DRAINING IT DOWN
ft. Charlie P. Winchester

L'eau est chaude. Elle bouillonne. La vapeur s'infiltre dans mes narines. Sur ma poitrine, le jet se brise, éclaboussant la cabine de centaines de gouttelettes brûlantes. Ma tête, rejetée vers l'arrière, repousse ma chevelure hors de mon visage. Les yeux fermés, je me laisse bercer par la chaleur ambiante, suffoquante. Moi qui n'a jamais aimé avoir trop chaud. Je me sens mieux dans les endroits plus frais et humides. Pourtant, j'ai tourné le robinet de l'eau chaude au maximum. On dit qu'elle débarrasse des bactéries. Moi j'espère l'utiliser à mon avantage et effacer mes sombres pensées des derniers temps. Mes peurs surtout. Au creux de mon estomac, une boule s'est formé. Un blocage. Depuis, l'énergie ne passe plus. Je me sens las. Je me sens vide. J'ai l'impression de me trahir, sans arriver à mettre le doigt sur ma faute terrible. Je passe de plus en plus de temps au gymnase, à pousser de la fonte, dans l'espoir d'oublier. Mais je reviens toujours bredouille, encore plus fatigué. Justement, j'ai passé la matinée dans la salle d'entraînement. Le même résultat. Je laisse ma tête retomber en position normale avec un soupir. Ma tête n'a jamais été aussi vide, avec pourtant le besoin pressant de réfléchir. Je gratte l'arrière de ma nuque, désespéré. J'aimerais tant comprendre ce qui m'arrive. Dénouer cette impasse sordide, ce combat contre mes propres sentiments. Au fond de mon esprit, dans cette partie dissimulée de soi, l'inconscient, mon orgueil, mes craintes et mes désirs s'affrontent dans un combat sans merci qui ébranle tout mon être. Si seulement j'avais accès à mes propres états d'âme... Peut-être comprendrais-je mieux qui je suis, où je vais, et pourquoi je me sens si mal.

J'arrête d'un geste las le jet en tournant le robinet. Enveloppé de vapeur, je frissonne déjà. Ma peau, brûlante, se couvre de cloques. Je ne l'ai jamais vu aussi rouge. Rouge vif. J'ai peut-être un peu abusé des bonnes choses. Dans un geste désespéré pour la rafraîchir, j'actionne l'eau froide qui se déverse sur moi comme un crachat glacial. Je laisse échapper un petit cri de surprise avant d'arrêter le flot précipitamment. Pas la meilleure idée du monde, mais je m'en sens tout ragaillardi. Mon épiderme me picote agréablement, comme si des milliers de fourmis y faisaient la course. Je reste un long moment dans la cabine, immobile, à chercher mon souffle. Lorsque je me mets à trembler de froid pour de bon, je me décide à sortir, même si c'est à contre-coeur. Je m'essuie à grands mouvements, anticipant le reste de la journée avec peu d'enthousiasme. Rien de mes activités quotidiennes ne me donne très envie. J'ai passé trop de temps dans la vieille horloge ces derniers temps, je commence même à inquiéter mes amis. Je ne ressens pas la faim caractéristique de ce temps de la journée. Je ne me sens pas la force d'étudier. J'ai laissé Nuki et Potcho sortir faire une promenade ce matin, ils ne seront pas rentrés avant le fin de l'après-midi. Je pourrais toujours les rejoindre. Je devrais, en fait. Mais comment les retrouver alors que je me suis même pas donné la peine de leur demander où ils se rendaient? Je devais me reprendre. Je n'avais jamais été d'humeur aussi lugubre. Maintenant que je touchais le font, je devais trouver une solution pour remonter à la surface et prendre cette bonne goulée d'air donc j'avais tant besoin.

Je pris alors une décision. Cet après-midi, je passerais mes dernières heures à broyer du noir. J'irais me coucher sur mon lit et écouter un brin de musique, pendant des heures s'il le fallait. Ma musique. L'écho de mon âme. La musique, cette voix qui vient chercher les émotions les plus profondes. J'arriverais bien à déterrer le noeud du problème. Et alors la fantastique détermination qui me caractérise si bien remonterait à la surface et je saurais me débarrasser une fois pour tout de mon malaise. Je m'énumérais déjà la liste des CDs que je souhaitais écouter en nouant ma serviette autour de ma taille. Instinctivement, un air de rap me vint et je me mis à le siffloter. Je sortis donc des douches communes de l'aile des garçons Narcicuss. Je me dirigeai ensuite vers le couloir menant à ma chambre. En tournant le coin, je faillis rentrer directement dans quelqu'un qui venait en sens inverse. Je dus serrer le poing autour du coin de ma serviette afin d'éviter qu'elle ne se ramasse sur le sol et ne me dévoile en entier. Je n'avais rien d'un air prude, au contraire, mais je dis tout simplement que la jeune fille qui se trouvait devant moi ne souhaitait pas trop assister à ce spectacle gênant. Elle me disait quelque chose, ainsi je sus que je devais l'avoir croisé une ou deux fois dans l'école, mais sans plus. J'ignorais même son nom, chose rare pour moi qui connaissais beaucoup de gens sur le campus. La situation un peu embarrassante -pour moi surtout- me fit bien rire. Je lui adressai un petit sourire désolé.

