Il se faisait tard, j'avais faim, envie de me reposer et surtout, j'avais besoin d'une clope. Ayant passé ma journée en salle de classe, la sonnerie fut pour moi comme une libération. Vous n'imaginez pas à quel point j'aimais ce son assourdissant. Pourtant il n'avait rien d'agréable à l'écoute et absolument rien de mélodieux. Cela dit, il signait pour moi – ainsi que pour mes élèves – la fin des cours et donc le début de la tranquillité, de la sérénité. Fini les cahiers qui volent, les dictés de cours, les feuilles polycopiées à droite, les crayons à gauche. Les doigts levé de ces Menthae exaspérant. Les avions en papier de ces Lychnis puérils. Les grands discours et les moqueries en fond de classe de Spiraea et des Narcissus. Non, maintenant, il n'y avait plus que moi, seul, accompagné de ma petite chérie. Ne vous méprenez pas, je n'avais toujours pas trouvé de copine malgré mes trente quatre ans. C'était ma clope que j'appelais ainsi. Ah, la cigarette. Une histoire d'amour je vous dis. D'autant qu'elle, elle ne pouvait pas me quitter ! De plus, elle me procurait tout le plaisir dont j'avais besoin. Mais...Attendez cinq secondes. Une clope ne peut pas me quitter, elle me donne du plaisir cependant en contre-parti je l'achète, non ? Ce qui veut donc dire que...UNE CLOPE EST UNE PROSTITUÉE ! Diantre, celle qui m'accompagne depuis toujours peut-être assimilée à une catin ! Par ailleurs cette garce était consommée par des milliers d'autres personnes que moi. Oui, elle me trompait en plus !

Bref, trêve de plaisanteries et revenons-en aux faits. Les cours étaient terminés, je rangeai mes affaires, foutu le tout dans mon porte document et sortis, comme à mon habitude en dernier. Il faut dire que les bougres qui me servaient d'élèves étaient vraiment doués pour ce qui était de détaler. Étant fortement en manque, je ne pus m'empêcher de mettre dans ma bouche une de mes « chéries » en sortant de classe. Fort heureusement, il n'y avait plus personne ici. Car oui, fumer dans l'enceinte de l'établissement était tout bonnement interdit. Sachant qui plus est qu'en tant que prof j'étais censé montrer l'exemple à cette bande de malappris, personne ne devait me voir dans cet état ici. Ailleurs, cela m'importait peu mais au travail, on ne devait pas me voir fumer. C'était la règle. Règle que, pour une fois, j'avais décidé de transgresser. Après tout, il n'y avait aucun risque. Jamais personne ne restait dans les couloirs à cette heure de la journée. Porte document en main, je pressai le pas allant même jusqu'à courir à travers les couloirs. Vite, il faut que je rentre ! Il faut que je rentre chez moi. Voilà à quelques mots près ce que je pensais – rajouter quelques jurons à droite et à gauche et vous aurez le fond de ma pensée – quand soudainement, au niveau d'une cage d'escalier exiguë, je vis un étudiant aux cheveux crème, de dos. Qu'est-ce qu'il fichait là, lui ? Vite, éteignons cette cigarette avant qu'il ne nous voit. Vite ! Mettant un pied devant l'autre et tentant par la même occasion de retirer ma clope, je ratai une marche – je suis un homme, je ne peux pas faire deux choses à la fois, excusez ma maladresse – et fit une magnifique roulade à la façon d'un Grolem ou d'un Donphan. Et bam ! Voilà que je me cogne à l'étudiant après une descente de six ou sept marches. Aïe, je m'étais fais une vilaine bosse. La clope allumée tomba alors de ma bouche pour se poser juste à coté de lui. Misère. J'étais cramé. Quoique...Eurêka, j'ai trouvé ! Prenant un air outré, je pris délicatement l'objet et m'exclamai :

« Oh ! Petit délinquant. Vous fumez dans l'enceinte de l'établissement ? C'est mal ! Fumer c'est mal m'voyez. Fumer dans Alcéa Rosea, c'est encore plus mal m'voyez ! La clope, c'est mal ! Très mal, m'voyez ! Jamais il faut fumer parce que la clope c'est mal ! La cigarette c'est mauvais m'voyez ! Bon, je suis gentil, je ne vais pas te balancer à l'administration, ce n'est pas mon genre. Par contre, tu ne dois plus fumer d'accord ? Parce que la cigarette c'est mal m'voyez. »

Dixit l'homme qui puait la clope à des kilomètres. Mon haleine était imprégnée de l'odeur affreuse que pouvait avoir la nicotine.

La journée avait été plutôt longue. Du moins pour les critères de Gideon. Cours de 9h à la fin d'après midi avec une courte pause pour manger. De plus, les cours avaient été ennuyeux a mourir. Heureusement, la dernière matière était avec le professeur Leak. Gideon aimait bien le professeur Leak. Il avait l'air a peu près aussi mou que lui, et aussi impliqué dans son travail. Une fois la sonnerie passée, le jeune homme rangea ses affaires et sortit rapidement de la classe. Surement une des seules choses qu'il pouvait faire rapidement. Une fois sorti de la classe, le jeune homme alla se poser en bas des escaliers. Il posa son sac au sol et en sortit une petite bouteille d'eau. Il prit son temps pour boire et rangea sa bouteille d'eau.

Si le jeune homme avait été Migalos-Man, son sens de Long-Patte l'aurait averti de l'impact imminent. Mais comme ne l'est pas, il prit tout l'impact du professeur dans le dos. Poussé vers l'avant, il se cogna sur le mur. Un voile noir tomba sur ses yeux pendant une fraction de secondes, suivit par une nuit étoilée. Il secoua la tête et reprit ses esprits. Encore dans le gaz, il entendit l'accusation du professeur sans vraiment réagir au début.

