Encore une journée de merde qui débutait comme d’autres journées de merde. En fait, peu de moments prenaient grâce à mes yeux, je m’ennuyais souvent, bien trop souvent, c’était d’un lassant, d’un répétitif. J’avais l’impression d’entendre toujours la même ritournelle. Comme d’habitude, je me levais de mon lit de mauvaise humeur, je pris ma douche et je rejoignis la bibliothèque en attente du premier cours de la journée. Sur mon chemin, je croisais des gens que je n’aimais pas (un peu soixante-quinze pourcent de l’école). Je les trouvais bêtes. Soumis à une sorte de culte de la mode, où rien ne trouvait grâce à leurs yeux à part la popularité, les vêtements et la superficialité. Je détestais cela, et je faisais de cette croisade ma seconde priorité après mes études. Sans forcément le vouloir, je me faisais un nom de vieux grincheux dans cet établissement, ennemi numéro un de certains Lychnis et de certains Narcissus. Qu’importe, je ne me sentais pas vivre dans l’erreur, et je savais que malgré mon caractère, des personnes (masochistes) m’aimaient bien (même si cela restait sporadique !).

Mais où en étais-je avant de me perdre dans mes explications. Ah oui. J’allais donc vers le réfectoire pour petit-déjeuner avant de me rendre compte que le temps merdique qui se trouvait à l’extérieur, rendait impossible la cohabitation à l’intérieur de cette petite pièce servant de cantine. Avec dépit, je pris un plateau. Dans ma tête, je ne voyais que trois alternatives. Pâté, croquette ou pâté (en fait, j’avais cent griefs contre le service de restauration de cet établissement). Je pris celle qui me parut la moins pire, à savoir quelques céréales fourrées au chocolat ainsi qu’un peu de lait. Heureusement, la seule chose que j’aimais ici (à savoir un bon cacao chaud) était encore disponible même si les élèves se jetaient dessus un à un. Servi, la seconde bataille pouvait commencer, bien plus dur que la première (qui, avec de la volonté, était d’une facilité exaspérante). Elle se caractérisait par les intenses tractations et négociations diplomatiques nécessaires pour pouvoir se poser à une place décente, surtout un jour de pluie. Chance pour moi, une petite table vide de quatre places venaient de se libérer, et tel un fauve, je me jetai dessus.

Je remballais sans scrupule tous les groupes qui voulaient empiéter sur mon territoire, tel un vieil ermite borné et d’une mauvaise humeur inégalée. À côté de moi, je n’acceptais que des solitaires, des gens qui, comme moi, ne se sentaient bien dans aucun groupe. Je ne voulais pas faire l’apologie de ce que je détestais, alors même si les joutes verbales pouvaient partir, personne n’osait me déloger. Déjà car les surveillants utilisaient un minimum de leur autorité, mais surtout car j’étais souvent plus petit que les autres. Et une morale disait qu’on ne s’en prend pas à plus petit que soi. De toute façon, je ne comptais pas rester longtemps. Je m’attelais à ce qui me servait de repas, et je buvais d’une traite le délicieux chocolat chaud, à m’en mettre un peu sur la commissure des lèvres. Je poussai un râle de satisfaction après l’avoir fini, tout de même mélancolique qu’il n’en restât pas un peu. Je ne faisais plus attention à qui se mettait à côté de moi, alors je remarquai trop tard l’intrépide personnage qui se posa à côté de moi. Mon expression se tut (oui, on aurait pu croire un instant que j’avais l’air convivial). Je reliai mes mains entre elles, et j’esquissai un sourire patelin sur mon visage. Lorsqu’il se dégagea du silence, je lâchai un soupire et me remit à manger.

► ALEXANDRE. « Nom, prénom, âge, profession. » Mon visage redevenait d’un sérieux déconcertant, et je sentis que je le mettais plus ou moins mal à l’aise. J’embrayai sur une autre question pour ne pas me donner un air trop rustique. Il était seul, il semblait un peu dépaysé, comme moi. Pourquoi se montrer acariâtre ? « Seul aussi, je suppose ? Ou simplement maso, au choix. ».