«Pardon, mademoiselle! Je ne voulais pas te foncer dedans comme ça... Tout va?»

Décidément, je m'amuse. Ce cas loufoque m'a fait oublier un peu les peines ressenties à peine quelques instants plus tôt.

DRAINING IT DOWN
ft. Charlie P. Winchester

Sa réaction, venant du fin fond de son âme, me prend totalement par surprise. En fait, j'aurais pu m'attendre à de l'animosité, une réplique cinglante ou un regard noir. Venant d'un Narcissus, certainement. Ces gens-là sont convaincus de leur propre valeur. Comme moi, un peu, d'ailleurs. Mais ce cri du coeur me prend totalement au dépourvu et je reste totalement figé alors qu'un flot de paroles s'échappe de sa bouche. La jolie blondinette semble passer une bien mauvaise journée et je comprends que cette éclatement soudain n'est pas seulement du à ma maladresse. Intrigué par ce curieux personnage, je suis tenté de le rejoindre sur le sol, mais j'ai peur que ma serviette ne glisse et n'en révèle un peu trop. Son pauvre pain au melon est bousillé et je ressens une pointe de remords. Je compte bien me racheter si la jeune fille laisse de côté cet orgueil si agressivement féminin que je rencontre si souvent. Les filles refusent catégoriquement qu'on les aide, qu'on s'occupe d'elle ou qu'on paie un dîner. Non mais. Comme si la galanterie se démodait! Ma mère m'a appris à me montrer gentil avec ces dames, je tente tout ce que j'ai pour respecter sa demande. Après, les hormones viennent parfois me monter à la tête et me faire prendre des décisions peu recommandables pour ce qui tourne autour des filles. Quand tes culottes te crient «sex!» dès qu'une fille te sourit, pas évident de se contrôler. Dans cette situation-ci j'ai pleinement le contrôle de mes moyens. Je laisse l'étudiante déverser sa colère sur moi, un peu amusé qu'une telle force de caractère puisse sortir d'un si petit être. Je l'observe ranger rageusement le pain détruit dans son sac, sans oser bouger.

Son discours frustré m'en apprend un peu sur elle. Premièrement, elle ne s'entend pas aussi bien que Camille et Lazare avec son frère. Comme moi avec Saranna en fait. Mais je n'ai pas parlé avec mon aînée depuis des mois et je ne souhaite pas reprendre contact avec elle avant un moment. Je comprends donc son état d'âme. Ensuite, j'apprend qu'elle cherche Arazer. Mon nez se plisse de lui-même en entendant ce nom. Je ne supporte pas très bien ce garçon. Nuki, mon Coupenotte, tient en grippe son Carmache qui s'amuse constamment à lui rappeler son infériorité par rapport à lui. Je me demande bien ce que la jeune fille lui cherche, mais je ne tiens pas vraiment à le savoir. J'espère seulement qu'il ne lui réserve pas le même sort qu'à ses Pokémon, parce que là, je me mettrais en colère. Pourtant, l'inconnue ne semble pas mal en point, du tout même, mis à part sa faim et son derrière douloureux. Moi-même j'ai l'estomac qui grogne. Lorsque enfin se tait sa colère, je laisse sa phrase en suspens, prêt à répondre, mais elle revient à la charge en me demandant ce que je sais à moitié nu dans un couloir et comment il est possible d'avoir une peau aussi rouge que la mienne en ce moment même.

«Héhé, je rejoignais ma chambre, tout simplement, après ma douche... Les rougeurs sont dues à l'eau chaude. J'ai un peu abusé. Ne t'inquiète pas, ce n'est rien. Je méritais certainement une petite saute d'humeur.»

Je l'aide à se relever et lui sourit.

«Je suis désolé pour tout. Si tu me laissais m'habiller, je pourrais t'acheter un nouveau truc à manger? Ça t'aidera à oublier ton frère... et je pourrai me faire pardonner.»

