-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Je BRÛLE littéralement d'impatience. Assis au bout d'une longue table vide, dans la cafétéria, j'attend la fin du cours de Camille afin de lui présenter mon tout dernier ami: Elias le Poussifeu. Je flotte littéralement depuis deux jours, depuis cette visite en coup de tête au fin fond du volcan qui a abouti en cette magnifique capture. Il s'agissait de la première fois que je m'aventurais aussi loin dans les environs du campus. Jamais je n'aurais pu m'imaginer tenter de capturer un Pokémon sauvage, une activité pourtant courante chez les dresseurs. J'ignore pourquoi d'ailleurs. Aujourd'hui, je n'arrive plus à me souvenir de ces raisons qui m'ont gardé enfermé dans mon ignorance. J'y ai pris goût, évidemment. La capture... presque aussi intense et agréable qu'un bon combat bien salé! Je flotte, oui, car je me trouve encore une fois un peu moins seul. Je découvre peu à peu mon nouvel ami avec une joie exponentielle. Le petit poussin présente une personnalité joueuse, agréable, sensible et déterminée. Il est très curieux et affectueux. Il s'entend à merveille avec mes autres Pokémon. Pas une once de méchanceté ne l'habite. Maintenant que je l'ai un peu découvert, je souhaite de tout coeur que Camille apprenne à le connaître à son tour. Surtout qu'elle-même possède un Poussifeu, sa fidèle Flamme, sa plus vieille amie, seul vestige de son passé auquel j'ai accès. Elias sera probablement bien heureux de se trouver un ami de sa propre espèce.

Nuki et lui se partagent un sac de chips à la saveur B.B.Q. Une petite récompense après notre entraînement particulièrement intense de la veille au soir. J'en ressens encore les courbatures. Ouais... Je mettrai un certain temps à m'en remettre. Je m'étire un bras en me dévissant le cou encore une fois vers le couloir d'accès à la salle à manger. Toujours aucune trace de Camille. J'espère qu'elle ne m'a pas oubliée! Je caresse la tête du petit Poussifeu dont le bec est couvert de poudre orangée. Son petit minois, avec ses grands yeux noirs brillants comme un enfant, me fait bien rire. Il tourne sa tête huppée vers moi et éclate de rire à son tour, conscient du ridicule de son visage barbouillé. Le Coupenotte se joint bientôt à nous et nous nous marrons tous ensemble. Comme cela fait du bien! Je leur vole une croustille et la croque avec un sourire vers mes deux compagnons. Dommage que Janyss ne soit pas d'humeur aujourd'hui et ai décidé de rester dans la chambre à bouder. Elle manque un bon moment. Je me retourne une nouvelle fois et aperçois ma bonne amie qui se dirige vers nous. Elle ne nous a pas encore vu, je me lèvre donc pour cacher Elias à qui je fais signe de rester silencieux. Je tiens à garder la surprise! Le Poussifeu se prête au jeu et reste tranquille, une lueur malicieuse dans l'oeil.

Camille n'arrive pas à notre hauteur que je me souviens de notre dernière rencontre à la cafétéria. Je souhaitais alors lui faire part de mes doutes... Mais je n'ai pas osé. Me sentant tout excité à l'idée d'agrandir ma petite équipe, je ne me sens pas d'attaque encore une fois à en parler. Je me sens bien pour le moment. Je repousse donc ces sombres pensées dans un petit coin de mon esprit et accueille Camille d'un grand sourire.

«Salut Camille! Ton cours s'est bien passé?»

Blabla... passons maintenant aux choses sérieuses. Je lui laisse tout juste le temps de répondre avant de scander:

«J'ai quelqu'un à te présenter! Voici Elias!»

Je fais un pas sur le côté, révélant le petit être qui lâche un «Poussiiii!» joyeux et adorable. Je lance un regard fier vers mon amie. Je sais, je suis un vrai gamin!

Mais que lui a-t-il pris, à ce professeur? Faire un cours théorique, pourquoi pas. Mais pourquoi nous ressortir le tout premier cours que n'importe quel dresseur subit, alors que nous sommes en Master 2 de combats avancés? Ou comment passer deux longues heures à se tourner les pouces dans une petite salle étouffante. Bon sang mais à notre niveau, qui ignore encore que le type Feu a l'avantage sur les Insectes, les Glaces, les Plantes & les Aciers, mais craint les Eaux, les Roches & les Sols? Quitte à faire un cours théorique, autant faire quelque chose de bien plus poussé que cela!
Martial n'a d'ailleurs pas supporté tel ennui, & a discrètement quitté la salle à la première occasion. Le connaissant, il a dû partir s'entraîner seul quelque part, sur la plage par exemple, & il ne rentrera qu'à l'heure du dîner. Flamme, quant à elle, était restée près de moi durant ces deux longues heures, petite présence débordante de soutien. Mais elle n'apprécie pas plus pour autant de subir une nouvelle fois ce cours étudié normalement en première année seulement. Ou peut-être en deuxième. Mais pas dans le supérieur!
En tout cas, le fait est que lorsque nous quittons enfin la salle, c'est un soupir soulagé qui nous échappe à toutes les deux, alors que je la prends dans mes bras pour ne pas la perdre dans cette masse de jeunes dresseurs fuyant le même cours que nous, & m'éloigne de ce classe étouffante. L'ennui. Mortel. & quelle perte de temps! Dire que ces deux heures, j'aurai pu les passer dans les Tunnels, en compagnie de mes deux pokémons, à rechercher encore & encore notre futur allié. Cela fait d'ailleurs pratiquement trois jours que je n'ai pu y retourner. Cela fait trop longtemps. Autre soupir. & je prends la décision d'y retourner dès aujourd'hui. Plus précisément ce soir, dès que Martial nous aura rejointes.

& pour l'heure, direction la cafétéria. Noah m'a demandé de l'y rejoindre après mon cours, sans préciser de raison à ce rendez-vous. & en marchant, me voilà devenir songeuse. La dernière fois que nous nous y sommes vus, je souhaitais lui offrir une voie pour me parler ou non de ce qui le trouble ces temps-ci, mais il avait semblé si détendu que j'avais repoussé l'échéance. Mais aujourd'hui, détente, joie, ou non, je compte bien faire cette tentative. Après libre à lui de choisir de parler ou se taire.
Voilà déjà l'entrée du réfectoire. Peu de monde semble s'y trouver, je repose donc ma petite boule de plumes rougeoyantes, sachant qu'elle préfère malgré tout se déplacer par elle-même, avant de pousser la porte, & de parcourir la salle à manger du regard. Je ne tarde pas à trouver mon ami, qui s'est levé en me voyant arriver, & me dirige vers lui, une main distraite sur mon épée pour l'empêcher de battre mes jambes. Le jeune homme arbore un large sourire, & semble pour le moins joyeux. Amusement. On dirait qu'il a repoussé ses troubles.

- Oh, un cours d'un ennui mortel, il était temps que cela finisse.

Telle est ma réponse à cette question qu'il pose lorsque j'arrive à sa hauteur. L'écoute-t-il? Permis me soit d'en douter, car à peine ai-je fini ma phrase qu'il enchaîne. Mais cela est pour me dévoiler la raison de ce rendez-vous, une raison qu'il ne semble pas parvenir à cacher plus longtemps, tant il semble excité. Il veut me présenter quelqu'un, Elias se nomme-t-il. La lumière se fait dans mon esprit alors qu'il s'écarte, révélant le pokémon qui pousse un petit cri joyeux. & si j'avais compris que Noah avait sans doute agrandi son équipe, je ne m'attendais pas à ce que ce soit d'un Poussifeu!

- Poussi!

La réaction de Flamme ne se fait pas attendre, & elle d'habitude si calme & posée, se dirige d'un pas vif & heureux vers son congénère tout en le le saluant de sa voix fluette. J'intercepte alors un regard fier du Narcissus. Enfantin. Un sourire attendri se forme sur mes lèvres à la vue de ce tableau dans sa complétude, un sourire si léger qu'on aurait pu penser l'avoir rêvé, & qui s'efface aussitôt. Mais cette étrange lueur reste dans mon regard, alors que je me souviens avoir été dans le même état d'esprit que mon ami le jour où je rencontrais Flamme.
Tendresse & nostalgie.

