Les serres. Si calmes, si paisibles habituellement, elles semblaient donc être un endroit idéal pour se reposer l'âme en toute tranquillité, loin de l'agitation quotidienne de l'académie. Et c'était exactement ce dont Nayle avait besoin. Du silence et de la solitude. Elle avait perdu beaucoup d'êtres chers dans l'explosion et elle n'arrivait pas à faire son deuil. En outre, la brûlure de son dos n'était pas encore cicatrisée et la souffrance lui rappelait toujours les douloureux souvenirs dont elle se serait volontiers passés. En outre, depuis se dernière sortie catastrophique (autant l'avouer, elle n'avait pas prévu de se faire agresser par un pokémon sauvage), de nombreux hématomes recouvraient sa peau et ses muscles protestaient à chaque mouvement un peu trop brusque. Bref, tout ça pour dire qu'elle avait donc vraiment besoin de quiétude et qu'elle avait trouvé le lieu parfait. Personne ne viendrai la chercher dans les serres.

Juchée sur son Arcanin, elle avait ainsi traversé le campus sous le regard habitué des anciens élèves et ébahi des nouveaux arrivants, qui n'avaient assurément pas l'habitude de voir une fillette d'une dizaine d'années à peine se balader à dos de pokémon de feu. Elle ne leur accorda pas un regard, perdue dans ses pensées moroses. Cela surprit d'autant plus les étudiants, habitués à ce que la gamine extravertie leur distribue sourires et signes de la main sans modération. Ils l'avaient donc observé en silence, résignés, comme s'ils sentaient la profonde tristesse qui émanait de son petit corps. Nayle les avait d'ailleurs remercié en silence, reconnaissante de leur discrétion. Ce n'était pas le jour des questions et puis ... ces dernières étaient-elles indispensable ? Tout le monde avait le moral dans les chaussettes, depuis l'épisode de l'arène ! Elle soupira et continua sa route, muette.

• • • •

Appuyée avec délicatesse contre la douce fourrure de son Arcanin allongé, Nayle avait fermé les yeux, pensive. Totalement dissimulée derrière le mastodonte animal, elle était même presque invisible entre les poils de son pokémon, tellement ces derniers étaient épais et longs. Mais extrêmement agréables. Il émanait même de lui une délicieuse chaleur qui la réconfortait comme personne n'aurait pu le faire. Ce géant de flammes était sans aucun incertitude son meilleur ami et même s'il ne lui répondait jamais de vive voix quand elle lui parlait timidement, la fillette ne doutait jamais qu'il la comprenne car il avait toujours pour elle un petit geste tendre.

« Si y avait quelqu'un pour empêcher cette grosse bêbête de me flamber, je lui serais éternellement reconnaissant. »

Nayle ouvrit les yeux brutalement, sous cette exclamation qui semblait légèrement teinte d'une pointe de peur. A moins que ce ne soit d'excitation, devant un colosse pareil. Elle se pressa de se relever, grimaçant de douleur et s'appuyant contre la jambe de son pokémon, elle le contourna pour se retrouver face à face avec celui qui venait de parler. Un rapide coup d’œil lui confirma ce qu'elle pensait : Arcanin tirait la tronche et montrait les dents devant ce gêneur, danger potentiel pour sa maîtresse si fragile.

Cette dernière, cependant, ne ressentait pas grand chose, à part peut-être un peu d'exaspération d'être dérangée dans son moment de recueillement. Mais les habitudes reprenant vite le dessus, ainsi que les bonnes manières, elle s'inclina avec rapidité, étouffant le cri de douleur qui voulait s'échapper de ses lèvres alors que la souffrance remontait le long de sa colonne vertébrale.

