Leah avait toujours aimé l’escalade. Se balader à plusieurs mètres de hauteur, regarder le monde rapetisser sous soi, et même pour l’effort physique en lui-même. Lorsqu’elle était petite, rien ne l’enchantait plus que d’aller se percher tout en haut du navire, là ou presque personne n’irai la chercher. Seuls ceux qui la connaissaient vraiment bien. Ou les pokémons vol. Elle se baladait dans le pokévillage lorsque, sans même réfléchir, elle avait commencé à grimper. Son Caninos était aussitôt venu se percher sur ses épaules, se sachant incapable de la suivre. Les premiers mètres furent les plus difficiles : il fallait bien s’assurer que personne ne la voyait. Si elle se faisait prendre, non seulement la personne aurait un bel aperçu de ses dessous par-dessous sa jupe, mais en plus, il faudrait expliquer ce qu’elle faisait à grimper de muret en portail, et de portail en toit. Mais une fois sur les toits, on était beaucoup plus en sécurité. Seul un pokémon vol aurait pu la dénicher ici.

Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche. Rassurée, elle sortit une cigarette d’une petite boîte cachée sous sa veste. Voilà longtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’en fumer une. Elle n’était pas une véritable fumeuse, mais de temps en temps, ça ne faisait pas de mal. Une petite flamme de caninos lui servit de briquet, et elle tira la première bouffée.

Cependant, au bout d’un moment, il fallait bien descendre. En quelques sauts, la voilà en bas, prête à repartir vers sa destination initiale. Elle lissa sa jupe du plat de la main, remonta ses longues chaussettes noires et réajusta sa veste. C’est partit. Elle partit d’un bon pas, Anthrax la talonnant, en direction du centre commercial. Depuis son arrivée, elle n’avait pas encore eu l’occasion de visiter le coin, alors il était grand temps. Mais le tour était vite fait : elle n’avait pas beaucoup d’argent, ayant pratiquement tout dépensé pendant le trajet d’arrivée. Donc pas question de faire du shopping. Pourtant, tout attirait son regard. Une jarretière porte-pokéball ? Nan, décidément trop osé. Un nouveau sac ? Trop cher. Son caninos s’arrêta un moment devant un étal, captivé par un étalage de pierres, protégées par une vitrine. La pierre feu semblait l’attirer comme un aimant. Elle se souvenait de ce qu’avait dit sa grand-mère : caninos évoluait grâce à une pierre feu. Pas étonnant que cela l’intrigue. Elle l’arracha à sa contemplation avec un sourire d’excuse. Définitivement trop cher. Finalement, tout ce qu’elle pouvait se payer, c’était un verre.

Elle s’installa dans le premier bar qu’elle trouva, voulu commander un bon cocktail bien fort. Et se retint à temps. « Pense à ton image, pense à ton image ». Elle alla donc s’assoir avec un diabolo fraise. Pas très funky tout ça. Elle commença à boire, les yeux fixés sur le plafond, lorsque ses pensées furent interrompues par une voix. Il lui fallut un moment pour réaliser qu’on lui parlait. Un battement de ses longs cils, et son regard redescendit vers l’inconnu, qui s’était tranquillement installé devant elle. Nan mais pour qui il se prenait celui-là ? Il s’installait comme ça, sans même demander la permission, et en plus il se permet … une … blague… Un verre d’alcool. Il avait à la main un verre d’alcool. Sous pression depuis son arrivée, cela suffit à détraquer son esprit. Ses yeux se fixèrent sur le verre, tandis qu’elle aspirait distraitement une gorgée de diabolo au travers de sa paille. Le rire du jeune homme la ramena un peu à la réalité, le temps de se dire qu’il n’était pas si désagréable finalement. Il devait être le genre de personne qui met rapidement à l’aise. Mais aussitôt, son regard redescendit sur les mains du jeune homme, et son verre. Elle écouta distraitement sa phrase suivante, et y répondit d’une voix légèrement absente, par pur automatisme.

