Blue moon
La nuit est sombre et humide, comme toujours dans les forêts tropicales. Et, comme d'habitude, la brume envahit l’espace, percée uniquement des quelques lampes torches qui encrent cette scène dans le réel. Voguant de point de lumière en point de lumière, j’entraîne les quelques pokémons rescapés de la tempête de la veille à travers nos campements de fortunes.
«
_ Tu tiens le coup Iwasuru ? T’as pas eu la tâche la plus facile. _ Ca ira. »
Une tâche difficile, en effet, surtout lorsque la pluie se met à tomber. Rajustant le gant de cuir entourant ma main droite, je rejoins les autres rangers massés autour d’une grotte dont l'entrée est pratiquement obstruée par les rochers.
«
Ta lampe torche Iwasuru. Regarde si tu peux encore nous en ramener quelques uns. Après, nous serons obligé d'évacué la zone. »
Mon mentor s’écarte légèrement de moi, son regard se fait soucieux, puis résigner. Comme s'il avait l'impression que mon retour là dedans signait mon arrêt de mort. C'est stupide. Je risque ma vie depuis tout à l'heure : il faut récupérer les pokémons blessés à l’intérieur de cette grotte. Fin du message. Bien évidemment, le boss a oublié de préciser que la dite grotte est aussi résistante qu’un château de carte. Sympa la politique du travail, vous ne trouvez pas ?
«
_ N’oublie pas, cette fois-ci tu ne t’attardes pas. _ J’avais cru comprendre sensei. _ Oh, gamine ? »
Je grimace en le fusillant du regard. J’ai beau avoir seize année derrière moi et risquer ma vie dès que je mets un pied dehors, Tokichi -mon mentor- continu et continuera surement de me traiter d'enfant dès que l'occasion se présentera.
«
_ Ne meurs pas, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. Et emmène Tiplouf avec toi. _ Yes boss… »
Comme si j’avais l’intention de mourir tiens… Tokichi avait toujours été une présence « rassurante » (notez l’importance des guillemets dans cette phrase s’il vous plait) qui réussissait toujours à me pousser vers l’avant et à me faire sortir de mes gonds en me bassinant une demie heure avec ses sermons : « Tu vois fillette, être ranger, c’est se soucier du bien-être des pokémons sans ressentir le besoin de les posséder. ». Heureusement qu’il passait le trois quarts de ses journées enfermé dans son bureau, sinon je n’aime autant pas vous dire a quel point j’aurais pris plaisir à faire de sa vie un enfer… Et croyez le ou non, je l’aime bien mon mentor, au final.
«
File. »
La voix grave de Tokichi me fait redescendre sur terre, j’acquiesce en silence et me met à plat ventre pour passer par une brèche étroite. Et si vous croyez que ce n’est pas douloureux de ramper sur un sol boueux, je vous invite à penser aux milliers de petits graviers dissimuler par l’eau trouble. Donc oui, ça fait extrêmement mal. De surcroît lorsque l'on s'écorche les bras contre les parois.
Je rampe jusque de l'autre côté et me redresse, légèrement endolorie et tire ma seule et unique pokéball de ma besace.
«
Tiplouf… j’ai besoin de toi. »
Dans un vif mouvement du poignet, je lance la pokéball et m’avance de quelques pas. Tiplouf apparait dans un bruit sourd et vint aussitôt se presser contre ma jambe, le corps secoué de légers tremblements. Ah… J’avais oublié qu’il avait peur du noir.
«
Attend. »
J’allume la lampe torche.
«
Voilà, ça va mieux?_ Plouf! me lance t-il d'un ton dédaigneux»
Tiplouf n’aime pas le noir ou les pokémons plus grands que lui, mais ça ne l’empêche pas d’avoir un très mauvais caractère. Ironique n’est-ce pas ? Je lui lance un regard sceptique et m'aventure dans les dédales de cette grotte, lampe torche en main.
Enfin, je ne vais pas m’attarder sur cette histoire. La suite n’est ni heureuse ni palpitante. La grotte s’est effondrée bien sûr, avec moi à l’intérieur. Pourquoi ? Va savoir, elle ne tenait plus qu’à un fil de toute façon, faut croire que je n’aurais pas dû tenter ma chance une seconde fois. Trop de risque.
Mais comme je ne suis pas un esprit ni une morte vivante, vous devez bien vous douter que malgré ça j’ai survécu. Un coup de chance de toute évidence. Une pierre est tombée tout près de mon pied mais, ne m'a pas touchée, j'ai eu le temps de me réfugier dans une alcôve avec Tiplouf. Maintenant on m’appele la « miraculée » à la base. Et Tokichi ne veut plus que je mette un doigt de pied sur une mission de sauvetage. Trop jeune, m’a-t-il dit. A croire que je n’avais pas déjà risqué ma vie une bonne vingtaine de fois. A la place il m’a proposé d’aller étudier dans une académie.
Alcea Rosea si ma mémoire est bonne, la première académie de dresseur pokémon.
Si tu réussis ton diplôme, tu pourras revenir. Ben voyons, il espère surtout que j’abandonne la voie du ranger en cours de route. Enfin, je n’ai pas grand-chose à perdre. C’est pour cela que j’ai accepté son marché. Je passe mon examen, je cartonne et je retourne m’exiler dans notre bonne vieille forêt. Simple non ?
What?!
Six mois plus tard...
- En déplacement dis-tu ?
Son regard se pose sur le visage grave de son tuteur sans grand entrain, l’écran pixélisé du vidéophone se figeant un moment avant de dévoiler le rictus moqueur de Tokichi.
- Je m’attendais à une toute autre réaction Sayuri. Pas plus enthousiaste à l’idée de voir ton cher mentor ?
- Tu n’es pas du genre à te déplacer alors que je suis censé venir te rendre visite durant les prochaines vacances.
- Toujours aussi perspicace. En réalité je vais rendre visite à un vieil ami.
Le sourcil de la menthae s’arqua lentement au dessus de son œil droit. Tokichi se déplaçant pour une simple visite ? Tiens donc. Voilà qui n’était pas très… coutumier.
- Toi, rendre visite a un ami qui séjourne à l’autre bout du continent ? Qui êtes vous et qu’avez-vous fait de mon tuteur ?
- Je suis plié en deux jeune insolente.
Il ne rit pas, mais un sourire amusé s’épanouit sur son visage. Un sourire auquel Sayuri répondit. C’était rare de le voir sourire aussi librement. Même pour elle qui avait passé toute son enfance collée à lui comme une mère dragofeu protège ses petits.
- Plus sérieusement jeune fille. Cette affaire te concerne.
- Tes réponses incomplètes sont aussi agaçantes que le mystère que tu installes.
- Il est un peu tôt pour que je t’en parle. Mais si tous se passe bien, tu devrais en savoir plus lorsque tu me rendras visite pendant les vacances.
- Tokichi…
Le ton était bas et menaçant, et le froncement de sourcil qui plissait le joli visage de l’Iwasuru n’avait rien de rassurant. Agacement qui ne sembla pas atteindre Tokichi, qui sembla tout de même disposé à répondre.
- Il se pourrait bien que tu ne sois pas enfant unique finalement. Prends soin de toi Sayuri.
- Quoi ? Co…
Elle s’interrompit. Il avait déjà raccrocher.