Nom, prénom, signature, bagage, clé de chambre, visite, se souvenir, ne pas se perdre, ne pas jurer, sourire, salles de classe, manger, et proprement. Trop, trop de choses qui s’enchainent dans sa tête, comme une série infernale de diapositives qui défile. Première journée, première impression. La première impression est capitale. Les gens vous jugent surtout sur cet instant précis où ils aperçoivent votre visage. Il faut toujours être parfaite, ne pas commettre la moindre erreur, sinon, tout est foutu. Et puis arrive enfin l’instant où la nuit tombe, où l’obscurité camouffle ses traits tirés par la tension et l’agacement constant. Se sentant enfin libre, Leah se glisse silencieusement en dehors de sa chambre, avec une discrétion offerte par l’expérience. Il lui faut moins d’un quart d’heure pour quitter l’établissement, parfaitement sure de ne pas avoir été vue. Et un autre quart d’heure pour atteindre l’endroit qui, pour elle, est la représentation même de sa liberté : la mer.

Avec une élégance digne d’une princesse, la jeune fille s’arrête là où le béton cède la place au sable, enlève délicatement ses chaussures et ses longues chaussettes. D’une démarche lente, elle vient se poster devant les vagues, jette un coup d’œil à droite, un à gauche. Très rapide. Pas assez attentif. Car lorsqu’elle balance ses chaussures et sa veste dans le sable, et s’abandonne à sa liberté, elle ne se doute pas qu’un regard la scrute. Ne se souciant plus des convenances, elle pousse un cri vers l’horizon. Elle crie sa frustration, sa liberté. Elle court droit vers l’eau, jusqu’à ce que celle-ci menace de tremper sa jupe plissée. Elle tourne, tourne, tourne sur elle-même, perd l’équilibre, tombe à l’eau, et se relève avec un grand rire. Rejoignant finalement la rive, elle libère son caninos qui, découvrant pour la première fois la mer, y trempe une patte, puis recule précipitamment. Finalement, Leah se laisse tomber sur le sable, son pokemon lové contre son flanc. Liberté, oh, liberté.

Goutte. Goutte. Goutte. Les yeux fermés, Leah pouvait distinctement sentir l’eau tomber sur la peau nue de son visage. Elle n’ouvrit les yeux que lorsqu’Anthrax s’écarta brusquement pour esquiver les gouttes. Il faut dire que l’eau, ça n’a jamais fait bon ménage avec un pokémon feu. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant une masse violacée juste au-dessus d’elle, dégoulinant d’eau salée. Après un moment de surprise, elle reconnut la forme familière d’un smogo, qui, visiblement, s’amusait à faire chier son monde. Avec un petit sourire en coin, la jeune fille se releva brusquement et courut jusqu’à l’eau, qu’elle projeta, d’un grand mouvement de bras, sur son assaillant. Le rire fusa, naturellement. Jouer dans l’eau comme des gamins, ça lui avait manqué. Trempée, elle se laissa tomber en arrière, sa chute amortie par les vagues. Un avertissement de son caninos, resté sur la rive, la ramena à la réalité. Un smogo tout seul au milieu d’une plage ? Peu probable. Oui, il y avait bien quelqu’un en train d’assister à toute cette scène. Quelqu’un dont le visage lui était un peu familier. Surement une illusion due à l’obscurité.

Maintenant venait le grand dilème. Tenter de rattraper le peu de dignité qu’il lui restait ? Ou jouer carrément cartes sur table ? Elle choisit la première option. Il serait toujours temps de revenir à la seconde plus tard. A pas lent, elle rejoignit le banc de sable et se dirigea vers le jeune homme, son adorable sourire d’excuse, travaillé encore et encore, étirant ses lèvres.

- Veuillez m’excuser monsieur, j’ignorai qu’il y avait quelqu’un ici.

Elle n’avait qu’une envie, c’est de le dégager à coup de pied au cul pour avoir la paix. Mais pas question de jouer les effrontées insolentes, il y avait trop de risque qu’il appartienne à l’académie.

