« -Allez Topaz, tu sors ! Rassemble le peu d’affaires que tu as et viens, on va t’amener à ta nouvelle maison ! »

Une cellule… J’étais dans une cellule depuis combien de temps… ? Deux mois là-bas, quatre mois ici… Une demi-année de ma vie foutue en l’air. Là-bas on m’a battu pour me soutirer des informations que je n’avais pas alors que je m’écrasais, ici on ne m’a pas touché malgré mes bravades… C’est amusant de voir à quel point les valeurs humaines peuvent s’inverser d’un pays à l’autre. Mais pourquoi voulais-t-il me faire sortir… ? J’étais un terroriste. Un dangereux membre de la Team Rocket. Je m’étonnais d’être encore en vie, et là, on me libère.

« - Le directeur Charles te convoque dans son bureau au fait. On y va ? »

Une question rhétorique, bien entendu. Je n’avais à peine eu le temps de m’habiller qu’il me saisit par le bras pour me traîner jusqu’au sacro-saint directeur. Les matons étaient plus brutaux avec moi qu’avec les autres… Normal. Ils ne pouvaient pas me frapper comme là-bas, mais ils n’étaient pas tendres pour autant envers les fortes têtes… Pourquoi faisais-je la forte tête… ? Je ne pense pas le savoir moi-même. Bientôt, nous arrivâmes en face du directeur. Un grand homme tirant fort sa quarantaine, les tempes blanchies par le stress… Il me plaisait d’imaginer que je pouvais lui avoir blanchi quelques poils…

« - Topaz Kôneki, ta libération a été décidée hier après-midi. Mais nous n’avons pas jugé bon de te laisser en totale liberté. Aussi vas-tu suivre la scolarité à Alcea Rosea, une école pour dresseurs, afin que tu apprennes enfin le respect de l’autorité.
- Serait-ce un aveu de faiblesse de la part de votre personnel, directeur… ? Vous n’avez pas réussi à me faire baisser la tête, alors vous passez le paquet explosif à votre voisin… ? »

J’aimais braver ainsi… M’opposer me faisait battre le cœur presque autant que les combats Pokémon. Le vieil soupira et demanda au maton de me reconduire à l’entrée. Là-bas, je récupérai mes vêtements, lavés et repassés, ma montre, ma ceinture…

« - Et mes Pokémons ? »

Je supposais qu’ils avaient été libérés… C’était mieux comme ça, après tout… Mais cela me faisait un petit pincement au cœur de penser que je ne reverrai jamais aucun d’entre eux… Yanmega, Brouhabam, Mygavolt, Sharpedo, Mangriff, Nidorino, Akwakwak, Ferrosinge, Crustabri, Kraboss, Musteflott, Luxray et les autres… J’avais passé en moyenne 3 ans avec eux. Je les aimais, comme des amis… J’utilisais leurs capacités dans mes forfaits, mais je les aimais… Pas comme ces autres sbires abrutis qui se croyaient fort en leur tapant dessus…

Cela dit, je n’eu pas de réponse. A peine avais-je attrapé mes affaires que je fus poussé dehors, directement dans une voiture. Disons plutôt un fourgon. Alcea Rosea… Scolarité… Pourquoi m’amenait-on dans une école en fourgon blindé ? La Team Rocket ne prendra jamais le risque de tenter de me libérer, c’était évident… J’étais le seul à être transporté dans le fourgon… Mais il y avait du personnel. Trois policiers en uniforme et deux mecs en costard. Des agents gouvernementaux ?

Curieusement, on ne me mit pas de menottes… Et puis le fourgon se mit en branle. Au bout d’un quart d’heure de trajet exécuté dans un silence de plomb, je ne pu m’empêcher de reposer la question qui me brûlait les lèvres. Pourquoi ne m’avait-on pas répondu… ? C’était absurde…

« -Et mes Pokémons ? Où sont-ils ? »

Un des agents supposés gouvernementaux se leva et vint s’asseoir à côté de moi, l’air grave. Il était jeune. 27 ans ? Un peu plus. Il avait l’air gêné… Il ne parla pas tout de suite. Il se triturait les mains, qui par ailleurs n’étaient pas vides… Une pokéball… ? Pourquoi tenait-il une pokéball ?