« Oh, je suis vraiment navrée ! Arcanin ne vous fera jamais de mal, soyez en sûrs ! » Elle posa une petite main sur la truffe de son ami et le caressa avec affection. « Excusez moi, j'espère qu'il ne vous a pas dérangé dans votre promenade ! » Elle se releva avec difficulté et sourit aimablement. « Enchantée, sinon. Je m'appelle Nayle Turner. »

Le jeune homme semblait surpris. Réellement surpris. Quoi d'étonnant, à vrai dire, à cette réaction ? Elle était la seule détentrice d'un Arcanin dans toute l'académie, malgré son jeune âge (après tout, elle était sûrement dans les dix plus jeunes dresseurs d'Alcea). Surtout qu'en matière de taille, le chien géant n'était vraiment pas à plaindre. Un mètre quatre-vingt-dix au minimum (au garrot), il les atteignait largement ! Et si sa maitresse n'était pas contente d'être dérangée, il allait se faire un plaisir de faire déguerpir les importuns visiteurs. Ce que Nayle ne souhaitait pas réellement, puisqu'elle tenait d'une certaine façon à sa façade aimable et chaleureuse. Elle n'était pas superficielle mais elle avait une réputation de gamine joviale qu'il lui fallait conserver !

Elle s'excusa donc promptement, accompagnant de ses paroles une révérence respectueuse mais douloureuse. Elle se présenta ensuite et son prénom dut faire écho dans la tête de l'adolescent car une mine songeuse passa sur son visage. La reconnaissait-il ? Après tout, elle était plus ou moins connue. Elle avait tout de même fini au quart de finale lors du tournoi !

« T'es la Spirae qui a participé au tournois, c'est ça ? »

Bingo ! A cette question, le visage de la fillette redevint un peu plus sombre, un peu plus fermé. Il n'était pas bon de s'aventurer sur ce terrain là. Elle ne voulait pas en parler mais elle hocha la tête, en signe d'acquiescement.

« Oui, c'est bien moi. » Malheureusement, aurait-elle eu presque envie d'ajouter.
« Enchanté petite princesse, je m'appelle Kean. Heureux d'apprendre que tu te portes bien. »

Elle sourit légèrement au surnom, même si elle n'avait rien d'une princesse. Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas appelée ainsi, à vrai dire. Depuis qu'elle était partie de la maison familiale. Depuis que son rêve s'était réalisé : entrer à Alcea Rosea. Mais ce sourire se transforma bientôt en rictus presque amer. Se porter bien ? La blague ! En apparence seulement, mais elle n'était pas prête à avouer ses faiblesses au premier venu. Derrière elle, Arcanin grogna doucement comme pour la prévenir d'un danger potentiel. Avait-il sentit quelque chose et il voulait lui en faire part ? Elle accentua ses caresses pour le calmer : tout irait bien.

« Ton pokémon ne semble pas apprécier qu'on s'approche de toi. Jaloux, peut-être ? »

Elle haussa les épaules d'un geste qu'elle voulut nonchalant mais qui ne lui tira qu'une grimace de douleur. Oui, Arcanin était possessif, elle le savait. Il tenait à elle plus que tout et la relation qu'ils entretenaient était bien plus forte que n'importe quoi ou n'importe qui. Alors elle pouvait parfaitement comprendre qu'il n'aimait pas qu'elle parle à un adolescent qui transpirait la suffisance et l'arrogance. Elle sourit gentiment, presque malicieusement.

« Un peu, sûrement. Mais il n'attaquera pas, il est bien trop gentil ! » (Avec elle, en tous cas.) Il se pressa contre sa main, chercheur d'un peu plus d'attention. Elle baissa ensuite les yeux et une nouvelle lueur illumina ses yeux. « Oh, un Héricendre ! Il est trop mignon ! » Et si elle avait pu, elle se serait précipitée vers lui pour le caresser mais là, Arcanin lui aurait vraiment fait une crise. Son sourire s'élargit. « Tu l'as depuis longtemps ? »