- & bien mon ami, nous voici avec un sacré point commun. Je dois te féliciter, on dit que les Poussifeu ne sont pas faciles à attraper. Cependant il est certain qu'ils en valent la peine. & Elias semble réellement adorable.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

J'encaisse tous ces compliments, pour une fois. Moi qui a l'habitude de les fuir, en bon gars humble que je suis. J'ai beau paraître sûr de moi et même un peu imbu de moi-même, il ne faut pas se fier aux apparences. Il se trouve que je suis bien plus vulnérable et simple qu'on peut le croire. Les compliments me rendent profondément mal à l'aise, surtout ce qui a rapport avec ce que je ne peux contrôler: ma personnalité, mon physique, mon argent, etc. Par contre, cette fois-ci je me sens généreux envers mon amie et lui rend son sourire. J'ai de quoi être fier. Dénicher un Pokémon rare lors de ma première capture et l'attraper du premier coup! Du talent ou de la chance, je ne saurais dire, n'empêche que l'idée d'avoir capturé un tel Pokémon me transporte de joie. Camille évoque un point intéressant. Oui, nous avons maintenant un sacré point commun. Un peu comique quand même. Je m'en fichais bien. Cela pimenterait probablement nos prochains combats. Évidement, la jeune fille n'avait pas oublié que j'avais remporté notre dernière bataille. Un match serré, tout de même. Je me retourne vers le petit poussin qui gazouille drôlement. Je le vois se serrer sur sa chaise, visiblement gêné de rencontrer le femelle Poussifeu. Elles sont si rares... Peut-être est-ce la première qui croise son chemin? De toute évidence, il a l'air à la trouver bien de son goût. Sa réaction me fait rire. Il se retourne vers moi et me jette un regard noir. Il aura besoin de conseils de drague, le pauvre!

«Merci Camille! C'est vrai que ça nous fait un MÉGA point commun! Elias a vraiment une belle personnalité. Nous nous entendons déjà très bien.»

Je lui fais un sourire et me rassois, en l'invitant à faire de même. Je dois occuper l'espace, afin que la conversation ne tourne pas vers moi. J'ai bien senti que mon amie avait déniché la présence d'un inconfort chez moi. Et moi je suis encore en train de me dégonfler. Je ne souhaite pas vraiment exposer mes problèmes, qui ne me paraîtront alors que plus réels. Je m'empresse donc de relancer la conversation sur ce même sujet. Je lui raconte en détails mon épopée dans la cavité volcanique et comment j'ai mis la main sur le petit poussin. Afin d'ajouter du réalisme, mes Pokémon miment certaines scènes. Qu'ils sont mignons! Lorsque mon récit effréné se termine, je fais un signe à Camille:

«Je crois qu'Elias en pince pour Flamme...» je lui chuchote avec un clin d'oeil.

Elle doit sentir que cette diarrhée verbale ne sert qu'à acheter du temps. Je ne m'en sortirai pas ainsi bien longtemps...

Je m'assois à mon tour, tandis qu'il se lance dans la description de son excursion dans la cavité volcanique, où il captura son Poussifeu. Une grande aventure visiblement, & ses pokémons prennent grand plaisir à mimer certaines scènes, sous nos regards amusés. Mais avec cet enthousiasme effréné me semble cacher autre chose. Essaierait-il d'empêcher la discussion de tourner vers lui? Aurait-il compris mon ressenti à son sujet, voudrait-il repousser l'échéance? Je ne sais plus qu'en penser. Dois-je réellement lui ouvrir cette voie, ou vaut-il mieux ne rien dire. Rah, quelle question! Évidemment que je dois lui proposer, que je dois lui apporter mon aide autant qu'il m'est possible. Mais il semble détendu, je peux bien lui accorder ce répit avant de tenter.
Un très léger sourire apparait à sa remarque concernant nos poussins respectifs. Je hoche légèrement la tête, approuvant cette constatation. Oui, je l'ai bien vu aussi. & Flamme est intriguée par ce congénère, elle qui n'a pas souvent eu l'occasion d'en voir. Du moins, plus depuis une dizaine d'années, sachant qu'elle était petite lorsque je l'ai eue. Même si je ne le montre pas vraiment, je suis heureuse pour elle.

Mon regard se porte de nouveau sur mon ami. Il m'a adressé un clin d'œil tout en faisant cette remarque. & désormais, il se tait. Ne saurait-il plus comment meubler l'espace? De nouveau, j'ai cette impression de trouble chez lui. Impression ou réalité, cette fois-ci? Vu son enthousiasme précédent, il est permis de douter. Mais est-ce masque ou réalité? Sans doute un peu des deux. Bien évidemment qu'il est heureux d'avoir Elias, & son enthousiasme est vrai, pourtant quelque chose me dit qu'il en profite pour tenter de cacher ses tourments. Après tout, quels meilleurs 'mensonges' que ceux qui se basent sur la réalité?
Enfin, après tout, c'est lui qui choisira au final. Je ne le forcerai pas à parler, pas plus qu'il ne m'a jamais forcé à le faire. Je lui ferai juste savoir ma présence & mon soutien. Libre à lui de se confier ou non après, je tenterai de l'aider dans tous les cas.

Mais comment lui dire, de quelle façon formule-t-on cela? Comment proposer ce 'chemin' pour en parler ou non, comment dit-on ce genre de choses? Je suis devenue trop solitaire pour me souvenir de ce genre de choses, qu'on appelle communément le tact. Quelques secondes ont passé dans ce silence étrange. & finalement, je me décide. Pourquoi chercher la complexité, le normal ou ce que disent les autres dans ce genre de cas? Je ne suis pas eux. & c'est à ma façon que je me dois de réagir, pas à l'aide d'une de ces fichues formules de complaisance que je ne connais même pas.

- Tu sembles troublé mon ami, serait-ce l'émotion de ce tableau?

Les mots ont jaillit d'eux même à l'instant où je pris la décision de cesser de me poser ces stupides questions. Ce sont mes mots, ceux qui paraissent le plus naturel dans ma bouche. & je me doute que Noah comprendra le double-sens de cette phrase. Qu'il saisira cette pseudo innocence pouvant mener à des confidences ou à une esquive relativement discrète du sujet (en sachant que je n'en serai point dupe). Oui, il comprendra que cette innocence n'est que feinte, & qu'ainsi je lui laisse le choix d'en parler ou de se dérober.
Du moins, je l'espère.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Clair net et précis. J'aurais du m'y attendre. Comme le tranchant de sa lame. Du Camille tout craché, oui. Des mots lancés, nullement par hasard. Je pivote le menton vers elle et plonge mon regard dans le sien. Cette étendue émeraude qui me rappelle les hautes herbes et les journées ensoleillées. Comment un vert aussi pur peu se montrer aussi dur, aussi brave, aussi fuyant, aussi fier? Je constate avec surprise qu'il ne contient aucune menace. Une douceur, presque même. J'aurais cru que la jeune fille ne me torde le bras ou ne me menace de son épée afin de faire ressortir ces confessions enfoncées au plus profond de moi. Je découvre plutôt une inquiétude certaine mais non précipitée à mon endroit. Ô Miss Jaegan, tu ne finis pas de me surprendre. Ses mots sont tombés brusquement, tout de même, comme un cheveu sur la soupe. Peut-être car mon âme sensible appréhendait depuis un certain temps le moment fatidique où la blondinette me questionnerait. Elle n'est pas dupe. Nous ne passons peut-être pas énormément de temps à se côtoyer, devant jongler avec nos horaires et nos travaux respectifs. Par contre, nous nous connaissons assez bien, maintenant pour pouvoir comprendre les sentiments de l'autres, même si ceux-ci restent enfouis et timides. Comme d'habitude, Camille a su gratter un peu, mais je suis resté si secret sur mes doutes qu'elle n'a pas pu deviner l'objet de mon trouble, cette fois. Moi qui, pourtant, est un véritable livre ouvert sur mes sentiments.