"Excusez moi professeur, vous allez ... Pardon ? Ce n'est pas ma cigarette, je vous le promet ! Je ne fume pas moi !"

Gideon commença a rougir un peu. Il n'aimait pas être le centre de l'attention, encore plus si c'était pour l'accuser a tort. Il sentait très bien que le professeur puait suffisamment la clope pour donner un cancer à un nourrisson. Mais il ne pouvait pas accuser directement un professeur. Par contre, il pouvait très bien jouer au con. Il était bon pour jouer au con. IL fit la tête la plus gentille possible et dit, dans un grand sourire.

"Je suis vraiment désolé de cela professeur. Croyez moi, je sais que la cigarette c'est mal ! Il faut vraiment être très bête pour fumer, car c'est très dangereux, je suis vraiment d'accord avec vous. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire que les fumeurs sont vraiment les gens les gens les plus bêtes du monde ! Je suis vraiment content de ne pas fumer. En plus, fumer dans l'école est dangereux ! L'odeur du tabac colle tellement aux vêtements, on peut se faire pister rapidement ! C'est vraiment une activité stupide ! Je suis bien content que des professeurs comme vous sont là pour proteger notre santé en empêchant les stupides fumeurs de fumer."

« Ah oui ! Ça c'est évident. Heureusement que je suis là, voyons. Sans moi que feraient tout ces pauvres étudiants, hein ? Rien pour sûr ! Nul doute que sans ma magnificence, cette académie ne serait même pas en mesure de tourner correctement. Gidéon, c'est ça ? T'es dans ma classe, toi non ? Me semble que oui, je t'ai eu y'a pas longtemps. Appelle moi Eric, gamin. Inutile d'être trop formel. En tout cas, je suis content de voir des gens comme toi. Des personnes qui comprennent toute l'importance de ma sainte personne. »

Ridicule. J'étais tout simplement ridicule. Et le pire c'est que je croyais vraiment en mes dires ! En effet, je m'étais levé et me tenais tel un humble paon, le torse bombé, les regard fier, devant le garçon à la crinière mi brune mi blonde. Non, je n'avais pas vraiment compris l'ironie de l'étudiant. Bien au contraire, j'avais tout pris au premier degré, voyant ainsi son laïus comme une flatterie alors qu'en vérité c'était tout le contraire qu'il avait voulu faire. Vous savez, parfois j'avais quelque difficulté à comprendre les sarcasmes de ces jeunes. À croire que ce n'est plus de mon âge. Ce n'est qu'après quelques secondes de blanc qu'en me remémorant mot pour mot les paroles de Gideon que je compris l'astuce. Les sourcils froncés, je m'avançai, posant un regard accusateur sur l'étudiant en master.

« … Mais en fait tu te paies ma tête là ? Non ? »

Ah, je sais ce que vous êtes en train de vous dire. « mais qu'est-ce qu'il est long à la détente celui-là » et bien oui ! Et j'assume. J'assume tout vous dis-je. Je suis lent à comprendre et ce n'est pas un soucis en soi. Toujours est-il que la clope était par terre – il y avait aussi une petite bouteille d'eau mais ça, on s'en fichait pas mal – et que nous allions bien devoir en faire quelque chose de cette cigarette. Mon coté citoyen étant en éveil, je me courbais afin de prendre le petit objet. Objet que je montrais à Gidéon tout en sortant de plus belle des absurdités. Car oui, je n'avais pas encore atteint mon quota pour la journée.

« Bon, on ramasse ça histoire que ce ne soit pas visible par je ne sais trop qui. Au fond, je la jetterai bien à la poubelle puisque comme dit précédemment, la cigarette c'est mal mais mon papa m'a toujours appris à ne rien gâcher. Parce que gâcher c'est mal, m'voyez. Peut-être même plus mal que fumer. Donc on va pas gâcher cette cigarette. T'en veux ? Ah, non c'est vrai, tu fumes pas toi ! »

Un sourire se dessina alors sur mes lèvres. Si j'avais été honnête et si j’avais été au bout de ma pensée, j'aurai sans aucun doute conclu ma replique par un « Bah, tant mieux ça en fera plus pour moi » chose que je ne fis pas afin de ne pas me griller plus que ce que je pouvais déjà l'être actuellement. Prenant mon air de chien battu, mes yeux se posèrent successivement sur la clope puis sur mon interlocuteur non fumeur.

« Bon, ce que je vais faire est grave mais je le fais pour le bien commun. Je vais finir cette clope histoire de ne rien gâcher, tu comprends ? Je sais que c'est « mal m'voyez » mais je vais le faire quand même pour le bien de la communauté, pour le bien d'Alcea Rosea en somme. Apprécie ce doux sacrifice que je fais pour toi, Gidéon. »

Sans plus attendre, je mis la clope presque terminée dans ma bouche et tirais une grande bouffée. Pwah ! Ça faisait du bien. Bon, par contre Gidéon n'avait pas tort, ça puait pas mal mais quand on aime, on ne sent pas – et ne compte pas mais là n'est pas le propos –, après avoir pris une bouffée « d'air », je jetai de nouveau un regard inquisiteur vers le Lychnis.

« Ne me regarde pas comme ça, je fais pas ça par plaisir mais pour la communauté ! Pour le bien collectif, te dis-je ! Un de ces jours, les peuples des quatre coins du monde me remercieront pour mes actes héroïques, sois en certain. »