Je me mis à touiller dans mon bol pour avaler les premières céréales. J’espérais juste qu’il ne prenne pas trop mal ma froideur, ce serait fastidieux de m’expliquer.

« Mon moi profond est le meilleur des masques antirides. » ► PROUST.

Juste ciel. Seule cette locution, juste ciel, pouvait signifier ma seule réaction probante à cet impertinent personnage. Personnage que je commençais à bien aimer par ses réactions atypiques face à mon comportement toujours aussi grognon. Le temps ne m’arrangeait pas, moi, fanatique de rhétorique, de franchise et modèle d’antipathie au masculin. Tout cela ne pouvait que me décontenancer ; de voir avec quelle imprudence il “osait“ me défier, si on pouvait appeler ça défier. Je me faisais sans doute une scène à moi-même car j’ignoras avec quelle répartie lui répondre. Il entrait dans mon jeu, de toute façon, j’ai toujours aimé les gens qui entraient dans mon jeu. Alors je décidais de le continuer, déjà car je m’emmerde, mais surtout car la nourriture absolument infecte de ce réfectoire me donnait toujours autant la nausée. Autant dire que pour la diluer, j’allais me plaire à l’exercice implicitement décrit. Oui, je restais un gamin dans l’âme, même si mes jeux visaient un poil plus haut que la limite lambda.

► ALEXANDRE. « Mais, mon cher, on peut associer glandeur à cas social. » Et pan. Une balle lancée, d’un sourire patelin outrecuidant. J’espérai qu’il comprenne le caractère taquin de ma phrase, je n’étais pas d’humeur à me disputer, mais bien à distraire, pourquoi pas m’ouvrir un peu comme je suis. De toute façon, il n’avait le choix que d’acquiescer, car aucune autre table ne demeurait libre. « Cacophonique, certes. Ce pourquoi je vais vite terminer de petit-déjeuner et retourner dans ma chambre, Leonel. » J’insistai particulièrement sur son prénom, pour lui signifier son côté parasite qui me disconvenait au plus haut point.

Enfin, pouvais-je lui reprocher de me demander mon identité ? Je ne restais qu’un vulgaire inconnu à ses yeux, dont l’attitude se voulait tout aussi insupportable que le bruit incessant de ces hurluberlus à l’allure fantasque. Je soupirai à sa dernière question, mais surtout sa dernière remarque. Cela me faisait souvenir à quel point j’avais jeté des gens dans ma vie ; de ce gros problème que j’avais avec l’autorité. Je détestai me faire houspiller de la sorte, mais je pris sur moi cette fois-ci. Car après tout, il n’avait pas tort, et je n’étais pas un pourfendeur de la vérité. Je pris donc a plus belle moue, que je transformai en regard assassin accompagné d’un petit rictus amusé. Oui, en vérité, je ne savais du tout comment agir pour le moment.

► ALEXANDRE. « A secret makes a men. » Dans un anglais parfaitement maîtrisé, déjà pour me rendre péteux, je le fis miroiter comme à mon habitude, puis je décidai de cesser ce petit jeu afin d’être en parfaite équité face aux informations qu’il m’a données. Je tenais beaucoup à la réciprocité des échanges. « Je m’appelle Alexandre. J’ai quatorze ans. Et oui, je n’aime pas soixante-quinze pourcent de cet établissement. Mais toi, t’as l’air… je ne sais pas, en fait. Tu m’es insupportable autant que tu m’attires de la curiosité et de la sympathie. » Je pensai intérieurement, qu’encore une fois, si une caméra captait nos échanges, elle couperait à partir du “de“, dans ma phrase.

Je pris une cuillère de mon bol de céréales et je la mis dans ma bouche. Dont acte, elles ne firent long feu tellement c’était la seule chose mangeable ici.

« Mon moi profond est le meilleur des masques antirides. » ► PROUST.