Nayle adorait les pokémons. Qui ne le savait pas ? Tous ceux qui la connaissaient, depuis longtemps ou non, savaient à quel point elle aimait ces compagnons colorés et affectueux, pour la plupart en tout cas. Et là, elle avait beau être en présence de son Arcanin dont elle ressentait la vive possessivité, elle ne pouvait s'empêcher de tomber en totale admiration devant le Héricendre, qui se trémoussait joyeusement. Elle demanda donc à son dresseur si ce dernier l'avait apprivoisé depuis longtemps, autant par courtoisie que par réelle curiosité. Et même si celui-ci ne semblait pas très partant pour répondre, il esquissa un début de réponse.

« Bonne qu- Hey ! Calme toi un peu ! »

La fillette observa avec attention le petite hérisson de feu. Il sautillait vraiment de partout, fixant Kean comme si sa vie en dépendait. On aurait presque dit qu'il allait exploser et elle crut que c'était réellement ce qu'il se passait lorsqu'une éclatante lumière blanche les aveugla tous. Elle eut l'impression de revivre l'épisode de l'arène et un petit gémissement s'échappa de ses lèvres. Sauf qu'il n'y eut pas de bruit. Pas d'explosion, pas de boum. Rien. Une vague de soulagement glissa sur elle et apaisa son pauvre cœur agité.

La lumière s'éteignit brusquement et le retour à la normale la fit cligner des yeux. Plusieurs fois. Elle regarda l'emplacement où se tenait le Héricendre avant cet éclat subit. Cligna des yeux une fois encore. Stupéfaite, elle marqua un temps d'arrêt. Une simple exclamation sortit alors de sa gorge, venant tout droit de l'âme.

« Oh ! » Un immense sourire étira ses lèvres. « Quelle chance ! » Des étoiles brillaient dans ses yeux et elle en aurait presque sautiller elle aussi dans tous les sens.
« ... Ah bah oui. Merci, princesse. »

Un léger rire lui secoua le corps. Ce n'était pas la première fois qu'elle assistait à une évolution (puisque ses pokémons étaient tous déjà passés par ce stade au moins une fois), mais cela la rendait toujours aussi euphorique. Comme si c'était son propre Héricendre qui avait changé alors qu'il n'en était rien. Elle ne le connaissait même pas !

« ... Non, vraiment, merci beaucoup. Moi qui pensait qu'il allait évoluer lors de l'explosion... Comment tu t'en es sortit, au juste ? »
Il insistait. « Je ne comprends pas pourquoi tu me remercies. Je n'ai rien fait ! C'est ton pokémon qui a décidé d'évoluer maintenant ... C'est gé-nial ! »

La suite de la question la refroidit brusquement. Les étoiles dans ses yeux disparurent brutalement et son sourire s'évanouit comme neige au soleil. Elle n'avait plus du tout envie de rire. Mais alors vraiment pas. Comme si c'était une question à poser à une gamine de onze encore traumatisée ! Non mais vraiment, aucune délicatesse. Et pourtant, pourtant ... Nayle ressentait un besoin soudain et impérieux de se confier. De partager sa détresse d'avoir perdu des amis chers, d'avoir été abandonnée dans l'arène, seule face aux flammes. Mais n'était-ce pas trop tôt ? Sa voix se fit hésitante, plus faible, presque inaudible.

« C'est Arcanin ... Sans lui, je serais morte. Il m'a portée alors que j'étais inconsciente et m'a emmenée hors de l'arène. Il a bravé les flammes pour me sauver, même si je sais qu'il ne les craint pas tant que ça. » A ces mots, son pokémon vint se frotter contre elle, doux réconfort alors qu'elle racontait doucement. « Il a été merveilleux. Il était là alors que personne n'est venu me chercher. Après l'explosion, c'était chacun pour soi. Je n'existais plus ! » Des larmes perlèrent au coin de ses yeux et elle déglutit pour ne pas les laisser couler. Elle voyait trouble. Elle fronça les sourcils, essuya rapidement les perles salées. « Désolée. » Il n'y avait rien d'autre à dire.

