Les lunettes de soleil étaient un accessoire plutôt pratique, à bien y réfléchir. S'il s'agissait de vouloir se garder une journée tranquille, au milieu de la foule de l'académie lors d'un week-end, elles tenaient là une fonction qui n'était surtout pas à négliger. Ce fut donc avec de grands verres noirs et ronds qu'Elisabeth sortit, ce jour-là, empruntant l'issue de secours du domaine des Narcissus. Coiffée à l'aide de deux nattes tombantes et vêtue d'une chemise mal fermée ainsi que d'un short en jean. Méconnaissable. Sauf si l'on prêtait une quelconque attention à sa taille. Chose qui ne se remarque pas vraiment, dans la foule. Non ?

Temps de faire un peu de shopping, malgré la maigre somme reçue ce mois-ci dans son compte en banque ; remarquez, ses parents s'amélioraient quelque peu. C'était alors la première fois depuis trois mois qu'elle recevait de l'argent de leur part. Elle put donc en déduire que les affaires devaient surement avoir repris, d'une quelconque façon ; inutile de vous cacher qu'elle ne s'est jamais attardée à prendre de leurs nouvelles, depuis le revers qu'elle aura essuyé, surtout face à son frère. Le préféré. Rien que d'y penser lui donnait des frissons de frustration le long de son échine. Elle passa rapidement ce détail fort désagréable, levant ses yeux verts d'eau en direction de la grande roue qui surplombait l'allée du centre commercial.

Assise sur un banc depuis une bonne quinzaine de minutes, soda à la main, observant les passants d'un oeil invisible et acéré, commentant leurs attitudes, leurs démarches, pour elle-même. Un défilé d'apparences. Mademoiselle Richards se plaisait donc à philosopher sur cette notion de première impression que tout le monde emploie, et qui régit chacun de nos actes sociaux. Cependant, ce ne sont que des masques. Elle était le meilleur exemple, d'ailleurs. Mais une personne particulière vint à son esprit. Quelqu'un chez qui elle aura découvert la chose qui l'aura surement le plus déconcertée, depuis qu'elle s'était retrouvée dans cette académie. Une Lychnis, de son âge, et sur laquelle elle aura jeté son dévolu - du moins, elle n'en était pas sure -, malgré le peu qu'elle en savait, à son sujet. Ce quelqu'un.. c'était Diane.

Ses yeux se perdaient sur une rousse au loin, embourbée dans ses réflexions existentielles. Les papiers de Mirage, voire d'Astria, si elle croyait en ses dires. Que faisaient-ils sur son bureau, ce soir-là. Des recherches, disait-elle ? Le trouble qu'elle avait pourtant réussi à percevoir chez elle la rendait sceptique. Soit, elle lui mentait. Soit, elle lui disait la vérité ; mais avait omis de ne pas tout lui dire. Position délicate, que d'être préfet des Narcissus ; sans doute Elisabeth Richards était-elle considérée comme une pro-Astria. Or, ce n'était vraiment pas le cas. Bien qu'elle le laissait croire.

Elle devait savoir.

Elle devait ... Maintenant qu'elle y pensait, la fille sur laquelle elle s'était laissée distraire ressemblait fortement à celle qui occupait ses pensées de l'instant. Oh, quel heureux hasard. Il fallait qu'elle en ait le coeur net.

La jeune femme se leva de son banc, traversant la foule, tant bien que mal, se dirigeant vers le magasin devant lequel était postée l'inconnue. Silencieuse, restant droite, elle parvint à arriver, à quelques mètres de la jeune fille. De dos, il lui sembla vraiment que c'était elle. Puis, les quelques mots qu'elle prononça ne lui laissèrent plus de doute possible.

« Je me demande ce que fait Elisabeth d’ailleurs … »

La bouche entrouverte, paupières mi-closes. Stupéfaction. Adoucissement. Un bond se fit sentir dans sa poitrine, tandis qu'elle restait muette, demeurant furtive. Ses lunettes de soleil, faisant office de masque. Sans quoi, elle se serait trahie. Et l'Elisabeth, loin de tout, loin des normes, aurait perdu toute crédibilité.

C'est ainsi que, l'air de rien, faisant mine de ne pas avoir été là depuis le début ; elle lâcha ces mots, ramenant son visage au-dessus de son épaule. Regardant la robe.

« Tu veux te l'acheter mon chaton ? »