Les lumières étaient éteintes, les rideaux fermés. Il n'y avait personne dans sa chambre. Ses colocataires traînaient sûrement avec d'autres Spiraea, comme le voulait la coutume. Mais Lucresia n'en avait pas envie. Ces quelques derniers jours, elle les avait passé dans son lit. Tout le monde sait que les Pokémons évoluent. Et bien sachez que les humains peuvent évoluer eux aussi. Miss McQueen venait de le faire : elle était devenue une marmotte, et ses attaques étaient les suivantes : repos, et.. repos. Cette pensée décrocha un espèce de sourire sur le visage de la jeune fille. Elle était vraiment pathétique.

Quelques rayons de soleil peinaient à se glisser dans la chambre. Lucresia comprenait ce que cela signifiait : il était temps qu'elle se lève pour aller en cours. C'était parti pour six heures d'ennui – dans son état actuel, c'est-à-dire un légume géant, la concentration n'était pas au rendez-vous, la bonne humeur encore moins.
Quelques explications sont donc nécessaires. L'adolescente venait de faire la plus grande bêtise possible. Se rallier à la Team Astria. Non, elle ne s'était pas ralliée à ces individus, elle avait été contrainte de travailler pour eux. Ce n'était pas la pire chose du monde, c'est vrai. Mais cela en avait l'air lorsqu'on pensait à un détail... qu'elle était une Mirage à la base. Voilà qui devenait donc plus compliqué. Pour résumer, elle était devenue un agent double. Pour la Team Astria. Ou pour Mirage peut-être. Enfin, elle ne savait pas trop. Que faire ? Elle ne savait pas.

La seule chose qu'elle savait, c'est qu'il n'y avait qu'une seule personne qu'elle avait envie de voir. Cet idiot de préfet qui souriait pour tout et n'importe quoi et qui empestait la bonne humeur. Mais cela faisait aussi une semaine déjà que Lucresia l'avait évité comme elle le pouvait. « Je ne me sens pas bien aujourd'hui, je rentre me reposer. » - « J'ai un examen demain, je dois réviser, désolée. » - « Ah, j'ai promis à des amies que j'irai au centre commercial aujourd'hui... Tu m'en veux pas ? » Bien sûr qu'il ne lui en voulait pas, elle le savait, il ne pouvait pas. Mais elle par contre, elle s'en voulait. L'adolescente n'aimait pas mentir, et elle savait que Jay n'appréciait pas les mensonges. Elle ne pouvait cependant pas dire s'il la croyait vraiment, ou s'il avait compris que quelque chose n'allait pas... Le résultat était le même de toute façon : elle ne pouvait pas le voir, elle avait trop peur. Trop peur qu'il lui arrive quelque chose par sa faute.

C'est ainsi que s'écoula une autre journée de cours. En sortant, avec un air abattu sur son visage, Lucresia réfléchissait à l'excuse qu'elle allait pouvoir donner. Mais Jay ne l'avait pas encore appelée, elle avait du temps... Par chance (ou malchance selon les jours), ils n'étaient pas dans la même maison, ce qui signifiait qu'ils avaient un emploi du temps différent.
Tout aurait pu bien se passer, elle aurait pu tout simplement retourner dans sa chambre pour broyer du noir à nouveau. Mais ce jour-là, son cœur lui demandait de faire une promenade aux jarfins nippons. Ces jardins où Jay et Lucresia avaient passé tant de temps ensemble. Elle ne put décliner cet appel du cœur. L'instant d'après, la silhouette du jeune homme semblait déjà lui apparaître dans ses yeux... Il n'y avait pas de retour possible.

« Lucre... » Entendre son nom suffisait à provoquer une plaie dans son cœur. Elle criait en silence 'Non, ne m'appelle pas. S'il te plaît retourne toi, je t'en prie. Pas aujourd'hui.' « Hum... » Une autre plaie dans son cœur. Ses paroles n'avaient réussi qu'à provoquer une très grande peine, qu'elle ne cachait pas. Il n'avait rien fait de mal. Pourquoi s'excusait-il cet idiot ? C'était à elle de s'excuser, et pourtant... Ah, elle se sentait ridicule. Elle était tombée dans ce trou qu'on appelle l'amour. Elle l'aimait tant. C'était ridicule.