Elle pleurait. Pas beaucoup, mais ça faisait mal à sa fierté de Spiraea. Nayle n'aimait pas s'afficher en public et même si ledit public n'était constitué que d'une seule personne, c'était la même chose. Les larmes ne coulaient pas et la fillette n'avait pas l'intention de les laisser cheminer sur son visage. Il était déjà assez frustrant de voir la réalité en face, elle n'avait pas en plus besoin d'une autre humiliation (même si Kean n'était sans doute pas le genre de garçon mesquin qui fait des coups bas à une gamine de onze mais bon, sait-on jamais). Dans tous les cas, pleurs ou non, elle avait lâché le morceau. Déballé son sac. S'était débarrassée des pierres qui lui pesaient sur les épaules et la rendaient courbée, lui faisaient ployer la nuque sous leur poids.

Puis, contre toute attente, le jeune homme s'approcha et s'agenouilla devant elle, sortant un mouchoir de sa poche pour essuyer ses joues. Ses joues humides. Elle avait échoué. Le barrage avait cédé et les larmes ruisselaient doucement, glissaient sur sa peau et tombaient sur le sol comme de minuscules gouttes de pluie. Elle sanglotait, elle qui n'avait jamais fait ça de sa vie, ou presque pas du moins (les fois où elle avait braillé dans son couffin étant gamine ne comptant pas). Arcanin s'était rendu compte de la détresse de sa maîtresse et voyant approcher l'adolescent, il grogna avec férocité sans esquisser cependant le moindre mouvement. Tant que Nayle ne lui en donnerait pas l'ordre, il n'attaquerait pas. Elle avait déjà assez de peine comme ça !

« Tu vois, cet œil ? »

Elle hocha la tête. Elle n'avait pas encore assez confiance en sa voix pour être sûre de pouvoir parler sans que l'on entende des tremblements. Son œil, en effet, était jaune. Pas naturel. Pas du tout. Effrayant, un peu. Intimidant, même. Trop étincelant.

« Je l'ai perdu en sauvant la vie à quelqu'un. Un dardagnan allait l'attaquer, il n'a pas bougé, je l'ai poussé et c'est moi qui me suis pris l'attaque à sa place. J'ai eu de la chance, sinon j'aurais eu un trou dans le crâne. » Ce n'était pas drôle. Horrible, oui. Mais pas drôle. « J'ai appris par la suite que c'était qu'une scène qui visait à me tuer. (...) Les autres, ils sont capable de quoi ? »

Elle ne savait pas. On ne lui avait jamais rien fait, à elle. Elle avait toujours eu des parents aimants et protecteurs, des amis adorables et charmants. Elle avait toujours été couvée comme une petite princesse, comme un bijou fragile qu'un simple coup de vent pourrait briser. Elle n'était pas habituée à la douleur autant physique que morale. Elle ne savait rien de tout ça, des trahisons et des complots. Elle était bien trop pure, bien trop innocente. Bien trop jeune, surtout.

« C'est un fait, ma grande. Les gens ne pensent pas à toi et même quand ils te le disent le contraire, c'est faux. Parce que c'est dans la panique qu'on voit la vraie nature des autres. »
Elle eut envie de protester. « C'est faux ! » Une lueur d'angoisse passa dans ses yeux. « Mes amis n'étaient pas au tournoi, c'est pour ça ! » Son souffle se fit plus rapide. « Et même s'ils y avaient été, je préfère qu'ils soient en vie et en bonne santé ! »

Syndrome du super héros. Tu parles ! Comme si elle avait besoin de ça. Mais elle le pensait, réellement. Elle préférait se sacrifier que laisser ses précieux amis être blessés. Maladie du Spiraea de base. Justice et courage primaient. Il n'y avait pas eu de justice avec l'explosion de la bombe et elle n'avait pas été courageuse. Mais elle comptait y remédier. Elle essaya de relever la tête, de se montrer forte. Elle n'avait pas le droit de flancher. Plus jamais.