Et bam, prend ça dans la face la mioche. C’était un peu ce qu’elle ressentait en cet instant. Depuis qu’elle jouait à son jeu de fille modèle, personne n’avait ainsi ignoré son sourire. Un sentiment étrange se faufila en elle : frustration ? Agacement ? Suffisance ? Alors c’était ça, le sentiment de la défaite, quand on a l’habitude de tout avoir. Cela lui tira un sourire intérieur. A force, elle commençait à se prendre au jeu au point de ressentir des émotions qu’elle ne connaissait pas jusque-là. Plutôt intéressant, comme expérience. Elle avait presque envie de le titiller un peu, pour voir. Et quelque chose en lui l’intriguait. Son visage, sa carrure, sa voix ? Sa voix en tout cas était rassurante à ses oreilles. Définitivement familière.

- Rocket, hein ? Moi c’est Leah. Leah Berley. A qui ai-je l’honneur ?

La jeune fille hésitait. S’il n’était pas de l’académie, c’est décidé, elle se lâchait. D’ailleurs, pendant qu’elle y était, ça ne servait à rien de laisser Face dans sa pokéball. Après l’avoir vue jouer comme une gamine dans la flotte, son image de fille parfaite était ternie. Elle libéra donc son posipi, qui, comme pendant l’après-midi, entreprit de courir dans tous les sens, entouré d’un grésillement constant d’électricité. Ouai, une vraie pile. Et la pile en question entreprit de courir autour du smogo, tout aussi enthousiaste à l’idée d’être libre de s’amuser. Anthrax, lui, vint se poster aux pieds de Leah, ignorant royalement les autres individus présents. De son comportement de chiot joueur, il ne restait plus aucune trace.

On disait toujours à propos de Leah qu’elle était assez belle pour attirer l’attention, mais pas assez pour la retenir. Et à force d’exemples flagrants, elle avait fini par le voir comme une vérité sans faille. Quelle ne fut donc pas sa surprise en voyant filtrer un éclat d’intérêt dans le regard du jeune homme. En général, les gens l’admiraient pour son comportement de jeune fille parfaite. « Tu devrais ressembler davantage à Leah, elle est pas chiante, elle », ou « elle au moins c’est une vraie fille ». Voilà ce que les hommes disaient à leurs copines. Sans jamais penser un seul instant à la voir comme une copine potentielle. Bon, certes, cela l’arrangeait bien, mais ça avait un côté plutôt vexant. Une jolie poupée dans une vitrine de verre, voilà ce qu’elle était devenue depuis que sa grand-mère l’avait récupérée. Et la gamine écervelée qu’elle était réellement, qui aurait songé à la voir comme une partenaire possible ? Elle tenait davantage du chimpanzé que de la jeune fille, dans ce genre de moments. C’est pour cela que, malgré l’incompatibilité évidente existant entre les deux jeunes gens, elle ne put s’empêcher de se sentir flattée par cette attention. Par cette petite lueur dans ce regard.

Drake Eastwood. Il lui fallut un bon moment pour réaliser, s’étouffer dans une toux de surprise et reprendre ses esprits. Le champion Drake en personne. La pire situation au monde. Et dire qu’elle avait lâché son posipi surexité devant lui. Attrapant sa pokeball, elle fit revenir cette dernière à l’intérieur. Pas question de se ridiculiser davantage. Opération poupée, lancée.

- Pardon, je … je ne m’attendais pas à croiser quelqu’un comme vous ici.

A la réflexion, celle n’avait rien à faire là à cette heure-ci, puisqu’elle avait fait le mur pour s’échapper de sa chambre. Le rouge lui montant légèrement aux joues, ses pieds nus triturant le sable sous elle, la parfaite petite fille timide. Elle avait entendu pas mal de choses sur les champions, des admirations, mais aussi des choses moins reluisantes. Rumeurs de couloir ou réalité, elle ne savait que penser. Mais une chose était sure, il avait le pouvoir de lui attirer des emmerdes, et rentrer chez elle était la dernière chose qu’elle voulait. Ravale ta fierté et fait profil bas. C’est la clé de ta liberté, petite Leah.

