Le soleil avait déjà émergé de l'horizon lorsqu'elle s'est réveillée. Sur le lit d'à côté, enfouie sous les couettes, un corps dormait encore, comme toujours, et il faut marcher doucement. La manie de préparé sa tenue pour le lendemain s'était développée depuis et le temps de les coincer avec le linge et ma trousse de toilette que sa silhouette disparaissait de la pièce. On nous disait de pas nous doucher trop tard ou trop tôt, mais jamais encore personne ne s'était plein qu'elle prenne la sienne aux alentours de six moins le quart, six heures et quart.

En se brossant ces dents qui ne seront plus jamais blanches, la soirée d'hier est repassée en boucle dans son esprit. Cette soirée avait été très chouette avec Jude, la journée passée avec Milla aussi, comme quoi sa destinée est d'être l'amie de tout le monde. Son intégration ici est complète, elle n'allait pas se plaindre d'avoir des amis ou de bons fournisseurs. Elle examinait une dernière fois sa tenue en se demandant si le vert avec ses cheveux blonds ne faisait pas trop mainstream, une touche de doré avec un collier mince et une ceinture brune en cuir fine. Sûrement que lorsque sa chevelure aura séchée, elle se ferait une couronne de tresse, oui, ça doit bien aller avec, additionné à des boucles d'oreilles grandes.

Avec mes chaussettes roses aux imprimés kitch, glisser sur le sol impeccable des couloirs était mon grand plaisir. La tour faisait partie des endroits qu'elle préférait : premièrement il y régnait la tranquillité, deuxièmement Kean ne viendrait jamais ici et puis elle en a marre de devoir courir. Son rituel matinal ? Se lever, fumer, se doucher, sortir un peu ses pokemons, se brosser les dents, s'habiller et puis fumer son joint avant le petit déjeuner histoire de pouvoir finir son repas. Généralement, elle s'installait dans un bon gros fauteuil et reprenait sa lecture de la veille. Sous ses apparences d'artificielle, Mary restait une intellectuelle. Trop imbue de sa personne pour être une idiote. Trop capricieuse pour vouloir être dérangée par qui que ce soit. Apparemment pas.

▬ Hm.
Non, elle n'aimait franchement pas être dérangée dans ce genre de moment.

La fumée de la cigarette était âpre et opaque. Contre son gros fauteuil, Mary lisait encore son livre. Ça lui arrivait souvent, ces derniers temps, fumer seule, calée dans un coin, comme angoissée et habitée. Mary n'ignore pas les foisons de rumeurs dont elle est l'objet. Certaines, complètement farfelues le feraient presque rire. D'autres, narquoises, pernicieux ragots aux accents de vérité colportés par quelques jaloux entachent sa réputation ; elle n'y prête pas plus d'attention pour autant. En revanche, ce sont les racontars des hommes flétries par ses caresses, brisées par sa cruauté, émergeant enfin des bas fonds qui l'inquiètent. On raconte, suppose, imagine tant de chose au sujet de l'héritier. On l'affuble des lauriers de la vertu, le couvre d'éloges de beauté et d'honneur, quand on n'énumère pas ses liasses de défauts, l'accuse de moult coups pendables, souligne l'horreur de ses vices. Pourtant, Mary vaut tellement plus que ça. Ce n'est pas seulement l'irrésistible petite princesse du haut de sa tour, le monstre merveilleusement abject qui meurtrit les coeurs, ou la fille de riche ingrate qui déclame des salves d'obscénités. Derrière sa carapace grossière, Mary dissimule quelques vestiges ébréchés de douceur et de finesse. Sa mélomanie par exemple.

Il n'y a qu'une personne qui ait un jour fréquenté ces Mary-là ; la petite fille qu'elle fut autrefois, la femme qu'elle est aujourd'hui. Quelqu'un qui soit allé l'explorer jusqu'à l'âme. Jusqu'à ce que la porte ne s'ouvre sur une connaissance. Elle a son prénom sur les lèvres. Galvanisée par l'adrénaline, elle ne l'a pas entendu débarquer. Elle pince les lèvres. L'oeil critique de Mary blâme l'attitude prolétarienne de Yuki. Pourtant, elle la contemple un moment, cloîtré dans un silence moqueur. Elle lève les yeux au plafond, et lâche un profond soupir.

▬ Encore à jouer à Miss Matinale débile. Putain, Yuki, tu crains.

Elle adopte une expression outrée en regardant le yukata de la demoiselle, avec un air faussement aristocratique. Un petit rire narquois s'échappe de ses lèvres, et elle glisse un doigt sur le livre afin de tourner la page.