« La vérité a toujours rimé avec la réalité. Tes seuls compagnons sont ceux avec qui tu as des points communs ou bien, des liens forts et profonds, comme ton Arcanin. »

Elle voulait dire que non, il mentait, il racontait n'importe quoi. Elle voulait crier que ça ne servait à rien ce qu'il disait, qu'il inventait pour la rendre triste. Mais au fond d'elle, au plus profond de son âme, les mots de Kean agissaient comme des aiguilles et se plantaient en elle, s'accrochaient et répandaient leur venin. Et s'il avait raison ? Si ce qu'il disait était vrai ? Si vraiment, elle ne pouvait compter que sur elle-même et ses pokémons, ses plus proches amis ?

« Tu mens ! » Mais dans sa voix résonnaient le doute et l'hésitation.

Non, elle n'avait pas le droit. Pas le droit de douter de ses camarades, de sa maison, de ses proches. Pas le droit de se méfier, pas le droit d'hésiter. Jamais.

Ancrée. Elle voulait s'ancrer dans ses positions, ne jamais lâcher ce à quoi elle croyait. Ne jamais abandonner. Elle devait avoir confiance en ses amis. S'ils avaient été là, ils seraient partis à sa recherche. S'ils avaient été là, ils l'auraient sauvée. S'ils avaient été là, ils l'auraient réconfortée et ils auraient affronté ensemble la catastrophe. S'ils avaient été là. Ça ne tenait pas debout. Pas totalement. Ils étaient venus la voir au tournoi, pour l'encourager. Ils lui avaient promis et même si elle ne les avait pas vu dans les gradins, au fond d'elle, elle savait qu'ils avaient tenu leur engagement. Il ne pouvait pas en aller autrement. Non, c'était impossible.

« Et ils sont où, tes amis ? »
« Je ... » Elle s'interrompit. « Je ne sais pas. » Aux abonnés absents, pour la plupart. Morts, pour les autres.

Elle gémit et se laissa tomber contre son Arcanin, les jambes repliées contre sa poitrine et entourées de ses bras, le front posé sur ses genoux. Elle faisait d'autant plus chétive, prostrée dans cette position, comme si elle voulait rentrer à l'intérieur d'elle même. Comme si elle voulait disparaître, tout oublier, tout effacer. Comme si elle souhaitait que le néant l'engouffre, l'avale et ne la laisse plus jamais ressortir. Le léger choc de ses fesses contre le sol remonta dans son dos et elle retint un nouveau gémissement de douleur. C'était sa faute, à lui. Elle était bien toute seule et il était venu la déranger. La confronter à des choses qu'elle n'avait pas envie de voir maintenant. Elle était lâche, oui. Elle voulait fuir. Fuir ses problèmes.

« Tu n'as pas à me mentir, tu sais. Je peux comprendre que tu ais été déçu par les autres. Mais ils vont te décevoir souvent, un peu trop même. »
« Je n'ai pas été déçue ! » La réplique avait jaillit, trop vive, trop brusque. Trop soudaine pour être totalement sincère.

Elle n'était pas totalement déçue mais il fallait avouer qu'elle aurait aimé être entourée de ses proches. Elle les avait cherchés, pourtant. Mais impossible de les trouver. Et lorsque la liste des noms des portés disparus avait été affichée, elle avait compris pourquoi certains ne répondaient pas à son appel. Mais les autres ? Où étaient-ils ? Elle pouvait comprendre qu'ils souhaitent eux aussi se recueillir mais pourquoi ne donnaient-ils pas signe de vie ? C'était à n'y rien comprendre.