Son ton lui écorcha les oreilles. Mais pour qui il se prend celui-là ? Sous prétexte qu’il fait partit des champions, il pense qu’il peut la mépriser ? En cet instant, elle avait une folle envie de lui envoyer sa grand-mère aux miches. Elle était l’un des meilleurs dresseurs qu’il lui eut été donné de voir, il fallait bien le lui accorder. Elle remettrait ce jeune homme à sa place en un rien de temps. Mais pour l’instant, sa grand-mère n’était pas là, et elle n’avait d’ailleurs aucune envie de la voir. Mieux valait donc ravaler son indignation. Par contre, pas question de ne pas réagir. Discrètement. Sans se départir de son rôle de poupée de porcelaine. Avec son délicat petit sourire étirant ses lèvres, la jeune fille s’accroupit devant lui, plaçant son visage à la hauteur du sien. Une de ses mains alla se balader dans la fourrure de son compagnon à quatre pattes, qu’elle regardait avec un sourire timide.

- Fille de star ? Non, surement pas. Mon père est un simple marin.

A la fin de sa phrase, son sourire se transforma légèrement, passant du soumis au taquin. Son regard, lui se releva dans un battement de cil, pour aller se ficher dans celui du dénommé Drake.

- Ma grand-mère, par contre, était championne d’arène.

Prend toi ça dans ta ganache. Pour une fois que sa grand-mère s’avérait utile. Elle se releva ensuite, pour aller récupérer sa veste et ses chaussures, laissant derrière elle une trainée de sable mouillé. Elle enfila la veste tailleur noire et rouge, essayant d’y trouver un peu de chaleur, et revint aux côtés du jeune homme, chaussures à la main.

Garder son calme, garder son calme, garder son … trop tard. La provocation ? L’aveuglement par la colère ? Elle plongea la tête la première dans le panneau, et continua à s’y taper la tête. D’ordinaire, elle arrivait plus ou moins à garder son calme, mais quelque chose chez lui l’agaçait prodigieusement. C’était quoi ce ton supérieur ? Il voulait se faire étriper ? Déjà, dans la tête de la jeune fille, c’était un déluge d’insultes et de remarques acerbes. Le rouge lui montait aux joues sous le coup de la colère, et sa mâchoire se serrait, jusqu’à y laisser deviner les muscles contractés. Il voulait jouer au plus fin ? Il allait voir. Elle avança subitement son visage, jusqu’à ce que le dénommé Drake ne puisse plus dévier son regard des yeux incendiaires de la jeune fille. Pourtant, malgré la bombe qui s’apprétait à exploser, elle était étonnement calme, un sourire narquois ornant son visage. Et le déluge commença.

- Oh, insulter les grands-mères, quelle finesse. Tu veux que je m’en prenne à ta famille moi ? Que je vante le motocultage de ta mère ? On va voir si ça va te faire rire. Alors comme ça je suis n’importe qui ? Pourtant je suis bel et bien là, et tu ferais mieux de t’écraser un peu si tu veux pas que je t’encastre les couilles dans les poumons. Et après tu t’en prends à mon père. Sur le tien aussi je pourrais trouver des blagues dégueulasses et dégradantes à balancer, pour qu’on rigole un coup. Mais si parmi toutes ces options tu préfères que je t’envoie la mamie au fion, ça peut se faire. Je savais pas que tu appréciais tellement les femmes mûres. Je suis sure qu’elle sera ravie de faire un tour dans ton pieu.

Oui, que de délicatesse. Elle n’avait jamais vraiment appris à renvoyer bouler de manière élégante. Elle avait déjà fait beaucoup d’effort sur son vocabulaire. Mais ça n’avait pas suffi à la défouler. La colère continuait à suinter par ses pores. Alors pour joliment clôturer son discours, elle appliqua soigneusement la semelle de ses chaussures, qu’elle tenait toujours à la main, sur le visage de son interlocuteur, et exerça une vive pression pour l’envoyer en arrière. Puis elle se releva prestement pour s’éloigner d’un pas raide. Quelques pas plus loin elle s’arrêta tout de même, se retourna pour lui balancer sur un ton hautain.