« - Tu sais… A Balmamusa… La juridiction est différente de celle d’ici, et…
- Crachez le morceau. S’il vous plaît.
- Tes pokémons… Ont été exécutés. Tous. Les 43… »

Comment… ? C’était comme si le ciel me tombait sur la tête. J’avais l’impression… Que toute ma famille venait de décéder dans un incendie, et que c’était moi qui avais tenu l’allumette. C’était ma faute s’ils étaient tous… SI je n’avais pas été un sbire Rocket… Devant mes yeux passèrent les 6 années de ma vie durant lesquelles je n’avais eu que les Pokémons comme compagnie… Une famille… Tant de souvenirs… Tous avaient leur petit quelque chose qui les différenciait des autres Pokémons de leur espèce… Exceptionnels, tous, jusqu’au dernier. J’avais envie de pleurer… Je sentais les larmes monter, mais je ne voulais pas, je ne voulais pas pleurer en face de tous ces gens… Mais c’était plus fort que moi… Je sentais les commissures de mes lèvres se tordre, je n’arrivait plus à respirer… Je voulais parler, mais ma voix était brisée, je ne pouvait rien dire… Et les larmes arrivèrent, et avec elles les cris… Détresse, tristesse, malheur… Je ne sais comment de temps j’ai pleuré en face de ces hommes qui me regardaient d’un air piteux… Comme s’ils venaient de se rappeler que j’étais un adolescent avant d’être un dangereux terroriste…

On fit une pause… Et je fu autorisé à me dégourdir les jambes. J’avais besoin d’air, j’avais l’impression d’étouffer… 43 décès d’un coup, c’était trop, beaucoup trop. Trop pour moi, en tout cas… Mais je n’étais pas autorisé à respirer tout seul. Un policier du venir me coller aux basques et me voler mon air… Déjà que je n’en avais pas assez… En allant dans la forêt, le garde accroché aux poignets par une solide paire de menottes, j’entendis un bruit… Un petit cri qui me donna une bouffée de souvenir, comme une montée de nausée. J’avais envie de vomir, de pleurer, mais je ne pouvais pas. Je me mis à courir en direction de bruit, l’autre aux basques qui me retardait. Pas loin de là était un marécage. Sans hésiter, j’allai patauger dedans, guidé par un espoir fou et irréaliste.

J’avais raison ! Ce petit cri, faiblement porté par le vent, c’était celui d’un Yanma… Il était seul. Il était faible. Un nouveau-né, très certainement… Comme mon Yanmega… Mon tout premier Pokémon, mon redoutable Yanmega, Yanmega l’invincible… Il était le seul de sa couvée à être encore là… Les autres avaient déjà du partir. Souvent, un yanma éclot plus tard que ses frères et sœurs, et e retrouve abandonné… Je le pris dans mes mains… Du mètre 20 qu’il allait faire dans quelques jours, il n’avait que les centimètres… Ses ailes ne marchaient pas encore, et il piaillait… Je n’avais pas de pokéball sur moi, mais je voulais le garder. C’était un signe, un signe du destin… Le garde ne sembla pas s’en formaliser, et nous revînmes au fourgon, crottés par l’eau stagnante et la boue du marais jusqu’à l’aine.

Séance nettoyage, puis nous repartîmes. Une partie de ma tristesse était partie, mais je ne pouvais m’empêcher de pleurer en câlinant cette petite chose… Tant de souvenirs, putain… Je crois encore aujourd’hui que ce Yanma était la réincarnation de celui que j’avais eu jadis. Le reste du chemin se fit sans autre incident. Lorsque nous passâmes par Céladopole, je demandai à ce que nous passions devant le poké-shop, et j’allai saluer mes parents. Ils pleuraient, eux aussi… Avaient-ils eu vent de la nouvelle… Nous discutâmes quelques temps, ils ne m’en voulaient pas, malgré ce que je leur avait fait… la plupart des parents de sbire Rocket reniaient leur enfant, les miens, non… Je me sentais mal, en un sens…

Et puis le voyage reprit. Yanma junior était tombé de sommeil, en boule dans ma poche. Je l’aimais déjà… Lorsque nous fûmes, d’après le chauffeur, à peu près une demi-heure de notre destination, l’agent gouvernemental me donna quatre pokéballs et trois potions. Je ne compris pas et leva la tête vers lui. Dans le reflet de ses lunettes, je me vis piteux, les yeux et le nez rouge.

« - Pourquoi ? Demandais-je simplement.
- Cadeau de l’académie, répondit-il simplement. »

Je jetai un coup d’œil aux pokéballs, par acquis de conscience. Trois d’entre elles étaient vide, mais l’une d’elle contenait déjà un Pokémon. Un Medhyena, semblait-il. Medhyena… Quelle sale blague. S’il y avait bien un Pokémon que j’avais évité, c’était bien Medhyena. C’était ce genre de Pokémon qui étiquetait directement son dresseur comme un criminel, à l’image de Smogo, Nosferapti, etc… Et je tenais à rester un minimum discret.