« Le seul que je vois en ta compagnie, c'est Arcanin, pas un camarade Spirae. »

Il avait raison. Même si son Arcanin comptait bien plus que n'importe quel camarade Spiraea. Sans lui, elle n'était plus rien. Elle pouvait imaginer sa vie sans les amis qu'elle avait perdus mais son pokémon, qu'elle connaissait depuis maintenant neuf ans, ne pouvait disparaître. Elle avait besoin d'être avec lui tout le temps. Chaque heure, chaque minute. Chaque seconde.

« Mais c'est comme tu veux, ne t'étonne pas si un jour, tes amis te laissent en proie d'un danger plus imminent qu'un éboulement. Que même Arcanin ne pourra pas te sauver. »

Sa voix était doucereuse, presque trop. Débordante de compassion mielleuse. Excessivement pour être sincère. Mais dans sa tête, Nayle ne ressentait pas ainsi. Elle avait besoin d'affection, là. Alors que la tornade du doute ravageait son corps, il fallait qu'elle s'ancre à quelque chose. Qu'elle largue les amarres et attende que la tempête se calme.

« Arcanin pourra toujours me sauver ! » Sa voix était claire, sûre d'elle. C'était une certitude, comme l'une de ces vérités générales qui paraissent immuables. « Et puis, qu'est-ce que tu en sais d'abord, hein ? » Agressive, presque belliqueuse. Elle ne voulait pas le croire.

Elle avait plein de choses dans la tête. Plein de pensées, plein d'idées. Plein de questions. Un bric à brac d'interrogations et de problèmes, un enchevêtrement de réflexions et d'hésitation, d'indécision. Teinté d'une pointe d'entêtement, d'obstination. Nayle était convaincue du bien fondé des idéologies Spiraea et elle n'avait pas envie de se laisser détourner d'une mentalité qu'elle considérait comme juste par quelqu'un dont elle ne connaissait rien. Après tout, Kean était sortit de nulle part et lui avait asséné un tas de vérités douteuses au sujet desquelles il semblait avoir totalement foi mais elle n'y croyait pas. Ou qu'à moitié, disons. Parce qu'elle ne pouvait nier que certaines de ses paroles l'avaient touchée, voire profondément blessée. Elle savait déjà qu'elle était seule, elle n'avait pas besoin d'une personne extérieure pour lui répéter !

Et pour corroborer tout ce qu'il disait, il lui raconta l'histoire de son œil, n'hésitant pas une seule seconde devant son jeune âge, quand bien même il choisissait des mots plus doux pour la confronter à la dure réalité des trahisons et de la solitude. Il semblait totalement persuadé de ce qu'il disait, comme s'il pensait du fin fond de son âme chaque mot qu'il prononçait. Sa voix exsudait la sincérité pour l'oreille peu habituée aux mensonges de Nayle. Elle était partagée, tiraillée entre deux convictions, écartelée entre sa loyauté pour sa maison et l'inexorable attirance qu'elle avait pour les paroles de l'adolescent.

« Quand tu viens au monde, il y a qu'une seule personne qui assiste à ça ; Ta mère. Mais sans ta mère, tu es seul(e). Tu devrais t'y faire rapidement, à cette solitude et le plus rapidement possible. »
« Ce n'est pas vrai. » Sa voix était ferme. « Ma mère n'est pas la seule personne à avoir assisté à ma naissance. » Son père était là, aussi. « Mais je ne veux pas être seule ! » Elle soupira et fronça les sourcils. « Je n'ai jamais été seule. » A part aujourd'hui ...

Elle ne sut pas très bien s'il l'avait entendu car elle ne remarqua qu'ensuite qu'il s'était éloigné et rapproché de la porte. Il s'en allait et Nayle hésitait entre le soulagement et le regret. D'un côté, elle voulait retrouver cette nouvelle solitude bienfaisante et de l'autre, elle trouvait que la voix de Kean était rassurante, comme une couverture chaude et douce dans laquelle on se roule en boule et on se laisse bercer.