« Idiot.. » chuchota-t-elle tout en le frappant. Puis, elle se glissa derrière lui, pour l'étreindre, collant sa joue contre son dos. Elle ne voulait pas qu'il voie son visage, il devait être affreux. Et puis, cela n'allait que déchirer son cœur de la voir triste. Elle ne voulait pas. « Tais-toi Jay, tais-toi. Désolée. » disait-elle alors, tout en le serrant un peu plus fort. Les larmes semblaient lui venir aux yeux. Que faire ? Ah, ce qu'elle détestait la Team Astria à ce moment-là.

Lucresia faisait souvent tout son possible pour paraître forte, mais elle n'était qu'une fille parmi tant d'autres. Il fut un temps où elle essayait de se démarquer, de ne pas être 'comme les autres'. Elle s'en souvenait. C'était quand elle ne sortait pas encore avec Jay. C'était quand leurs regards s'étaient croisés, qu'elle avait senti ce rongement au cœur, et le sang lui monter aux joues. Ce jour-là, lorsque la seule chose qu'elle put lui dire, c'était qu'il n'était qu'un pauvre idiot qui se croyait intelligent parce que les filles lui tournaient autour comme des mouches autour d'un plat périmé (et cela ne semblait pas avoir changé d'ailleurs, en vue des paroles qu'elle venait de lui adresser). Elle souriait encore en pensant à cette 'époque' là. Jay et Lucresia se cherchaient souvent. Ils ne faisaient que s'embêter, des querelles plus ou moins amicales. Elle voulait lui montrer qu'elle n'était pas comme toutes ces autres filles, qu'elle ne tomberait pas sous son charme. Qu'est-ce qu'elle était immature. Et voilà le résultat aujourd'hui, ils ne se quittaient plus, ou presque.

Aujourd'hui, Lucresia n'avait plus besoin de jouer à l'héroïne forte, elle acceptait d'être comme les autres. Cette seule pensée, de savoir qu'elle pouvait compter sur Jay, le savoir là à ses côtés la réconfortait déjà. Le simple contact physique, après cette semaine épuisante représentait un bonheur indescriptible. C'était suffisant pour elle. Elle n'avait pas besoin de plus. Elle n'en avait jamais trop demandé de toute façon. Elle était ce genre de fille : simple et niaise.
En s'appuyant ainsi contre Jay, elle avait l'impression de se sentir déjà beaucoup mieux. Elle sentait qu'il comprenait. Elle ne pouvait rien lui dire, mais le silence lui racontait tout ce qu'elle avait enduré. C'était bien plus que des mots. Alors, elle n'avait plus peur de le regarder en face. Elle ne résista pas lorsque le jeune Marshall se défit de son étreinte. Elle laissa faire. Elle voulait juste se laisser emporter loin d'ici. Partir sur son destrier blanc, ensemble, dans une contrée lointaine. Un endroit où ils vivraient tranquillement. Et un flash, de nouveau. Elle revoyait le sourire de Gabriel, la gifle de Reina. Non, ils ne pouvait pas vivre au loin tranquillement.

« Jay... Je.. »

Allait-elle lui révéler son lourd secret ? Elle le voulait tant. Mais les images de ses tortionnaires lui revinrent en tête, et elle imaginait de nouveau toutes les horreurs dont ils étaient capables de faire subir à son bien-aimé. Elle fixait les traits de ce visage innocent, elle se plongeait dans le regard meurtri, qui désapprouvait avec son humeur maussade. Puis, la jeune Spiraea baissa le regard deux secondes. Elle venait de prendre une décision. Elle avait trop d'amour pour lui, son cœur en débordait.