J'avais presque oublié un détail très important de tout ce qu'elle venait de me déblatérer. Je remontai un peu ma serviette sur ma hanche avant de lui annoncer:

«Ah oui, et pour Arazer, je l'ai vu partir pour une expédition-capture dans les Tunnels ce matin. Il ne reviendra certainement pas de sitôt.»

J'attend avec appréhension la réaction de l'inconnue, en craignant un peu une nouvelle décharge de colère. Celle-là est une Spiraea assurément. Je lui souris amicalement afin de la mettre en confiance. J'espère que ce sera suffisant.

DRAINING IT DOWN
ft. Charlie P. Winchester

Je me demande ce qu'une jeune fille aussi mignonne peut bien avoir à faire avec un être aussi exécrable qu'Arazer. Je n'irai pas m'en mêler. Peut-être l'apprendrais-je en discutant un peu avec elle. Elle semble déçue d'apprendre qu'il sera absent aussi longtemps. Serait-il possible que...? Non. Vaut mieux ne pas y penser. Pour l'instant, j'ai un peu de mal à cerner la blondinette, mais je crois deviner sous sa mauvaise humeur une personnalité qui vaut tout à fait la peine de connaître. En fait, elle ne me semble pas bien méchante, nous devrions être capable de nous entendre. La jeune fille ne partage pas mon avis sur le fait que je méritais cette crise. Probablement pas en fait, mais j'ai quand même causé une part de sa frustration en ne faisant pas trop attention où j'allais. Je semble la gêner un peu, ma nudité, probablement, y est pour beaucoup. La pauvre est toute rouge. Si elle souhaitait que sa gêne passe inaperçue, c'est raté. Loin de moi l'idée d'ajouter à son malaise en allant la titiller à ce sujet. Je fis semblant de ne rien remarquer et me contentai de répondre:

«Si, probablement un peu. N'en parlons plus.»

Elle me propose alors de passer le temps en ma compagnie, une idée qui ne va pas me déplaire, surtout que j'ai craint un moment l'avoir froissé un peu trop pour qu'elle accepte de passer un peu de temps avec moi. Je lui souris donc à sa proposition. Je ne vais certainement pas refuser. Je réalise que je ne connais même pas son nom, ni sa maison. Il faudra bien que je découvre ces deux informations, histoire de pouvoir la catégoriser dans mon esprit et cesser de l'appeler «l'inconnue».

«Je veux bien, bien sûr. Au fait, je m'appelle Noah. Ma chambre est par ici.»

Sans un mot, je la mène un peu plus loin dans le couloir. La dernière porte à droit tout au fond. Ma chambre, partagée avec un autre Narcissus, Nikklaus Finnegan. Je lui fais signe avec un «tada!» qu'il s'agit bel et bien de ma porte et l'ouvre tout doucement. Maybelle, ma Psykokwak, est couchée sur le ventre sur mon lit, le bec enfoncé dans un livre. Cette étrange canne me surprendra toujours. Je n'avais jamais cru les Pokémon capables de comprendre les mots humains écrits ainsi. Mais la seule femelle de mon équipe passait des après-midi entiers dans cette position, à dévorer des livres scientifiques. Pas étonnant que son regard empreint d'intelligence m'ai séduit lors de notre première rencontre, tout près du lac. Je n'ai jamais vu un Psykokwak aussi... peu commun. Je l'adore, il va s'en dire. En m'entendant arriver, elle relève la tête et jette un regard vers Chalie. Douce, elle la salue de la tête. Je fais signe à la jeune fille de sortir, histoire de pouvoir me changer. Je referme la porte derrière elle et entreprend de me changer. J'enfile un ensemble confortable. Sous-vêtements, jeans, une chemise ajustée qui me fait à merveille, le tout accompagné d'une veste carrément chic que j'adore porter. Maybelle regarde ailleurs, un peu gênée de mon manque de pudeur, mais moi, je n'en ai que faire. Un corps est un corps. Elle est bien toute nue elle! J'ouvre la porte et souris à l'inconnue. Elle est bien gentille de m'avoir attendu.

«C'est mieux comme ça?» je fais à la blague.

Son petit Lixy, à ses pieds, attire mon attention. Il s'agit là d'un Pokémon tout à fait adorable. J'avoue avoir un faible pour sa forme totalement évoluée. Je devrais bien en dénicher un, un jour ou l'autre.

«Une idée d'un endroit où manger? La cafétéria peut suffire, si tu as vraiment faim.»