- Oh, et au fait, mon père est officier sur l’océane. « Eh ouai, ça te la coupe hein ? »

Il l’a appelée sale garce là ? Elle se retourna, prête à répliquer. Etrangement, même si elle était ivre de colère, elle s’amusait. Ouai, elle se fendait bien la gueule. Il avait du répondant, et elle une folle envie de lâcher toute la pression qu’elle avait subie dans la journée. Elle revenait vers lui à grand pas lorsqu’il prononça le nom de son père. Prénom compris. Nan mais d’où il le connait lui, le nom de son père ? Il y en a pas qu’un seul d’officier, sur l’Océane ! Bien décidée à élucider ce mystère, elle se planta devant lui, alors qu’il lui criait « Ma sœur » dans les oreilles. Attend … Il la traitait de bonne sœur ? C’était quoi cette insulte ?

- Bonne sœur ? T’as pas mieux ? Dans le genre insulte à deux rond je fais … mieux …

Il lui avait fallu du temps pour réagir. Sœur ? Sa sœur ? Elle s’était immobilisée, les yeux braqués dans les siens. Il pleurait ? Elle-même ne savait pas trop ce qu’elle devait dire. Se foutre de sa gueule ? C’était forcément une blague tout ça. Elle arrivait ici et dès le premier soir elle rencontrait son frère caché ? Et puis ses parents n’étaient restés ensemble que deux ans. Comment ils avaient pu lui pondre un grand frère dans cette période ? A moins que ce ne soit que son demi-frère ? C’est vrai que son père ne devait pas avoir eu qu’une seule femme dans sa vie. Sa poitrine recommença à se soulever au rythme de son souffle, alors qu’en se levant sur la pointe de ses pieds, elle allait poser son index sur la joue du jeune homme, comme pour voir s’il était bien réel.

- Eh, toi, t’es pas en train de te foutre de ma gueule là ?

Sa voix manquait de punch. Dans sa tête, c’était le chaos. Tout était en train d’être chamboulé. Ses peurs, ses certitudes. Si c’était vrai, ça changeait tout. Un élan de rancœur la traversa d’abord. Il l’avait trahie. S’il était son frère, alors c’était son devoir de la protéger, et pourtant, il l’avait abandonnée avec sa grand-mère. Il aurait dû venir la chercher. Il l’avait laissée toute seule. Elle tenta tout de même de remettre de l’ordre dans sa tête.

- Tu serais mon demi-frère ? Pourquoi tu le dis que maintenant alors ? Ouai, pourquoi tu te pointe que maintenant, la bouche en cœur, pour me dire que t’es mon frère ?

Elle avait l’impression d’étouffer. C’est vrai que son visage ressemblait un peu à celui de son père. La même forme. Et sa voix. Elle se rappela sa première impression de sa voix. Presque identiques. A la fois terriblement rassurant, et effrayant. Désormais, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle essayait d’y trouver le plus de détails possible, le plus de ressemblances. Et de différences. Il était beaucoup plus trapu que lui, et plus petit. Sa main s’abaissa, jusqu’à arriver à la hauteur de son torse, où elle donna un léger coup de poing.

- T’as pas intérêt à te foutre de moi hein, sinon je vais te le faire payer !

Tout concordait, en effet. De mémoire, il n’y avait jamais eu un autre Clint sur l’Océane. Et cette manière dont son père s’était accroché à elle quand sa mère avait voulu l’emmener avec elle était certainement une manière de se rattraper d’avoir abandonné son fils. Cet enfoiré avait abandonné son fils. Sa première famille.

- Ce satané fils de pute ! Il a même pas eu les couilles de me le dire !

Elle lui avait pourtant réclamé plusieurs fois une petite sœur quand elle était gamine. Pourquoi il ne lui avait jamais dit qu’elle avait déjà un grand frère ? Sa rancœur, déjà bien ancrée, contre son père, frisait désormais pratiquement la haine. Et elle rejeta une partie de cette rancœur sur le dos de ce membre de son étrange famille qu’elle venait de rencontrer.

- Tu m’as laissée toute seule ! Tu m’as trahie ! Et tu te dis mon frère ?

Oui, s’il avait été là, tout aurait été différent. Elle en avait la certitude. Il l’aurait défendue. Elle n’aurait pas été seule. C’était son devoir de la défendre. Il aurait dû venir la chercher, l’emmener avec loin de tout le bordel qu’elle avait laissé derrière elle. Elle n’aurait pas eu à croupir dans sa propre merdre pendant deux ans. Elle aurait tout donné, y compris son Caninos, pour revenir trois ans en arrière et pouvoir s’abriter derrière le dos de son grand frère.