« On devrait arrêter de se voir, pour un moment. » prononça-t-elle difficilement, d'une voix tremblante. Son regard était toujours baissé, elle n'osait pas voir la réaction du préfet. Lucresia savait très bien à quel point cela pouvait le détruire. Mais il le fallait quand même. Elle acceptait de prendre tous les maux du monde, de passer pour une catin. Si cela pouvait le protéger, elle acceptait d'endurer la peine. Le temps de régler ses problèmes. Le temps qu'il faudra pour que la Team Astria se retire. « Ne me demande pas pourquoi, c'est ma seule requête. » La jeune fille marqua une pause de nouveau, un pesant silence s'était installé entre les deux. Elle savait que Jay n'allait pas accepter. Bien sûr que non. Et heureusement d'ailleurs, elle ne pouvait pas l'imaginer lui répondre 'D'accord, allez à plus !'. L'adolescente se contenta de prendre ses mains, pour briser ce moment, lourd, long. Les grandes mains de Jay, chaudes, réconfortantes, apaisantes. « Mais tu vas pas vouloir, pas vrai ? Tu essayeras quand même, si je te le demande ? Et quand tout ira mieux, on ira voir les étoiles, comme avant... »

Il y a des jours comme ça, où le monde ne tourne plus rond. Où les manèges enchantés ne sont plus un moment de joie pour les enfants, mais un théâtre de film d'horreur. Où les barbes à papa n'ont plus un goût sucré, mais amer. Où les oiseaux ne volent plus, mais tombent. Il y a des jours comme ça, où rien ne va entre Lucresia et Jay...
Lucresia se mordit la lèvre. Elle n'était plus très sûre de ce qu'elle faisait. Avait-elle raison de faire ainsi ? Elle ne pensait pas à mal, tout ce qu'elle voulait, c'était protégé l'être qu'elle aimait de tout son cœur, le mettre à l'abri de dangers potentiels. Mais la détresse de Jay, elle ne la comprenait que trop bien. Elle la sentait juste trop, lorsqu'il la serrait ainsi. Lucresia avait l'impression de ne plus pouvoir respirer. Non pas à cause de leur étreinte, mais parce qu'elle s'en voulait de trop, qu'elle ne supportait pas cette situation. Elle aussi serait dans un état pareil si Jay lui annonçait qu'il la quittait. Enfin, 'quitter' n'était pas tout à fait le mot qui convenait à la situation, elle voulait juste s'éloigner le temps de poser les choses à plat. Mais tout de même... « Ne...me laisses pas. S'il te plait. » Cela lui brisait juste le cœur. Parce qu'elle ne voulait pas le laisser.

Ah elle n'en pouvait plus. Elle devenait folle. Leurs souvenirs ne cessaient de lui revenir en tête – lorsqu'ils se promenaient sur la plage, lorsqu'ils partageaient une glace au centre commercial, lorsqu'ils souriaient, insouciants. Lorsque la Team Astria n'était pas encore arrivée. Et elle se répétait cette phrase dans la tête : « lorsque la Team Astria n'était pas encore arrivée » ; et le manège tournait encore et encore dans sa tête. Des feux d'artifice de souvenirs. Douloureux. Alors, lorsqu'elle entendit les phrases de Jay.. qu'il l'attendrait... C'était trop. Son petit cœur ne pouvait pas tenir. Il ne devait pas continuer à parler, c'en serait trop pour elle. A ce moment-là, la seule chose qu'elle pensait, c'était qu'elle n'avait que 17 ans, qu'elle était censée vivre sa jeunesse comme elle l'entendait, avec les dérives et les déboires. Qu'elle n'était pas censée penser à leur couple ainsi, comme si elle avait 30 ans et que c'était la fin d'une longue relation. Trop de pensées se mêlaient dans sa tête. Elle craquait. Lucresia déposa délicatement ses lèvres sur celles de Jay. Comme au premier jour, son cœur battait toujours à folle allure. Elle avait l'impression de perdre la raison. Et elle prolongeait le baiser. Qui parlait de quitter Jay ? Pas elle.

Si, c'était bien elle en fait. Car la seconde d'après, elle se séparait déjà du préfet. Elle ne pouvait plus rien dire, si elle disait quoi que ce soit, elle n'allait pas pouvoir tenir ses plans. Si elle restait plus longtemps, elle n'allait jamais pouvoir le laisser partir, le laisser glisser entre ses mains. Et Lucresia avait peur, elle était juste terrifiée. Si elle ne s'en allait pas, elle ne savait pas ce qu'il pouvait se passer, ce que la Team Astria allait faire à Jay. Si elle s'en allait, elle avait peur que celui-ci aille se consoler auprès d'autres filles. Oui, elle s'inquiétait de tels détails à un moment aussi critique. Et elle s'en alla.