Midi. L’heure de la ruée vers le réfectoire. L’heure où une véritable marée humaine se déversait dans les couloirs, bruyante et insupportable. Autant dire l’heure préférée d’Anya – ô ironie quand tu nous tiens. Evidemment, quand elle le pouvait, elle allait au réfectoire plus tôt. Mais vacances obligent, le réfectoire tournait au ralenti, avec des horaires plus tardives. Conséquence directe : les flux d’élèves se trouvaient bien moins canalisés. D’où le monde présent dans les couloirs. Tenter de faire abstraction du monde devenait alors la meilleure solution. Tenter : parce qu’il fallait bien parfois jouer des coudes pour se frayer un petit passage –pour une fois qu’elle était contente d’être menue. Tout en gardant une allure digne de son rang : la tête haute, le regard déterminé, l’air de marcher comme si le couloir lui appartenait. D’aucuns auraient pu appeler ça de l’arrogance : elle, elle appelait simplement ceci de la confiance en soi. D’autant plus qu’elle avait retrouvé toute son assurance ; prête, en gros, à réassumer son rôle de Narcissus, de personne sûre d’elle, dont la carapace était intouchable. Oubliée, la petite faiblesse de l’autre soir ; inutile de revenir dessus.
Et tout recommençait donc comme avant : les réflexions sarcastiques, son ironie coutumière, ses engueulades avec Sarah parce qu’elle avait encore mis leur chambre dans un état indescriptible, les entraînements matinaux, tous ces petits riens qui faisaient qu’elle était-elle-même. Ne manquait plus qu’une capture réussie pour parachever le tout ; et elle avait pour projet de remédier rapidement à ce problème. La Narcissus désirait à présent un pokémon électrique, toujours utile contre les types vols et eau –exception faite des types eau/sol comme Flobio et Laggron. D’ailleurs, elle pourrait bientôt se targuer d’avoir un de ces pokémons dans son équipe. Gobou évoluerait bientôt. Encore quelques niveaux – quatre, pour être précis-, et il deviendrait parfaitement imperméable aux attaques électriques qui auraient pu constituer sa faiblesse. Certes, il y aurait toujours les attaques plantes, mais elle avait de quoi pallier ce problème : Flamajou et Nirondelle. En d’autres termes, les prochains jours s’annonçaient sous de bons auspices. De quoi envisager sainement l’avenir.
Elle retint une grimace. Devant elle, un groupe bruyant était arrivé par une autre porte d’entrée. Comme de juste, en plus de l’agression auditive que ces idiots faisaient subir, ils étaient lents et prenaient toute la place. Eh bien, à la guerre comme à la guerre. Le temps était venu de faire valoir ses armes. Allure rapide, regard noir, voix sèche : et voilà, elle leur avait grillé joyeusement la priorité. Honneur aux dames, les perles avant les pourceaux. De nouveau d’humeur plus légère, elle pouvait continuer tranquillement sa route.
Mais, au détour d’un couloir et d’un nouveau flot d’élèves, arriva l’incident.
Anya se fit bousculer par quelqu’un qui ne regardait pas devant lui. Un choc la déporta légèrement sur sa droite, alors qu'une douleur cuisante surgissait dans son bras. Lentement, elle se tourna vers le ou la coupable, pour découvrir une brune aux cheveux longs, qui semblait faire à peu près sa taille ; elle lui darda un regard assassin. Pas encore d'insultes ou de réflexions désobligeantes, non. D'abord, juger son adversaire, ensuite attaquer. Foncer dans le tas ne servait à rien.
Malheur.