« Cependant... »

Elle le regarda, surprise. Il s'était arrêté et il semblait prêt à ajouter quelque chose. Il se retourna et revint d'un pas vif face à sa frêle silhouette, toujours assise à même le sol. Il alla même jusqu'à s'agenouiller devant elle, lui tendant une main accueillante, dépourvue de toute intention malsaine. Il était là pour son bien et uniquement pour cela. Du moins, c'était l'impression qu'il dégageait.

« Je sais ce qu'on ressent, quand on se sent seul face à une réalité plus que cruelle pour notre jeune âge... Si tu viens dans mes bras, je te promets de faire en sorte de ne pas te décevoir. »

Etonnée, Nayle planta son regard dans celui de Kean, comme si elle allait pouvoir voir les tréfonds de son âme. Ses yeux polychromes étaient perturbants mais elle ne cilla pas. Elle voulait comprendre l'intérêt qu'il avait pour elle alors qu'elle n'était, après tout, qu'une gamine. Dotée de puissants pokémons, certes, mais une gamine quand même.

« Qui me dit que tu ne me mens pas, toi aussi ? » Il venait bien de lui dire qu'elle ne pouvait faire confiance à personne ! « Et pourquoi t'intéresses-tu à moi ? Je suis insignifiante ! » Elle le pensait. « Je ne comprends pas ... » Elle baissa les yeux, abandonnant ce duel de regard puéril. Il n'était plus temps de jouer.

Nayle était un récipient vide. Kean, celui qui le remplissait. Et ses paroles mielleuses, le contenu. C'était à peu près à cela que l'on pouvait rapprocher la scène. Jeune et parfaitement innocente, la fillette pouvait effectivement être considérée comme « vide » même si le terme n'était peut-être pas approprié sur tous les points. Après tout, elle était même plutôt pleine de vie (sauf à ce moment, mais ce n'était qu'une mauvaise passe, comme on dit.)

« Mais... C'est comme bon te semble, après tout. Libre à toi de me croire ou non. »

Il lui laissait un choix. Comme si la partie pour lui s'était terminée là. Maintenant, c'était à elle de faire le boulot, de discerner le vrai du faux. A elle de croire que ce qu'il disait était vérité ou mensonge. Et pour l'instant, Nayle n'en savait rien. Elle ne pouvait de toute façon pas décider à la minute près, sans avoir pris le temps de réfléchir. Elle avait beau être très impulsive, elle savait également reconnaître les moments où il faut se poser. Et celui-là en faisait partie.


« Je suis souvent dans le domaine des Narcissus, si tu souhaites me revoir. Rien ne t'y oblige, c'est selon ton bon vouloir. »

Elle hocha la tête, silencieuse et pensive. C'était une proposition somme toute parfaitement amicale et il insistait sur la liberté qu'elle avait : il ne lui imposait rien. A part peut-être, d'une manière détournée, sa façon de voir les choses et de penser. Mais c'était tout de même à elle de décider de les accepter ou non. Elle pensa rapidement à Alexei, Narcissus lui aussi, mort lors de l'explosion. Elle l'avait longtemps considéré comme son grand frère, faisant fi des maisons différentes, et elle ressentait maintenant un manque. Mais elle ne pouvait le remplacer tout de suite, même par quelqu'un comme Kean qui semblait vouloir montrer toute la bonne volonté qu'il avait à son égard.


« Prends soin de toi. »

Il se pencha et lui embrassa gentiment le front, comme le ferait un proche. Ce qu'il n'était pas réellement, il fallait l'avouer. Elle le regarda partir, son dos s'éloignant au fur et à mesure qu'il se rapprochait de la porte, puis il disparut. Ce fut comme s'il n'était jamais venu. Et seule la sensation des lèvres du jeune homme sur son visage lui rappelait qu'elle n'avait pas rêvé toute la scène.