Ces pensées, je les rumine depuis un moment. Elles concernant évidement Jade, qui me manque terriblement. Ensuite, Janyss. Et finalement cette idée implantée qui grandit en moi... Par quoi commencer, donc? Mon problème réside dans l'amalgame de ces trois situations épineuses. Séparées, je pourrais les gérer. Mais ensemble... Je commence à me sentir lourd de devoir porter tout ce poids! Alors pourquoi suis-je encore réticent à l'idée de me confier à ma bonne amie? Celle qui d'entre tous ne me jugera jamais et m'écoutera du mieux qu'elle le peut? Je laisse errer mon regard sur la table. Puis un piaillement attire mon attention. Flamme et Elias s'amusent comme des petits fous tous les deux. Ils agacent mutuellement Nuki qui trouve leurs interventions bien comiques. Ces deux-là s'apprécient déjà. Deux vrais bons copains. Leur proximité et leur confiance me font soupirer intérieurement. Comme un message qui me serait lancé en pleine figure. Vas-y ouvre-toi pauvre mauviette! Il le faut donc. J'ai tout de même une résistance lorsque je me souviens de la flambée de colère qu'a vécu mon amie dans la clairière il y a peu de temps. Ces émotions... tellement vives... tellement puissantes. Encore une fois, je sens que mes propres problèmes ne se mesurent en rien comparé à ceux de Camille.

«Je suis troublé, tu sais, mais ce n'est rien...»

Je lui souris. Je dois me détacher de toute cette merde qui me colle dessus et vite.

«En fait... Je... je pense échanger Janyss...»

Ce qui n'est pas faux. Depuis quelques temps, je sens que notre relation ne va plus nulle part. J'ai même contacté un garçon de la maison Lychnis, un spécialiste des insectes. Mais avant de conclure notre échange, je souhaite entendre l'avis de ma sage amie. Suis-je en train de baisser les bras trop précipitamment? Seule elle pourra me le dire, qui me connaît mieux que quiconque. Mes forces, comme mes faiblesses.

Il se tourne vers moi, nos regards s'accrochent. Il a compris en effet. & il semble passer par plusieurs émotions & ressentis que je ne parviens à analyser. Du moins pas toutes. Je décèle comme de la surprise, mais pas grand chose de plus. Lui qui habituellement est assez aisé à déchiffrer, la façon dont il devient d'un coup si secret traduit ce trouble que j'ai senti en lui. Ses tourments & des interrogations dansent dans ses yeux bruns, mais je n'ajoute rien. Je lui laisse le temps de penser, de se décider, & de parler ou non. Au vu de son air ces derniers jours, je comprends qu'il puisse avoir besoin de temps.
En attendant, je reporte mon regard sur nos trois pokémons jouant près de nous. Mon visage se détend légèrement, attendri. Ils semblent s'entendre comme larrons en foire, & ne se soucient que peu de nous. Enfin, du moins ils le semblent. Je ne sais ce qu'il en est réellement pour Nuki & Elias, mais concernant Flamme je sais qu'elle fait seulement mine de nous avoir oubliés. Ce poussin a du tact, & nous laisse l'espace & l'intimité de discuter, sans chercher à comprendre. Enfin, cela n'empêche bien entendu, qu'elle s'amuse sincèrement.

Enfin vient la réponse. Il commence par nier. Du moins, en apparence. Je me retourne vers lui alors qu'il me sourit, puis il continue d'un ton hésitant. La réponse me surprend, & cela se voit peut-être. Mais la surprise n'est pas aussi grande qu'elle ne l'aurait dû, sans doute. J'ai en effet bien remarqué les difficultés qu'il a avec Janyss depuis quelques temps, mais j'admets que je n'avais pas pensé qu'il songerai si tôt à se détacher d'elle. Mais vu son amour pour ses pokémons, il paraît logique qu'il soit atteint par ces problèmes avec la Yanma. Il doit se sentir déçu d'échouer ainsi avec elle, & de ne plus être en capacité de s'occuper d'elle.

- Oui, je comprends ce que tu dois ressentir. & vu la façon dont tu l'annonces, je suppose que tu as trouvé un potentiel nouveau dresseur?

Mais malgré tout cette force qu'a son attachement à ses pokémons, j'ai l'impression que ce n'est pas tout. Enfin, une seule chose à la fois. Commençons par voir ce problème de libellule. J'y réfléchis quelques instants. Je sais que le jeune homme continue de l'adorer, & sans doute que Janyss tient encore beaucoup à lui. Mais ils n'ont plus l'air d'avoir beaucoup d'atomes crochus, & semblent se faire l'un à l'autre plus de mal qu'autre chose ; d'autant qu'avec tout ça le caractère de la petite insecte ne semble pas s'améliorer.
Je hoche légèrement la tête.

- Mais sans doute serait-ce mieux ainsi, pour vous deux. Vous seriez peut-être plus heureux comme cela..

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Ouf... Maintenant que j'ai prononcé ces paroles, tout leur sens est en train de se former dans leur esprit. Si ma décision se porte vers l'échange, jamais plus je ne reverrai ma brave Yanma. Jamais plus elle viendra se poser sur mon épaule réconfortante, avec son air moqueur. Jamais plus nous nous entraînerons ensemble, aux Gymnase, dans la forêt ou sous la pluie battante, comme aujourd'hui. Jamais plus nous jouerons des tours ensemble. Je ne lui préparerai plus ses repas, je ne l'emmenerai plus au centre de soins afin de m'assurer qu'elle se porte bien. Elle ne sera plus mon Pokémon, ma compagnonne de jeu et de vie. Car pour moi, mes Pokémon sont des compagnons de vie. Peu importe les belles filles que je rencontrerai, peu importe l'endroit où je me trouve et peu importe ce que je vis, ils se trouveront toujours à mes côtés. Je ne pourrais m'imaginer une seule journée sans eux. Je regarde Nuki et Elias qui s'amusent et aussitôt, mon coeur se réchauffe. Je ne ressens plus cette émotion de chaleur lorsque je me trouve en compagnie de Janyss. Comme si quelque chose s'était brisé. Plusieurs évènements sont venus embrouiller nos relations. Par exemple, cette journée à la plage où l'attaque d'un Sancoki sauvage est venu troubler notre moment de détente. Malgré des blessures importantes, la seule femelle de mon équipe a refusé de rentrer sa Poké Ball et de laisser son compagnon de type dragon prendre la relève. À notre retour, je lui ai piqué une crise pas possible. Je regrette beaucoup à présent, mais je ne peux plus retourner en arrière. Une autre fois, la libellule s'est enfuie lors d'un entraînement où j'ai poussé un peu fort. Rien, cependant, pour justifier cette emportement. Que faire lorsque chaque fois que nous sommes ensemble, ces souvenirs viennent nous hanter? Chaque fois qu'elle est sortie de sa balle, je me sens tendu et même agressif. Je ressens la même chose chez elle. D'un ton que je veux égal et détaché, je lui fais part de ces dernières impressions.

J'ai conscience de vouloir me justifier un peu trop. Je recherche l'approbation de Camille. Peut-être parce que je la considère comme une des personnes les plus sensées d'Alcea Rosea. Oui, la fille qui se prommène avec une épée. Cette force au fond d'elle et cette grande maturité en font une excellente confidente et conseillère, même si je sais qu'elle n'y a pas l'habitude. Une éternelle solitaire la Jaegan. Pourtant, son esprit logique et tranché me permettra de mettre de l'ordre dans mes idées. M'ouvrir à elle n'est peut-être pas une si mauvaise idée après tout. Elle me connaît bien. Elle accepte mon petit côté difficile, bébé et même franchement snob parfois. Elle sait que si je le souhaitais, je pourrais lui crier des insultes qui iraient droit au bobo et lui faire bien du mal. Ellle sait aussi que jamais je ne lui ferais du mal. Camille n'irait jamais raconter mes doutes à qui que ce soit non plus. La jeune fille reste ce que j'ai le plus proche d'une petite soeur. Elle appuie ma démarche sans me juger. Je soupire. Peut-être aurais-je préféré qu'elle me convainc du contraire. Je lui jette un regard triste où perce ma tristesse. Elle a raison pourtant.

«Mieux pour elle surtout. Moi, faudra que je travaille sur moi pour l'accepter. J'ai trouvé, en effet, un dresseur tout indiqué pour s'occuper d'elle... Un certain Emilio. C'est un grand amateur d'insectes. Il en a une équipe complète paraît-il.»

Je souris à Camille, même si, en dedans, des sentiments contradictoires s'entre-choquent.

«Tu es bonne de m'écouter babiller ainsi sur moi. Un vrai Narcissus, je fais, hein? MOI, MOI, MOI!»

Je me permets de blaguer pour détendre l'atmosphère, mais surtout pour dédramatiser ma situation.