Enfin, nous arrivâmes. Malgré les pauses, j’avais mal aux jambes et le dos cassé par les banquettes de fer du fourgon. Je m’étirai à peine sorti et Yanma Junior utilisa ses petites pattes adhésives pour grimper le long de mon haut et se poser sur mon épaule pour se frotter contre ma joue… Bientôt, ce ne sera plus possible, car il aura atteint sa taille adulte. D’ici quelques jours, grand maximum. On me donna mes affaires, dont un sac à dos gratuit. J’y rangeai soigneusement mes potions et accrocha mes pokéballs à ma ceinture, libérant Medhyena du même coup. Je n’aimais pas savoir mes amis enfermés dans des petites balles. Il devait admettre que c’était un beau Medhyena. Le pelage soigné, des dents blanches et aiguisées… Une valise dans chaque main, j’entrais par le grand portail estampillé « ALCEA ROSEA » en grosses lettres, aussi voyeusement majestueux que le reste de l’immense bâtisse et arriva dans le hall, deux gardes sur les talons. On me fit signe d’attendre ici, sans doute le temps de régler des affaires, et me retrouva seul, attirant parfois les regards des élèves intrigués par cette arrivée si… Spéciale.

Le temps me semblait bien long… En attendant le retour du policier, je n’avais rien à faire, hormis regarder les bas-reliefs qui ornaient le haut des murs de l’entrée. L’endroit était majestueux, imposant, impressionnant… J’imaginais la fierté des parents sachant que leur rejeton est accepté dans ce lieu qui devait, en-dehors de ma prison, bénéficier d’un certain prestige… Et je repensais aux larmes des miens… Pourquoi avais-je rejoint la Team… ? Je ne sais même plus…

Je fus tiré de mes rêveries par des les jappements d’un goupix qui semblait décidé d’astiquoter Medhyena. Une très mauvaise habitude, la plupart des medhyenas étant connus pour faire montre d’une assez grande agressivité. Le mien semblait le prendre assez bien. Il avait l’air assez curieux et s’approchait pour flairer le goupix. Il ne devait sûrement jamais en avoir vu un. Je me demande s’il avait été capturé récemment ou s’il avait vécu en élevage… ?

Bref, un jeune homme, certainement un élève vint ramasser le goupix en s’excusant de son comportement. Quel âge devait-il avoir ? Un peu plus que moi, un ou deux ans de plus, sûrement. Je me levais de sur ma valise que j’avais prise en siège improvisé pendant que Medhyena revint près de moi pour grogner d’un air menaçant en direction du goupix. « Tchht. » lui fis-je en tapant du pied, ce qui le fit taire d’office, sans pour autant lui enlever cet air agressif que la plupart des pokémons canins avaient en permanence, sans parler de la manie générale qu’avaient les medhyenas de donner des coups de dents dans le vide… Un bon « dressage » sera nécessaire, semblait-il.

« - Ne vous en faite pas, c’est normal qu’un goupix veuille faire connaissance avec un nouveau compagnon de jeu potentiel… Cela dit, vous devriez lui apprendre que certains pokémons sont de nature moins amène que d’autres… »

On me disait souvent que ma façon de parler était très emprunté, mais je tenais à garder ce trait… A l’époque, c’était mon moyen de mettre une différence entre les autres sbires, souvent orduriers, et moi. Puis cela avait été pour me différencier de mes codétenus… Mais maintenant… ? Je ne savais pas vraiment. L’autre reposa son Pokémon sur le sol pour lui demander s’il était nouveau ici.

« - Oui, je viens d’arriver. On m’a dit d’attendre ici, alors j’attends »

Une grande question se posait à moi, à présent. Devrais-je ou non lui dire mon nom… ? Quand j’étais arrivé en avion de Balmusa, il y avait bien quelques caméras, mais je ne savais jusqu’où ma notoriété allait. Il n’avait pas reconnu mon visage, mais si je disais mon nom… ? De toute façon, le policier pouvait revenir à n’importe quel moment, et ce secret de polichinelle serait alors bien vite éventé. Je décidai de la jouer décontracté, tendant la main vers le jeune homme couvert de piercing.

« - Je m’appelle Topaz. Topaz Kôkeni. Et toi ? »

Voilà, la bombe était lâchée… Restait à savoir s’il allait s’agir d’un pétard mouillé ou d’une vraie grenade…