- Leah. Et tu m’dérange pas.

Entendre sa propre voix résonner dans ses oreilles réussit à la ramener à elle. Et à lui faire retrouver ses habitudes de jeune fille de bonne famille.

- Veuillez me pardonner, j’étais ailleurs. Ne vous inquiétez pas pour ça, je suis seule de toute façon.

Un sourire d’excuse étira ses lèvres, ses cils battirent à nouveau quand son regard retourna se ficher sur le visage de son interlocuteur. A ses pieds, son caninos poussa un léger gémissement. Sa dresseuse, il la connaissait. Suffisamment pour savoir qu’il y avait de la connerie dans l’air. Mais ne semblant pas s’en rendre compte, la jeune fille avala une nouvelle gorgée avant de reprendre la parole.

- Qu’est-ce qui vous amène à ma table ?

Nouveau regard vers le verre. Nouveau sourire de jeune fille parfaite. Pas d’alcool on a dit. Pas d’alcool.

Visiblement, le vouvoiement ne lui avait pas plu. Devant sa réaction, Leah faillit éclater de rire. Elle aurait pu lui demander des choses obscènes avec un vocabulaire cru, sa réaction n’aurait pas été aussi violente. Mal à l’aise, hein ? Comme beaucoup. Quoique, certains ne s’en rendaient même pas compte. Mais elle y tenait. Vouvoyer les hommes était une des règles imposées par sa grand-mère. Et pour elle, une manière facile de les garder à distance. Sa politesse et ses airs de princesse étaient en général pris pour du mépris et de la froideur. Pour les femmes, elle vouvoyait celles qui étaient plus âgées qu’elle. En général. En tout cas, cela avait l’air de mettre le jeune homme mal à l’aise. Elle lui répondit donc en le vouvoyant, juste par amusement. Amusement bien caché derrière son masque de princesse. Et encore une fois, il lui fit bien comprendre que ça le dérangeait. Elle aurait bien continué encore un peu, mais par peur de le blesser, elle préféra revenir sur un tutoiement plus naturel. Sex addict, carrément ? Au moins il ne cachait pas son jeu. Cartes sur table. Elle avait elle-même tellement envie de déposer ses cartes sur la table avec un « prend toi ça dans ta face ». Comme il venait de faire. Assurance et autodérision avaient à elle aussi été ses armes et armures. Et quelque part, elle regrettait de les avoir laissées de côté.

Sa joie de vivre était contagieuse. Un sourire discret venait orner les lèvres de la jeune fille, sans même qu’elle s’en rendre compte. Elle se sentait bien plus à l’aise dans ce genre d’ambiance qu’au milieu de culs pincés. Et à force, elle commençait à se compter elle-même parmi ces derniers. Elle avait envie de le lancer au défi, de le taquiner, de voir combien de temps il saurait tenir cette assurance. Aussi longtemps qu’elle ? Surement pas. Une fierté oubliée commençait à remonter en elle. Un air de « cherche pas, c’est moi la plus forte ». Et alors il raconta son « histoire ». La jeune fille l’écouta, les yeux arrondis par la surprise. Okay, là, il l’avait prise de cours. Et alors elle éclata de rire, celui-ci lui libérant la gorge, les tripes, et dégageant d’un coup le balais qu’elle c’était elle-même carrée dans le cul. Pliée en deux, elle tapait du point sur la table, incapable de se contenir. Les larmes commençaient même à perler. Rien à voir avec la jeune fille de bonne famille qu’elle était l’instant d’avant. En l’espace de deux seconde, elle était redevenue fille de marin, élevée à l’arrache sur le pont d’un bateau. Et elle n’avait plus envie de renfiler son masque, de s’enfuir pour ne pas se faire cramer. Elle avait juste envie de lâcher prise. Alors elle lâcha tout.

Première chose à faire : boire un coup. Alors qu’il portait son verre à ses lèvres, la jeune fille happa celui-ci d’un geste habile, et le vida d’un trait. Coude appuyé sur la table, menton au creux de la main, elle darda sur lui un regard moqueur. Son sourire s’était transformé en un sourire en coin, sonnant comme une provocation.