& il parle, aussi posément qu'il le peut. & il m'explique ses doutes, ses raisons, cette flamme qui semble s'être éteinte entre la libellule & lui, leurs erreurs & incompréhensions qui les éloignent lentement mais sûrement. Il me parle, il se justifie & justifie cette décision qui le fait hésiter. Depuis combien de temps cela le perturbe-t-il? Sans doute un moment, si j'en juge par l'état avancé de ses délibérations intérieures & de ses 'preuves' qu'il me liste en partie.
Son regard brun est triste, preuve incontestable de combien cette décision lui coûte, mais pourtant elle semble la plus judicieuse. Mais oui, je comprends son état d'esprit, après tout si ce même genre de problème éclatait avec Martial, cela me ferait tout aussi mal. Pourrai-je me résoudre à me séparer de lui? Je ne sais. Si la situation est aussi désespérée, peut.. Non, en fait je ne sais vraiment pas.
Mes yeux se posent sur Noah, qui me décrit rapidement le dresseur potentiel qu'il a trouvé avec un sourire. Presque aussitôt, il sort une bêtise, de l'auto-dérision pure, pour se détendre & détendre l'atmosphère. Je m'autorise également un sourire, amusée.

- C'est le caractère qui fait la maison, non l'inverse. En théorie du moins. Mais tu as raison, j'ignore d'où me vient telle patience!

Flamme lève vers moi un regard surpris. Voilà bien longtemps qu'elle ne m'avait plus entendu faire de l'humour, ou quelque chose approchant. Depuis deux ans. Pour la deuxième fois en quelques jours, je la vois lancer une œillade reconnaissante au jeune homme, avant de reporter son attention sur Nuki & Elias.
Moi-même, je me retourne vers mon ami, plus sérieusement cette fois-ci, cherchant les mots justes pour exprimer ma pensée, & mon respect grandissant devant cette décision que je sais difficile mais qui pourtant est sûrement (& malheureusement) la meilleure.

- C'est courageux de ta part. Dans un cas comme le tien, je ne suis pas sûre d'avoir la force de penser à l'échange. Mais toi tu le fais, tu parviens à sentir que tu ne peux pas faire grand chose de plus & à te résigner à la séparation pour votre bien-être à tous deux, même si c'est dur.

Quelle tirade, je ne suis plus habituée à parler autant d'un coup à d'autres qu'à mes pokémons. Pourtant je continue, sans hésiter. Je ne m'arrête que pour reprendre une inspiration ou pour ordonner, chercher mes mots. Je manque de tact & d'habitude, & je le sais. & pour cela je fais d'autant plus attention, & pour cela je crains d'éventuelles maladresses. Pourtant je ne m'arrête pas, je lui rappelle ces aspects qu'il a peut-être oubliés dans la balance, ou qu'il occulte peut-être en pensant surtout au mal qu'il va avoir. C'est important pour lui, je crois.

- J'ai entendu parler de cet Emilio, & il est aussi à Alcea. Donc, qu'est-ce qui t'empêcherai de revoir Janyss, de temps en temps? Je suis sûre que ce dresseur d'insectes comprendra une telle requête. Après tout si l'échange se fait, il va aussi te confier un de ses pokémons.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Ma tentative pour détendre l'atmosphère fonctionne tout de même. Elle réussit surtout à calmer ma nervosité qui me prend un peu les tripes. J'ai toujours l'habitude d'avoir le plein contrôle de moi-même, dans toutes sortes de situation. Le stress me trouble rarement. On me traite parfois d'insouciant. Il est vrai que je ne me préoccupe que très peu de mes actions, un trait particulier, je crois, aux Narcissus. On me le reproche car je blesse les autres ou m'engage dans des voies difficiles parfois. Peu de choses savent m'atteindre. Une force et une faiblesse, je dois dire, car si ce calme intérieur me permet d'entretenir des relations avec des gens un peu difficiles, comme Camille parfois, il me met aussi en danger à mon insu. Je dois donc essayer d'utiliser ma tête avec un peu plus doigté. Enfin... Aujourd'hui, je me sens nerveux car je n'ai pas trop l'habitude de me mettre à nu ainsi. Je préfère garder mes conflits personnels -bien peu nombreux- pour même et les traiter tranquillement ou les oublier. Mais voilà, avec Janyss, je ne peux plus faire comme si mon problème n'existe pas, car elle m'est trop précieuse. Je souhaite vivement qu'elle se sente bien, mais aussi, je commence à craindre pour ma sécurité. Si ses entêtements devaient perdurer, elle pourrait se retourner contre moi et m'attaquer. Et contre un Pokémon, je ne fais pas trop le poids. Je n'ai pas d'ailes moi! Ni de super-pouvoirs. À ma plus grande surprise, Camille ne s'avère pas seulement une bonne oreille pour écouter mes doutes. Doucement et avec grande intelligence, elle m'aide à exposer tous les points de cette situation.

Notre discussion se poursuit un très long moment. Je découvre une Camille très agréable, implacablement imperturbable, et surtout, tellement plus mature que moi. J'ai beau essayer d'agir en adulte, la vie ici est si facile que je ne m'en donne même pas la peine. Mais elle... non. Miss Jaegan calcule tout ce qu'elle entreprend. Elle me complète bien, finalement. Elle arrive à calmer ma nature paresseuse, snob parfois et franchement insouciante. Pour ma part, je crois que j'ai un don pour faire ressortir le meilleur d'elle-même, de la faire sourire et apprécier un peu plus sa journée, malgré tout ce qu'elle a pu vivre par le passé. Justement, je l'entends faire un peu d'humour sur les maisons. Cela me fait du bien de la voir s'éclairer ainsi, en espérant pouvoir répéter cette situation dans le futur. Pour le moment, nous nous concentrons sur ce problème, bien complexe. Ensemble, nous décortiquons les deux choix à prendre en se penchant sur les conséquences de chacun. Camille me fait remarquer certaines choses auxquelles je n'avais pas pensé et parfois, ces interventions donnent lui à de vives conversations et débats, toujours sur un ton de conversation. Au final, ce problème, cette partie de moi exposée, prend toute sa forme sur la table. J'avais d'abord craint que de le visualiser ainsi me ferait prendre conscience de sa gravité et me pèserait encore plus sur les épaules. Je me suis trompé. Au contraire, cette façon de procéder m'allège. Je peux enfin me déculpabiliser, même si je sens que Camille n'aurait peut-être pas emprunté la même décision. Elle soutient la décision que je prend finalement avec des arguments non négligeables. Cela me fait du bien de savoir que je ne suis pas un mauvais dresseur qui ne pense qu'à lui. Elle me rassure bien en me disant que je suis habité des meilleures intentions. Enfin, c'est ce que je crois comprendre de son discours. Ce sont ces derniers mots qui arrêtent mon choix lorsqu'elle évoque la possibilité de revoir Janyss. Bien sûr. Je ne la relâche pas dans la nature. Je vais donc l'échanger.

«Tu as bien raison... comme toujours... Je... je vais le faire. Il le faut. Merci Camille. Tu ignores à quel point tu m'as aidé.»

Le reste de notre discussion se poursuit un peu sur le même sujet, question de faire le point de nouveau, puis un silence s'installe durant lequel je me laisse porter par mes pensées. Je m'imagine avec grande douleur le moment de la séparation. Il me faudra me faire à l'idée. Je me secoue soudain et m'excuse avec un sourire de ce moment d'absence. Encore une fois, je repousse mon mal à plus tard. Camille n'a pas besoin de le subir. Elle ne pourrait rien y faire de toute façon. Du tac au tac, je la questionne sur un autre sujet qui me préoccupe:

«Camille... trouves-tu que je suis un bon dresseur?»

La question sort de nulle part, mais je crois que la blondinette commence à en avoir l'habitude. Je passe souvent d'un sujet à un autre sans me soucier de terminer le sujet de façon adéquate.