- Pourquoi tu n’es pas venu me chercher ? Pourquoi tu m’as pas protégée ?

A présent, elle aussi pleurait. Satané sentimentalisme. Elle se sentait réellement abandonnée. Mais au-delà de ça, elle se sentait aussi un peu moins seule. Petit à petit, il commençait à germer l’idée, dans son esprit, qu’elle n’était plus fille unique. Qu’elle n’avait plus à se débattre seule.

- T’as intérêt à te rattraper tu m’entends ? T’as intérêt à te rattraper pour toutes les années où tu m’as laissée seule !

Sous le coup de l’émotion, ça voix déraillait, vrillant dans les aigus. Elle avait un frère. Elle avait un frère. Cette phrase tournait en rond dans sa tête. Comme une chanson. Elle allait pouvoir se laisser aller, arrêter de mentir et de se cacher. Elle allait avoir quelqu’un avec qui parler de tout ce qu’elle n’avait jamais dit à personne. Mais si lui non plus ne l’acceptait pas comme elle était ? Si lui aussi, dégoûté d’avoir une sœur comme elle, il la rejetait comme son père l’avait fait ? Si lui non plus ne voulait plus la regarder dans les yeux ? Elle s’accrochait d’ailleurs à son regard, comme à une ancre. Elle ne voulait pas perdre ce regard, ni le frère qu’elle venait juste de se découvrir. Tant pis, elle mentirait encore. Mais surtout, elle ne devait pas le perdre. Surtout que s’il ne voulait plus d’elle, il lui serait facile de la renvoyer chez sa grand-mère vivre encore deux ans d’enfer. Oh non, elle ne retournerait pas là-bas, quoi qui lui en coûte. Il y a deux ans, elle avait décidé de couper ses liens avec tout ce qu’elle avait laissé derrière elle. Mieux valait ne pas essayer de renouer ces liens, et s’assurer un avenir loin de cette bande d’hypocrites. Toute à ses décisions, son visage se recomposait peu à peu. Elle essuya ses larmes d’un revers de poignet, et ses yeux se teintèrent d’une détermination sans faille. Il ne se débarrasserait pas d’elle comme il lui chantait. Elle s’agripperait à lui de toutes ses forces. Pas question de le laisser partir.

L’effusion d’affection surpris la jeune fille. Certes, elle avait eu des amis qui lui faisaient des câlins, mais jamais des membres de sa famille. Son père n’avait jamais été très affectueux, et sa grand-mère encore moins. Elle enroula un bras autour de la taille de son demi-frère, posant l’autre sur son bras. Et dire que cinq minutes avant, elle lui avait foutu un coup de chaussure sur la face. Et il s’excusait en plus cet imbécile. Comme si ses reproches étaient valables. Bien sur qu’il ne pouvait pas venir la chercher s’il ne connaissait pas son existence ! Et puis arriva le mot qui la fit frissonner. Le mot qui ne présageait rien de bon : Mais. Pourquoi fallait-il toujours un mais ? C’était quoi cette arnaque ? Encore la même excuse ? « C’est pour toi que je fais ça Leah », toujours la même excuse. On doit se séparer ? Il l’abandonnait ? Et il n’avait même pas les couilles de le lui dire en face.

Voila, encore la même histoire. Encore un qui voulait se débarrasser d’elle. Sois belle, tais-toi, sois gentille, et reste loin. Voila ce que voulaient tous les hommes. Tout juste bons à faire des gamins. Et les imbéciles comme elle et sa grand-mère leur obéissaient gentiment. Sa mère avait eu bien raison de se tirer avant de finir comme elles. Elle avait l’impression de sentir ses bras autour d’elle, alors qu’il l’abandonnait. Les larmes recommencèrent à couler, malgré ses dernières résolutions. Voila, c’était fini. Elle commençait déjà à s’attacher à lui, à s’imaginer passer du temps avec lui, casser la gueule des mecs qui la ferait chier, et non, il l’abandonnait.

- Tu te fous de ma gueule ?

Elle criait, incapable de se contenir. Oui, c’est ça, il se foutait de sa gueule, cette fois. De rage, elle lui balança sa chaussure à la tête. Manquant sa cible, celle-ci alla s’écraser sur son épaule avant de retomber dans le sable.

