enfin bouger.
« Je sais bien que tu es un Spiraea, je vois pas trop ce que tu fais là sinon. » Pendant une fraction de seconde, l'adolescente eut quelques doutes, il pouvait très bien être un stalker. Mais enfin, un stalker en larmes, ce n'est pas très crédible. « Pas des gentils... »
Lucresia se répéta les mots dans la tête. Pas des gentils. Cela la fit sourire. Non, ils ne l'étaient définitivement pas. Elle se souvenait encore de la claque qu'elle s'était prise de Reina. Elle résonnait encore dans son esprit. De temps en temps, elle avait l'impression d'avoir désormais une joue plus plate que l'autre tellement la Narcissus avait été violente. Mais était-ce vraiment là le problème ?
« Pas des gentils... Tout est relatif. Je ne suis pas convaincue qu'ils soient réellement mauvais ou quoi, tout dépend du point de vue... Mais disons que ce qu'ils font n'est définitivement pas juste. Et qu'ils sont loin d'être aimables, même s'ils peuvent se montrer comme tel. »

Lucresia soupira. Les mots étaient sortis tout seul de sa bouche et défilaient. Elle ne savait même pas comment elle avait pu sortir toute une telle phrase sans trop y réfléchir, cela ne lui ressemblait pas vraiment. Peut-être tout simplement parce que là se cachaient ses réelles pensées, sa rancœur envers le groupe. Elle n'avait jamais oublié à quel point les cours étaient agréables et conviviaux avant l'arrivée de ces adolescents qui ne connaissaient que l'abus de pouvoir. Et elle se sentait très fière d'elle, d'avoir su voir qu'ils n'étaient pas des agneaux blancs.
Mais la jeune fille sentait cependant qu'elle commençait à perdre le Spiraea. Que la conversation allait commencer à tourner en boucle. Que s'ils continuaient à parler, elle allait éventuellement se discréditer. Elle n'était pas bonne en argumentation, elle ne savait que rouspéter et taper. Pas convaincre, ni réfléchir.
Alors, elle prit une décision. Une initiative. Elle sentait son cœur commencer à battre très vite. Elle était un peu nerveuse. Elle n'avait jamais fait ça mais...
« Lukas ? » Elle le regarda droit dans les yeux, d'un air très sérieux. « Le papier, je l'avais vu avant qu'il soit affiché. » C'était se vendre, c'était fou. C'était sauter d'un pont, dans le vide. Sans être attachée par une corde, juste se jeter. L'adrénaline, les sueurs froides. Et ce regard qu'elle maintenait, cette envie de vaincre dans ses yeux. « Et je pense qu'en un mot, la situation pourrait vite changer pour cette académie. Et tout le monde connaît ce mot... » Mirage.
Lucresia se leva alors, et se dirigea vers la porte, d'un air assuré. Mais ce n'était qu'une illusion, un mirage... Elle n'avait pas vraiment confiance en ce qu'elle faisait. Elle n'avait jamais invité personne à rejoindre le groupe, elle était trop naïve, elle pouvait se faire avoir trop facilement. Tant pis, il fallait savoir prendre des risques parfois. « Je m'appelle Lucresia. Je dois y aller maintenant, mais si tu veux me contacter... » Elle lui laissa une feuille avec son adresse mail. Et elle s'en alla.