& il me remercie pour mon aide, arguant que comme toujours j'ai raison ; un rictus ironique m'échappe. Parfois, souvent seulement. Pas toujours. Personne ne peut avoir toujours raison.. Juste de la logique, & même cela n'est pas infaillible. Mais je n'en dis rien, il sait bien que je suis aussi humaine, après tout. J'accepte les remerciements, & continue un peu cette discussion comme si ces pensées ne m'avaient pas effleurées. Jusqu'à ce qu'il se taise, absorbé par ses pensées.
Alors je fais silence aussi, mon regard posé sur les trois pokémons jouant ensemble. Cela aussi, il doit en avoir besoin, réfléchir en paix. Alors je lui laisse le temps de le faire. Me contentant de regarder Flamme qui éloigne peu à peu sa réserve habituelle à mesure qu'elle fait connaissance avec l'autre Poussifeu. & alors qu'elle propose un nouveau jeu, je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Car je connais ce jeu. Le jeu préféré d'Océan, le sien aussi, celui auquel ils jouaient souvent, entraînant Ziggy avec eux. Nostalgie dans mon regard. Nostalgie dans le sien, alors qu'elle propose à Elias & Nuki de partager ce jeu si cher avec elle.
L'excuse de Noah, agrémentée d'un sourire, m'arrache à cette contemplation, à cette mélancolie. D'un signe de la main, je lui indique que cela est déjà oublié. Il enchaîne aussitôt, sur un tout autre sujet. Une question surprenante, qui me laisse un instant coite. Il doute donc de tant de choses?. Je comprends bien mieux son mal-être, désormais. Que veut il dire par là?

- Étrange question.. Je n'en doute pas un instant. Mais toi alors, qu'est-ce qui te fait en douter? je me tais une seconde, cherche mes mots. Il y a toutes sortes de dresseurs, c'est un mot vaste. Tu es de ceux qui sont à l'écoute de leurs pokémons, qui pensent à leur bien-être avant même de s'apercevoir combien une décision peut être difficile mais finir par la prendre quand même. Qu'est-ce qui fait un bon dresseur? Qui pourrait réellement le dire? On n'a pas tous le même avis là-dessus. Pourtant il me semble qu'il existe bien des gens capables de te donner une esquisse de réponse. & ils sont juste là, ils jouent avec Flamme. C'est à eux qu'il te faut poser cette question, Noah.

Rah.. Je parle beaucoup aujourd'hui. Beaucoup plus que d'habitude, je sens ma voix s'étioler quelques peu sur les derniers mots, pourtant je continue mon raisonnement, pour le mener à terme. Il y a besoin de parler, après tout. Alors je dépasse mes habitudes, & je soutiens la conversation.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Qu'est-ce qui me fait douter? Si seulement je le savais moi-même. Je ne connais même pas de baisse d'intérêt pour les combats. Je ne saurais pas mettre le doigt sur le moment précis où se doute s'est emparé de mon esprit, se mettant à le torturer dans tous les sens. Depuis, mes yeux se sont agrandis et je considère le monde Pokémon d'une toute autre façon. Je n'ai jamais été aussi fasciné de nos compagnons aux pouvoirs magiques, ni aussi attentif en classe. Il m'arrive de plus en plus souvent d'attraper un livre sur les Pokémon, des livres parfois très techniques et scientifiques et me laisse complètement absorber par toutes ces découvertes. Moi! Noah Astaran! Qui... LIT? Je ne me reconnais plus et c'est peu dire. J'ai toujours été le gamin au fond de la classe que les professeurs ne sont plus capables de voir en peinture car il n'arrive pas à s'asseoir pour cinq secondes. Je dois quotidiennement me rendre au Gymnase pour dépenser des calories, ou alors courir dehors car sinon, je n'arrive pas à dormir la nuit, ni à me concentrer en cours. Alors voilà que je me vois assis tranquillement dans la bibliothèque, à étudier sur des sujets qui ne sont pas vus dans mes classes. Suis-je devenu fou? J'ai l'impression que ma quête du savoir me bourre la tête plus que d'autre chose. À quoi bon alors? Pourquoi lorsque j'arrive dans ma chambre, le soir, je ne pense qu'à renouer avec ses milliers de mots et ses faits croustillants sur les Pokémon? Cette vision plus large du monde Pokémon -que je ne considérais que du point de vue des combats jusqu'à présent- m'a ouvert des portes. Par exemple, Hestia m'a parlé de l'Élevage, un truc vraiment intéressant. S'occuper de ses Pokémon et veiller à leur bien-être. Ensuite, il y a les Coordinateurs. Ceux-là cherchent à montrer le meilleur de leurs Pokémon avec des combinaisons du tonnerre. Même si je ne me vois pas trop dans ses deux catégories, elles m'intéressent grandement néanmoins.

Camille a raison de dire qu'il est difficile de savoir qu'est-ce qu'un bon dresseur. Pour moi, il n'y a pas de doute qu'un dresseur qui cherche à améliorer les capacités et les talents de son équipe, tout en leur prodiguant les soins nécessaires sait vraiment ce qu'il fait. Celui qui sait les aimer, il est génial. Pas une tâche facile. Je crois pouvoir me placer dans ceux-là. C'est plutôt la première partie qui laisse parfois à désirer. Enfin... J'ignore pourquoi j'ai lancé cette question à la volée comme ça à Camille, ce n'était pas très gentil de la laisser sur la glace de cette façon. Il va falloir que j'explique ma réflexion, mais comment? Alors que j'ai du mal à comprendre ce qui m'habite moi-même? J'entame donc cette conversation ainsi:

«Tu sais, avant d'arriver ici, mon rêve était de voyager. Je veux voir le monde. Découvrir. Courir tout partout, comme je le sais le faire. Je veux voir Johto et Hoenn et Kanto et Sinnoh et redécouvrir Unys et aller plus loin encore. Je veux voir. Je n'ai jamais eu la prétention de devenir le meilleur dresseur de la Terre. Là n'est pas mon but. Mon but est de guider mes Pokémon et de vivre une aventure... Un truc que ne pouvait comprendre mon père.»

À la mention de mon père, je me crispe. La rage bouille aussitôt dans le fond de mon estomac et mon regard s'assombrit. Je n'ai raconté que vaguement les soucis père-fils que j'entretiens avec lui, mais elle est assez intelligente pour deviner le reste. Depuis mes quinze ans, nous ne pouvons parler de Pokémon sans que nous ne nous prenions la tête. Je continue, la voix enrouée par la colère contenue.

«Lui, il voulait que je prenne la relève d'Astaran Inc. Mais ça, ça me tuerait. J'ai donc décidé de devenir dresseur contre sa volonté, même si ça signifiait perdre son estime pour toujours...»

Je n'ose pas regarder Camille. Ça... c'est trop profond. Trop douloureux. Je préfère me contenter de parler et non de penser.

«Dresseur... c'est donc devenu une excuse finalement. Et puis, on a fait un compromis et il m'a envoyé ici, pour que je continue mes études... Je n'ai rien contre les études. Mais aujourd'hui... je ne suis plus si sûr que d'étudier pour devenir dresseur me correspond très bien.»

Ouf. Ma poitrine vient de se refermer sur mes poumons, les broyant au passage. Je cherche mon air sans laisser rien paraître, mais le poids de ce que je viens de déclarer vient de m'éclater en pleine figure.

«Mais faire quoi? Je veux être avec des Pokémon... Je me suis alors dit... Arf c'est stupide...»

Mon image de grand garçon sûr de lui venait tout juste de fondre comme de la neige au soleil.

«... Je me suis dit que je pourrais peut-être devenir Connaisseur. Étudier le lien entre les Pokémon et leurs dresseurs. C'est une profession qui n'existe qu'à Unys.»

Je me tais car je ne trouve rien de plus à dire. Je me sens honteux d'avoir dû le dire. Moi et mes brillantes idées de me confier.

& je le laisse réfléchir, choisir ses paroles. Je l'écoute parler, attentive. Évoquer ses envies, les réticences de son père, ses incompréhensions. Ses doutes. Il ne regarde pas dans ma direction, son trouble éclate alors que le garçon sûr de lui part en fumée. Serait-il honteux de ces pensées? Honteux de confier cela? Mais que m'importe? Je ne suis pas là pour rire de ses 'faiblesses', pour briser son image face aux autres ou encore pour répandre de foutues rumeurs. Je ne suis pas là pour le juger, je serai même très mal placée pour cela. Non. Je suis là pour l'aider.
Pensive, je hoche la tête distraitement alors qu'il achève sa tirade. Je le sens tendu. Je le sens perdu. & toujours aussi troublé. Que lui dire, que dit-on à quelqu'un qui ne sait plus où il en est? Il va me falloir improviser sur un nouveau terrain non maîtrisé. Enfin, sans doute est-ce mieux ainsi. Ce ne serait pas vraiment sincère, avec des formules trop classiques pour polluer mes paroles.