- Alcoolo hein ? Tu t’y crois pas un peu le mioche ? Je suis sure qu’tu tiens pas cinq minutes en face de moi. Et si tu m’en donne dix, j’te couche, j’te retourne, et j’te renvoie chez toi en rampant.

Et elle ne bluffait pas. Elle était plutôt petite, mais sa descente en avait couché plus d’un. Ça, c’était sa fierté. Mais surtout, ce soir, elle avait décidé de s’éclater. Et se beurrer la tronche seule n’avait rien d’amusant. Elle se leva, se plaça en face de lui, et le défia du regard.

- Alors, t’as les couilles où tu r’tournes chez ta mère ?

Elle se sentait revivre. La provoc, c’était la meilleure manière d’appâter le poisson. Elle aurait tout le temps d’être sympathique lorsqu’ils seraient bourrés.

Leah était d’un naturel bon public : il n’était pas difficile de la faire rire, lorsqu’elle ne tentait pas de se retenir. Mais il fallait avouer qu’il avait un certain talent pour déclencher l’hilarité. Il devait certainement être le genre de personne à qui on ne refuse rien très longtemps. Pas étonnant qu’il soit si plein d’assurance. Là où beaucoup seraient simplement partis, honteux d’une gonzesse avec si peu de manière, il trouvait des raisons d’en rire. Tant mieux, sinon il était mal partit le coco, avec une compagnie comme celle de la Leah éméchée qu’il risquait de bientôt côtoyer. Et visiblement, il appréciait tout autant sa petite provocation. Encore une fois, tant mieux. La soirée n’en serait que plus drôle. Et alors qu’elle pensait le voir simplement accepter son défi, il lui fit une démonstration de sa répartie, la renvoyant jouer aux pâtés de sable.

- Eh, déconne, mais la limonade c’est traitre ! Ça te file le hoquet et après tu passes ta soirée à pisser. Au moins la vodka c’est une valeur sure. Tu passes du temps aux toilettes, mais au moins tu sais pourquoi !

La réplique sur sa peluche l’avait fait beaucoup rire. Laissant un instant de silence, elle se pencha un peu plus vers lui, cette lueur de malice brillant toujours dans ses yeux. Et son sourire toujours aussi provocateur.

- Et puis oui, je me consacre entièrement à ma peluche. C’est une magnifique histoire d’amour. Et tu comprends, elle au moins elle sait y faire !

Le ton qu’elle employa ne laissait pas de place au doute : c’était une attaque pure et simple. Il s’en prenait à son âge ? Elle répliquait par sa virilité, quoi de plus naturel ? Mais là encore, il la prit au dépourvu. La « menace » à peine voilée plongea à nouveau Leah dans l’hilarité. Vérifier soi-même, et si elle le faisait ? Voilà qui le surprendrait certainement. Il devait s’attendre à la voir se défiler. Elle enfila son genoux entre les cuisses du jeune homme et remontant celui-ci, vint « tâter », avec un pouffement de rire. Non, c’était vraiment trop bizarre. Elle se recula d’un pas, toujours en proie à son hilarité.

- Désolée, j’ai plutôt l’habitude que ce soit plat, par ici

Oh, la bourde. Elle était un peu trop à l’aise avec lui, visiblement. Pour changer de sujet, elle tourna les talons, entrainant le jeune homme par la main qu’elle tenait toujours. Elle l’emmena jusqu’au bar, où elle commanda un mètre de vodka caramel. Dès que celui-ci fut servi, elle se retourna vers le comptoir, attrapa le shooter le plus à droite, et le vida d’une traite. Elle le reposa ensuite, faisant claquer le verre contre le bois du portoir. Un grand sourire de satisfaction sur le visage, elle se retourna vers son acolyte en lui tendant le deuxième shooter.

- Allez, cul sec mon chou, et évite de t’étouffer !