- Tu vas le regretter si tu fais ça ! Je te rendrais la vie impossible !

Et pourtant, elle savait qu’elle ne le ferait pas. S’énerver contre lui, s’était facile. Mais elle ne parvenait pas à le détester suffisamment pour vraiment se venger. Elle le voulait, juste pour elle, comme on veut un jouet. Elle voulait qu’il fasse attention à elle, qu’il la protège. Pas qu’il la laisse simplement tomber.

- Tu vas faire quoi au juste ? Me faire virer pour me renvoyer chez la vieille folle ? Compte pas sur moi, si tu fais ça, je balance partout que je suis ta sœur, tu pourras plus m’ignorer ! TU TE DEBARRASSERAS PAS DE MOI COMME CA !

Elle avait recommencé à hurler, à pleins poumons. Le menacer était sa dernière solution, son dernier recours. Elle voulait qu’il reste.

Sur un simple ordre de celui qui s’avérait être son frère, les deux pokémons s’éloignèrent. Pour le moment, elle avait d’autres préoccupations. Comme par exemple comment garder son frère près d’elle. Mais visiblement, il n’avait pas l’intention de s’en aller dès maintenant. Il s’asseyait sur le sable, où elle le rejoignit quand il le lui demanda d’un signe. Sa réplique lui tira un pouffement au milieu de ses larmes. Son beau visage ? Qu’on complimenta ses yeux, elle le concevait. Mais son visage n’avait vraiment rien de particulier. Elle attrapa tout de même le mouchoir, s’essuya rapidement le visage, et se moucha. La main sur sa joue la fit sursauter, puis sourire. Il n’avait pas l’air de la détester, finalement. Elle se pelotonna contre lui en fermant les yeux. C’était la première fois qu’un homme la prenait ainsi dans ses bras. Une pensée lui tira un sourire amusé : si ça n’avait pas été son frère, elle se serait enfuie en courant. Et alors il commença à parler. Elle l’écouta, les yeux levés vers lui, buvant ses paroles. Danger de mort ? Alors ça allait jusque-là ? Elle n’avait que peu entendu parler de la team Mirage depuis son arrivée, et elle ne se doutait pas qu’ils puissent être aussi dangereux. Elle frissonna. Le reste de son discours, en revanche, lui tira un sourire. Un peu jaune.

- C’est moi où tu essayes de te justifier ? Ou de te faire pardonner ton camp ? Tu sais si on écoute les rumeurs, là d’où je viens, je suis juste bonne à balancer par-dessus bord.

Le jeu de mot la fit rire intérieurement. Par-dessus bord. La bonne blague.

- Ne te prend pas là tête là-dessus. Je vais pas te juger sur des rumeurs de couloirs. Et puis tu peux bien être un enfoiré, j’en ai rien à cirer. J’ai toujours eu des problèmes avec les personnes bien pensantes, alors ça marchera peut-être mieux avec les raclures.

Petit rire. Ce qu’elle était, pour certain, était un crime en soi. Une abomination. Alors elle pouvait se classer dans les raclures sans trop de problèmes.

- Je saurais me défendre tu sais. Mais comme je me doute bien que tu ne vas pas me croire, je suppose que ça ne t’empêchera pas de te monter le bourriquet. Alors ok, je fermerais ma gueule.

Au moins, elle n’était pas condamnée à retourner chez l’autre folle. Déjà ça de gagné.

- Par contre, compte pas sur moi pour rester trop loin de toi. Quittes à me faire passer pour une stalkeuse, j’en ai rien à cirer. En tant que sœur, j’ai pour devoir d’être une chieuse.

D’un bond, elle se redressa, puis s’accroupit devant son frère. Un grand sourire, un vrai, vint illuminer son visage.

- Je serais discrète, et prudente, c’est promis. Mais laisse-moi te voir de temps en temps ok ? Que je te rendre la vie impossible !

Elle déposa un baiser sonore sur son front, se releva avec un rire de gamine. Elle commença à marcher à reculons, lui adressant un dernier grand sourire.

- Et si tu refuses, ne compte pas sur moi pour obéir sagement. J’ai toujours adoré pisser sur les limites et sur les règles !