- J'ai entendu parler des Connaisseurs. Je trouve l'idée intéressante, & puis ça t'irait sans doute bien. Mais il y a une chose que je ne comprends pas ; en quoi serait-ce stupide? Des filières en rapport avec les pokémons, il y en a des dizaines, & aucune n'est plus mauvaise ou meilleure qu'une autre. Certes certains considèrent les combattants comme l'élite, mais ne sont-ce pas eux qui sont stupides? Toutes les professions liées aux pokémons, sont également toutes liées entre elles. Après tout, tous sont dresseurs. & pas forcément dans le sens de combattant ; ce mot est très vaste & englobe tous ceux qui travaillent avec leurs propres pokémons, qu'ils soient éleveurs, combattants, chercheurs, médecins pokémons, observateurs, coordinateurs, ou encore connaisseurs. En quoi serait-ce stupide?

Ma voix s'étiole encore, ma gorge me démange quelques peu. Aha, depuis quand n'avais-je plus parlé autant? Plus de deux ans. & pourtant je m'emballe quelques peu on dirait, je donne mon avis jusqu'au bout, en espérant pouvoir l'aider un peu. Autant que cela m'est possible. Pensive, je me saisis d'une carafe d'eau & d'un verre, afin de réhydrater ma gorge & de permettre à ma voix de tenter de tenir la distance aussi longtemps que nécessaire.
Je n'ai fait aucune remarque sur son père. De ce que j'en sais, ou que j'en ai compris, je comprends que ce sujet ne lui plaise que peu, & je respecte. Non, je me suis basée sur une petite partie de son discours, ce petit mot qui m'a interpellée comme s'il s'agissait de la racine du problème, & dont je ne comprends pas la place dans sa réflexion. Se refuserait-il le droit de changer d'avis? Pourtant pour ce que j'en sais le doute est humain, & changer d'idée l'est aussi. Il ne serait pas le premier à s'être trompé, & il ne sera pas le dernier non plus.
Ces questions voltigeant en mon esprit, je remplis le verre d'eau. & sitôt celle-ci avalée, j'achève mon raisonnement, ma tirade, d'une dernière question.

- Si vraiment c'est cela qui t'intéresse, en quoi serait-ce stupide de suivre cette voie?

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Je crois que mon esprit s'est arrêté au milieu de notre conversation. Sur le mot «père». Je sens mon sang bouillir avec intensité alors que je me remémore chacun de nos derniers échanges. Froids. Une multitude de tâtonnements. De défis. Des voix tendues comme des cordes. Des répliques cinglantes. Son air fier. Mon air digne. De l'orgueil encore et encore. Un orgueil qui encore et toujours me prend à la gorge et me donne la nausée. Un orgueil mal placé qui me donne la rage. Et la honte. Je me sens me refermer, me referme comme une huître. Nuki le sent aussitôt et s'arrête de jouer en jetant un regard inquiet dans ma direction. Je sens ses prunelles me scruter avec angoisse, mais je ne me retourne pas. Je fixe la table comme si ma vie en dépendait. Mes poings se sont refermés sur eux-mêmes et mes yeux bruns ont perdu toute leur vie. Je ne dois pas aller dans ce coin de mon passé. Rien de bon ne peux en ressortir. Pourtant, je dois aller y chercher quelque chose que j'ai perdu. Faire avouer à cet homme que j'ai raison et que je sais mieux que lui ce que je dois faire de ma vie. Je n'ai besoin de personne, et certainement pas de ses conseils à la noix. Comme un venin, la colère file le long de mes veines jusqu'à mon coeur et à mon cerveau. Je ne pense plus correctement. J'arrive à peine à me souvenir de notre sujet de conversation au départ. La seule idée qui m'obsède, ou plutôt ce sentiment, c'est la honte. Cette honte qui me pue au nez. Elle s'insinue dans mon gorge et me donne envie de frapper, de hurler, de me cacher. Pourquoi ai-je ouvert la bouche sur ce sujet? Camille avait-elle vraiment besoin de savoir toutes mes faiblesses ainsi?

«Oui, c'est stupide!» je lance promptement dans sa figure.

J'ai perdu le contrôle sur mon bon sens. J'ai l'impression de m'observer moi-même, suspendu au dessus de mon propre corps, m'énerver et tempêter.

«C'est stupide parce que c'est faible et que d'abandonner, c'est pour les nuls! C'est stupide parce que je ne suis pas capable de respecter une seule foutue décision que je prends! Ça lui ferait bien plaisir à lui, hein!»

Un silence se fait autour de nous. J'ai parlé trop fort. J'ai lancé des missiles, direction Camille. Camille. Ma soeur. Ma complice. Qu'ai-je fait? Qu'ai-je dit. Je sens les regards d'Elias et de Nuki posés sur moi. Sur ma poitrine qui s'élève et se compresse frénétiquement sous l'effet de la colère. Sur mes poings posés sur la table comme deux masses prêtes à s'abattre et à détruire. Je relâche la pression de mes muscles et mes doigts reparaissent, tous blancs. J'ouvre la bouche, incrédule, angoissé, perdu. Je jette un regard vers Camille. Je sais que je l'ai blessée. Je n'ai jamais jamais jamais haussé le ton sur elle. Elle tente simplement de m'aider... Et je lui explose en pleine figure.

«Camille... je... je suis vraiment navré. Je ne pensais rien de ce que j'ai dit...»

Je me passe une main sur le visage dépassé par ma culpabilité.

«Oh par Arceus je suis désolé... Oublie ce que je viens de gueuler tu veux bien? Je... je crois que je suis un peu fatigué...»

Cela n'excuse en rien mes agissements excessifs, mais au moins, j'essaie de réparer les pots cassés. J'ai honte de nouveau, cette fois de m'être emporté. Une honte froide, cette fois, qui glace toutes mes ardeurs.

J'ai tout juste le temps de respirer après cette conclusion, qu'il semble exploser. Mon regard se reporte sur mon ami, intriguée. L'expression de son visage montre du trouble &, une fois encore, j'ai l'impression d'y saisir une certaine honte sur laquelle je ne peux que m'interroger. Enfin, sur laquelle je pourrai m'interroger s'il m'en laissait le temps. Car il continue sur sa lancée, il crie & s'énerve. Pour la première fois depuis que je le connais, il hausse le ton contre moi. Mes yeux émeraude s'écarquillent de surprise face à si vive réaction, dirigée contre moi qui plus est. La seule personne qui pouvait m'attaquer ainsi, passer ses coups de rage contre moi sans en subir les conséquences, c'est Lazare. &.. & en cet instant, lors de cet éclat pour le moins incontrôlé, Noah me rappelle étrangement mon frère. Si bien, que j'en reste coite, totalement figée.
J'en oublie même de réagir, de m'offusquer pour cet affront & de me défendre, je le fixe sans parvenir à lui répondre. Je sais que mon visage reste inexpressif, que seuls mes yeux reflètent peut-être ma surprise. J'entends le silence qui s'est fait autour de nous, mais je n'y prête guère attention, soutenant son regard qui se fait incrédule alors qu'il réalise ses propres paroles, sa soudaine agressivité. L'air soudain coupable, comme toute colère envolée, il se répand en excuses.
Alors mon regard change, la surprise ne s'en échappe pas totalement, mais la détermination revient subitement, accompagnée peut-être d'une certaine affection.

- Seuls les cons ne changent pas d'avis, Noah. C'est humain. Si tu penses avoir trouvé ta voie, suis-la, simplement. T'obstiner à suivre un autre chemin parce que tu as un jour affirmé que tu ferais ainsi serait dommage..

Je n'ai pas vraiment réfléchit à ces mots, murmurés de façon à ce que lui seul entende. C'est sorti sans que je n'y pense, comme la seule réelle réponse que je puisse faire à cet éclat qu'il a eu. Je suis persuadée qu'il n'a pas entendu un traitre mot de ce que j'avais dit auparavant, trop occupé qu'il était à s'énerver lentement.

- Pour ce qui est du reste.. Ce n'est rien Noah, j'ai déjà oublié.

Mon regard se pose sur Flamme, qui vient de sauter sur mes genoux. Rien ne lui a échappé, comme d'habitude. Elle a pensé comme moi suite à cet éclat, cela lui a rappelé les mêmes souvenirs, & une légère inquiétude, très vite remplacée par une certaine fierté, brille dans ses yeux sombres suite à ma réaction. Je passe une main dans son plumage de feu. Oui mon amie, j'ai réalisé ce qu'il s'est passé, & étrangement il est le second que je n'ai point envie de remettre vertement à sa place, comme je le fais avec les autres qui aient pu tenter tel affront. J'ai juste d'autant plus envie de l'aider. Parce que.. Je ne sais pas en fait.

- C'est fou.. C'est fou, tu réagis comme lui.. Quand tu ne peux plus te contenir, & que tu exploses.. Jusqu'à réaliser ce que tu fais, ce que tu me dis.. & là, tu sembles refroidi, d'un coup, & tu te répands en excuses.. Pourtant je vois les différences entre vous, mais.. Je ne sais pas, je suis incapable de te remettre à ta place comme je l'aurai fait avec n'importe qui d'autre.

Voilà que c'est mon tour d'être troublée. Je réalise à peine que je viens de parler de mon frère, chose que je n'avais jamais faite depuis sa disparition. Mais.. Pourquoi aurai-je fait cela, alors que son simple souvenir fait si mal? Je n'y comprends rien, je ne m'explique pas cette étrange impulsion. Serait-ce.. La confiance que j'ai en mon ami qui permet cela?. Une lueur de surprise pure apparait progressivement dans mon regard, à mesure que je m'aperçois de ce que je viens de faire, des raisons, des conséquences. J'ai donc.. Confiance en un autre être humain? Je crois, que je n'en reviens pas moi-même. J'avais presque oublié que cela était possible, j'en avais presque oublié la saveur. Mais comment, quand est-ce arrivé? Perdue, je baisse les yeux. & rencontre ceux de Flamme.
Voilà pourquoi elle semble si fière. Elle a compris.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

J'ignore pourquoi, je pense à ma soeur. À ma vraie soeur. L'être le plus détestable que je connaisse, mais un membre de famille tout de même. Elle qui partage le même sang a déjà vu toute la force de ma colère. Elle aime ça, me voir perdre les pédalles. Elle s'en amuse, puisqu'elle a toujours un parfait contrôle sur ses émotions. Moi, son joujou préféré. Je n'ai aucune honte de lui crier dessus. Mais Camille, ma soeur cosmique ou appelez-le comme vous le souhaitez, c'est tout autre chose. Je suis ravi de voir que la surprise, plutôt que la tristesse ou la colère, se peint sur son visage. Je n'aurais mérité qu'une bonne crise de ma digne amie. J'avoue que je m'étais plus attendu à ce qu'elle me remette à sa place. J'aurais accepté sans me plaindre tous ses reproches. Elle a déjà oublié dit-elle. J'hoche la tête, soulagé, mais mécontent de moi. Jamais plus je n'hausserai le ton sur elle, je me promets. Je ne pourrais supporter d'emplir ces grands yeux émeraude de tristesse. Je décidai d'ignorer le commentaire de mon amie sur mes dires. Je savais bien qu'elle ne comprendrait pas vraiment. Mais pour moi, cette façon de me sentir était trop difficile à supporter. Je décidai de laisser passer afin de me laisser le temps de penser librement lorsque je me trouverais seul de nouveau. Ah oui. À ce moment-là, j'aurai fort à faire. J'aurai à me remémorer de tout ce que nous venons de discuter. De fil en aiguille, nous avons parlé près d'une heure tandis que nos Pokémon s'amusaient tous ensemble. Je n'ai jamais entendu Camille prononcer autant de paroles. Cela lui demande certainement un effort alors je me sens privilégié encore une fois qu'elle le fasse pour me rendre service.

Je saisis Nuki qui m'observe toujours et le pose sur mes genoux. Le petit dragon se laisse faire. Il m'enlace la poitrine du mieux qu'il le peut. Le pauvre n'a pas aimé ma petit crise de tout à l'heure. Je lui murmure une excuse à l'oreille. Il hoche la tête doucement. Mon Coupenotte est particulièrement sensible à mes humeurs. Je dois faire attention à ce que je dis devant lui. La voix de Camille me tire de nouveau de mes pensées. Elle évoque une autre personne, à qui je lui fais penser. Un autre qu'elle ne peut remettre à sa place... C'est bien moi alors. J'ai réellement stoppé sa colère... parce que c'est moi? Qui est donc cette mystérieuse personne dont elle parle? Serait-elle en train de s'ouvrir à des confidences? Suis-je vraiment prêt à les recevoir. Je reste silencieux un moment, totalement incrédule. J'entrevois une porte qui donne sur le passé trouble de mon amie. Aurai-je le courage de tourner la poignée?

«Si ce n'est pas indiscret... De qui parles-tu?»

J'ajoute rapidement:

«Tu n'es pas obligé de répondre si tu n'en as pas envie, hein.»

Comme par réflexe, je passe alors mes bras autour d'elle & la serre contre moi, comme le soir dans notre lit lorsque nous allons dormir, ou comme nous le faisions plus souvent avant que je ne me renferme sur moi. Je crois que depuis deux ans, c'est la première fois qu'un tel élan me prend en public, mais j'en ai besoin. Perdue, je ne comprends pas cette fichue impulsion, je ne comprends pas comment une telle confiance en un autre être humain a pu s'instaurer à ce point sans que je ne m'en aperçoive, & surtout je ne comprends pas pourquoi la vague de souffrance à chaque fois que j'évoque Lazare ne m'a pas encore saisie. Les questionnements intérieurs m'assaillent de tous côtés, je ne parviens plus à suivre mon propre esprit. & s'il y a une chose que je hais, c'est bien de n'avoir plus de contrôle sur moi-même.
La voix de mon ami me tire brutalement de ce tourbillon infernal, manquant de peu de me faire sursauter. Il m'interroge sur ce que je viens de dire.. Évidemment, c'était inévitable.. Mais, que dire? Je reste figée quelques instants. Je ne fais pas réellement attention à ce qu'il ajoute aussitôt, car je le sais déjà ; il ne me forcera à rien. Mais.. Je ne sais pas. Je.. Dois essayer, non? Peut-être cela m'aidera-t-il à comprendre? Je n'y crois pas moi-même, pourtant.. Je ne sais pas, je dois comprendre ma propre réaction ; & puis je ne peux pas m'arrêter là.. J'en ai déjà dit trop, ou plutôt pas assez.. Maudite indécision.

- De.. De Lazare. C'est mon frère.. Mon jumeau..

La voilà. La douleur est là, & je déglutis, plongeant mon regard dans celui de mon poussin rouge pour y trouver de l'apaisement. Je ne sais pourquoi j'ai parlé tout de même, j'ignore ce qui m'a décidée sans réellement m'en apercevoir. Mais.. Au moins c'est clair, j'ai pu le dire. C'est donc réellement de la confiance qui se serait instaurée sans que je ne m'en rende compte. Mais.. N'avais-je pas dit, il y a quelques temps, que je lui dirai un jour? J'ai essayé.. Mais je ne me sens pas réellement prête.

- Il a disparu.

& sur ces derniers mots, douloureux, je resserre mon étreinte sur ma chère amie. La tristesse emplit mon regard, je refoule les tremblements qui me viennent & rejette aussitôt ces sentiments au fond de moi, avec la révolte & la colère dues à mon impuissance face à cette situation Je ne me pense pas capable d'en dire plus. Non.. Pas aujourd'hui.
Un soupir m'échappe, tandis que j'arrive peu à peu à refluer tout cela. Plus tard les questions, une fois seule. Plus tard les réflexions sur mes impulsions étranges & mes réactions inexpliquées, plus tard tout cela. Pour l'instant oublions.. Oublions tout cela. Quelques longues secondes plus tard, je parviens enfin à relever le regard pour lui adresser un très léger sourire d'excuse. J'en ai trop dit, ou plutôt pas assez. Mais je ne me sens pas capable d'essayer d'aller plus loin.. C'est déjà beaucoup, je crois..

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Elle réfléchit, profondément. Elle ne me porte plus attention. Elle emprunte le chemin tortueux de son passé. Seule. Encore une fois. Même si Flamme, serrée contre sa poitrine, la supporte. Camille effectue ce voyage intérieur en solitaire. J'aimerais me trouver là, dans son esprit, un sourire en coin, prêt à l'aider alors que les images défilent et cherchent à la couper. Je lui tiendrais les épaules, je lui infuserais un peu de ma force. Mais non. La jeune fille a besoin d'affronter ses démons seule. Elle ne souhaite pas de mon aide. Alors je fais comme la petite Poussifeu posée sur ses genoux. Je la supporte du mieux que je le peux. Flamme. Un drôle de Pokémon. Tellement intelligente. Vive d'esprit. Mature. Comme si sa vision du monde s'était étendue suite aux traumatismes qu'elle et sa dresseuse ont dû vivre. Je n'ai jamais vu un Pokémon aussi dévoué qu'elle. Les deux s'aiment comme deux soeurs. Elles se comprennent comme si elles appartenaient à la même espèce. Je les observe en silence. Le visage de mon amie a pâli. Elle réfléchit à cet être mystérieux. Qui peut-il bien être? J'espère vivement qu'elle ne m'associe pas à un des responsables de son malheur, parce que dans ce cas, je la perdrai assurément. Comme pourrait-elle entretenir une relation avec quelqu'un qui lui rappelle sans cesse un bourreau? J'attends avec angoisse sa réponse. Je ne suis pas convaincu de pouvoir encaisser un refus maintenant qu'elle s'est jeté à l'eau ainsi.

Elle ne me fait pas beaucoup attendre. Elle me révèle alors plusieurs éléments. D'abord, elle compte parmi sa famille un frère. Encore, celui est en fait son jumeau. Un jumeau alors? Comment mon amie a-t-elle fait pour préserver cette information aussi longtemps? Je connaissais le lien qui unissait les jumeaux. Soit solide, intime, intouchable ou fondu dans l'adversité et le mépris, la recherche de l'individualité. Je pouvais voir à la tristesse infinie de son regard émeraude qu'elle entrait d'avantage dans cette première catégorie. Son âme soeur alors. Où était-il donc? Pourquoi son souvenir ressortait en elle autant de douleur? Et puis, tout s'éclaircit. Elle me confesse qu'il a disparu. Les morceaux du puzzle s'assemblent. La détermination farouche de Camille lors de ces entraînement Pokémon ou à l'épée, sa solitude extrême et sa méfiance maladive, et surtout, ce mal-être qui m'effraie autant, cette condition terrible qui la pousse dans des abysses d'obscurité, de violence et de peine trop, trop pour prendre. Son frère jumeau a disparu. Dans quelles circonstances, je n'ose demander. Elle en a bien assez dit. Le poids de son aveu affaisse ses épaules. Je sens que sa gorge ne pourra pas supporter une autre décharge d'information. Je me cale au fond de mon dossier, essayant de prendre cette information du mieux que je le peux. J'ignore quoi lui dire. J'ai vécu avec la petite cuiller en argent dans la gueule. Qu'est-ce que je connais à sa situation. Je murmure d'une voix rauque:

«Je suis désolé Camille...»

À ce moment précis, la cloche indiquant treize heures moins cinq minutes retentit. Je vais devoir me grouiller les fesses si je veux arriver à temps à mon cours. Je reste cependant figé sur ma chaise. Je ne veux pas laisser Camille porter seule cette immense douleur.

«Si tu souhaites en parler une autre fois, Camille, je suis toujours là, tu le sais.»

Je n'ajoute rien sur notre supposée ressemblance. Je me contente de lui sourire doucement.

La voix de Noah, léger murmure rauque, retentit au même instant que la sonnerie annonçant la prochaine reprise des cours. Je relève alors légèrement le visage vers lui, resté immobile sur sa chaise malgré l'horaire. Il ajoute quelques mots qui vont droit à mon cœur gelé, sans que je ne le montre grandement. Oui, je le sais, il me l'a déjà prouvé quelques fois. Une lueur touchée apparait, l'espace d'un très léger instant, dans mon regard d'émeraude. C'est étrange, je deviens légèrement plus expressive en sa présence. Serait-ce un autre effet de cette confiance que je lui ai vouée sans m'en apercevoir? Non.. Plus tard les questions, j'ai dit, une fois seule. Plus tard les interrogations sur la confiance, sur les impulsions ou l'expressivité. Pas maintenant.

- Je le sais, merci Noah..

Mes mots aussi, ne furent que murmure. Ma voix s'étrangle, mais quoi de surprenant? Une fois encore, je n'avais plus tant parlé depuis au moins deux ans, & après ce qu'il venait de se passer, toutes ces émotions plus ou moins contradictoires, ma gorge semble s'être quelques peu étranglée, ne me facilitant pas la parole.
Mon regard se porte alors de lui-même sur le petit Poussifeu du garçon, qui s'est retrouvé comme légèrement esseulé, & sans doute légèrement perdu aussi, depuis que Flamme a rejoint mes genoux & que Nuki s'est retrouvé dans les bras de son dresseur (quand est-ce arrivé? Je ne l'avais pas même remarqué..). Je pose alors ma chère amie sur le sol, & aussitôt elle se dirige vers son congénère pour le saluer joyeusement, comme si de rien n'était.
Une fois encore, elle a parfaitement compris mes intentions sans même que je n'ai à les lui expliquer. Concernant le jeune homme déjà, lui rappeler l'heure qui vient de sonner, afin qu'il ne se pénalise pas pour moi, pas pour un simple retard. & quant à moi.. Sortir de ce lieu qui m'étouffe, reprendre de l'air. Partir au fin fond de la forêt, retrouver Martial avec un peu de chance, aller me vider l'esprit de la première façon qui s'offrira à moi, & puis peut-être m'accorder ce temps de réflexion que je repousse. Peut-être. De toute manière que m'importent les cours, surtout que je ne suis sans doute pas vraiment en état de suivre..
Mais lui.. Pour lui c'est important je crois, il a sa voie à trouver après tout.

- Tu devrais y aller maintenant, tu risques d'être en retard. Noah.. Moi aussi je suis là, si tu as besoin de parler n'hésite surtout pas, pour aucune raison que ce soit.

-A FRIEND FOR RAINY DAYS-
No one else than Miss Camille Oscar Jaegan and her Torchic

Je commence à avoir envie de partir, moi aussi. De fuir tout ce que je viens de lui dire. Tous mes doutes. Mes plans. Mes peurs. Ma crise... J'ai envie de tout oublier. En cours, je peux mettre mon cerveau en arrêt. Me concentrer sur ce que le professeur peut raconter. Comme William Prescott. Justement, j'ai cours avec lui. Il saura me faire oublier tout ce que je viens de vivre. Je pourrai me concentrer sur mes combats et sur ma vie au présent. La vie au présent. Si facile. Seul le regard empli de douleur de Camille me cloue sur ma chaise. Je tends la main vers elle sur la table, comme une tentative de la rejoindre. Je peux presque voir à vu d'oeil ce mur de glace se refermer autour d'elle. Elle fuit, elle se protège. Je perçois un regard de reconnaissance au-delà de la muraille. Je ne pourrai plus l'atteindre aujourd'hui. Même si mon coeur se serre à la pensée que mes questions ont pu provoquer plus de douleur chez elle, je me dois d'abandonner. Il ne servira à rien. Si je continuais à m'obstiner d'avantage, je ne ferais que la blesser encore plus. Ou perdre sa confiance. Je me désiste. Ma main s'arrête à mi-chemin sur la table de la cafétéria. Comment une discussion entamée sur le résultat de ma première capture a-t-il pu aboutir aussi loin? Comment avons-nous fait pour nous rendre aussi loin. En secouant la tête pour moi-même, je me lève, la tête lourde. Une migraine se pointera sous peu, je le sens. Je devrai jongler avec ces pensées plus tard, je le sais bien. Mais que fera Camille? À la voir ainsi, stationnée sur sa chaise, je sais bien qu'elle ne se rendra pas en cours cet après-midi. Je sais bien qu'elle réussira aisément à rattraper son retard, mais je ne peux m'empêcher de me sentir coupable.

«D'accord... j'y vais. Merci Camille. Je te retrouve demain. On ira s'entraîner ensemble, histoire de tester la force d'Elias.»

Je jette un coup d'oeil à mon Pokémon, que Flamme occupe à présent. Je regrette un peu l'avoir mis de côté sans le vouloir. Je me reprendrai ce soir en l'emmenant faire une promenade, juste nous deux. Je demande à mes deux Pokémon de faire leurs au revoir à leur amie Flamme avant de les ramener tous deux à leurs Poké Balls. Je lance un dernier regard vers mon ami avant de lui faire un léger salut de la tête. Je me retourne vivement, pour ne pas revenir sur ma décision et me dirige d'un pas pressé vers les couloirs. Il va s'en dire que, malgré mon envie de m'abandonner totalement au cours, je ne réussis pas à me concentrer sur les dires de mon professeur cette journée-là.

FIN