Il était sept heure du matin. Martha, les yeux encore réfractaires au réveil récent vérifiait une nouvelle fois si tout était bien en ordre pour son départ au fameux lac des rochers pokémons. En effet, la semaine précédente, un reportage télévisé sur l'endroit en question attira son attention. Non pas qu'elle s'intéressa réellement à cette flaque d'eau au milieu des graviers, loin de là, mais une des légendes des présentateurs piqua sa curiosité au plus haut point. Il paraissait qu'il existait là bas un ermite dont les mystères seraient restés complets depuis son arrivée dans la région. Ni une ni deux, la demoiselle sauta sur l'occasion pour annoncer à ses parents qu'elle partait du domicile familiale pendant un moment. Elle avait minutieusement préparé tout ce dont elle aurait besoin : chaussures de marche, carte, boussole, signaux de détresse, provisions, tente, sac de couchage, moustiquaire, ainsi un bon nombre de maxrepousses pris à ses parents et une poignée d'argent qui montrerait bien son utilité à un moment ou un autre.

Le matin du départ, elle s'empara de son sac et de ses pokéballs avant de claquer la porte sans remercier sa mère pour le repas qu'elle lui avait préparé. Le chemin allait être long à pied mais elle n'avait pas peur. Elle avait minutieusement tracé son itinéraire, il lui suffirait de bien suivre les routes correspondantes et tout se passerait bien.

Quatre jours et une centaine de courbatures plus tard, Martha sembla apercevoir au creux d'un relief ce qui ressemblait à de l'eau. Soupirant d'aise, elle se dirigea d'un pas qui semblait un peu plus motivés que les précédents vers le lac. Qu'il était bon de sentir la fraîcheur de l'eau sur sa peau après une dure journée de marche ! Libérant ses pokémons, le chewing-gum entreprit de faire une toilette bien méritée. Un regard extérieur lui déclencha soudain une vague de frissons le long de l'échine. S'habillant à toute allure, Martha sortit de l'eau, bien décidée à mettre une bonne raclée à ce voyeur malpoli qui avait osé posé les yeux sur son corps divin sans en avoir eu l'autorisation.
Le manque d'indices pour suivre la piste du voyeur se faisait sentir et Martha avançait à l'aveuglette entre les cailloux. Soudain, un bruit détourna son attention et elle se déplaça aussi vite que possible vers la source du son. Devant-elle se trouvait un espèce d'ours plein de poils habillé comme un humain. Etait-ce un pokémon de la région ? Peu importait, elle n'avait tout de même pas donné son accord.
Les mains sur les hanches dans un air de défi, la jeune fille se posta face à la chose. Elle le pointa du doigt en lui parlant d'un ton accusateur.

"Hey ! C'est toi qui m'épiais un peu plus tôt ? Je t'ordonne de me répondre !"

Et oui, depuis qu'elle était dans la Team Astria, il était bien plus facile de faire valoir ses droits sur la nature. Elle pouvait enfin profiter des bénéfices qu'elle méritait amplement.

« Non ce n'est pas moi. J'espère cependant que vous avez conscience de la stupidité de votre question. Car si cela avait été moi, croyez-vous vraiment que j'irai vous dire « oui oui, c'est moi ! Je suis le petit voyeur ! C'est moi pour sûr » ? … Enfin bon, je suis Eric Leak, professeur à Alcea Rosea et accessoirement, je me suis perdu. Et vous, qui êtes vous et que faites vous ici ? »

Au final, la réponse de l'homme - car il s'agissait bien d'un homme - avait réussir à satisfaire les exigences de la Narcissus qui souriait de manière plutôt malsaine. En effet, sa question n'était pas des plus réfléchie et le côté direct de celui qui s'était présenté comme son professeur lui plaisait. Finalement, il était agréable de discuter avec quelqu'un qui ne mâchait pas ses mots, loin des hypocrisies de l'école.
Une interrogation traversa soudain l'esprit de Martha qui était sur le point d'agir "normalement" en présence de son aîné. Si les professeurs obéissaient aux règles de l'école et que la Team Astria définissait ces règles, est-ce que signifiait que les professeurs étaient les premiers sbires de la Team ? Elle se retint de lui poser la question en face mais se jura de poser la question en rentrant au bercail. En un sens, elle regrettait un peu de s'être aussi peu investie dans les affaires de la Team, ne profitant de son statut uniquement dans le but de voir ses propres rêves s'accomplir. Exécuter les ordres ne lui posait en soit pas trop de problème tant qu'elle avait par la suite les moyens de mettre son projet à exécution mais elle ne s'attendait pas à se trouvée bloquée dans sa façon d'agir à propos des tabous à ne pas dire.
Ce jeu était intéressant. Bien plus qu'elle ne l'avait imaginé au départ. Un jeu sans masque où il suffit juste de défendre sa boîte à trésor en découvrant le contenu de celui de l'adversaire. C'était palpitant !

Martha se mit à rire doucement face à la situation qui l'amusait. Elle aurait bien proposé une partie de carte mais l'environnement ne s'y prêtait pas. Non, il valait mieux rester un peu soft pour le moment et discuter. Ca faisait longtemps qu'elle n'avait pas discuté avec un adulte. De toute façon, elle n'avait rien à perdre, discuter avec un professeur ne pouvait que lui être bénéfique? Qui sait, il lui donnerait peut-être des idées pour la suite ! Ca pourrait être drôle que ça se retourne contre lui un jour ! Mais il ne fallait pas qu'elle commence la discussion en fantasmant sur ses projets malsains. Pour l'instant, il fallait discuter.
Le chewing-gum s'avança avec un air enjoué sur le visage avant de s'asseoir par terre à côté de l'homme-ours-professeur-rigolo. On eut presque pu déceler une once de respect dans le ton qu'elle employât pour lui répondre.

"Il est vrai que ma question n'était pas fine, mais elle va finalement très bien avec votre réponse. J'ai rarement l'habitude de me faire traiter d'idiote par un professeur qui oublie sa position hors de l'école, surtout quand je viens prendre quelques jours de repos loin de tout. Je suis Martha Ludwig, Master 4, enchantée de vous rencontrer professeur. Ne serait-il pas déplacé de me renseigner sur les raisons de votre présence en ces lieux reculés ? Si je ne puis poser la question directement, il me faut bien trouver des subterfuges pour essayer de prouver que vous n'êtes pas l'une des personnes que je recherche."

Presque. L'arrogance était à Martha ce que la barbe semblait être au professeur : un signe distinctif s’accommodant parfaitement au personnage. S'il était aussi réactif et joueur qu'elle, la journée risquait d'être la plus intéressante que Martha eut passé depuis un petit bout de temps !

« Ma foi, je pense que vous vous méprenez, très chère. Je ne vous traite en aucun cas d'idiote, jamais je ne me le permettrais. Cela dit, je me contente juste d'affirmer que votre question l'est. Qui plus est, c'est bien connu. Il est en ce bas monde des terres fertiles qui donnent parfois du mauvais blés. Si en revanche vous estimez que votre interrogation est le reflet de votre capacité intellectuelle et bien qu'à cela ne tienne. »

« La pêche. Voilà la raison de ma visite dans ces « lieux reculés » comme vous dites. Voyez-vous, cette activité permet beaucoup de chose. Ce n'est certes pas ma distraction favorite cependant au vue de tout ce qu'elle m'apporte, je ne peux qu'être satisfait. C'est pourquoi je viens ici assez fréquemment. Malheureusement aujourd'hui, par mégarde, j'ai oublié tout ce qui aurait pu me servir à retrouver mon chemin. Boussole, carte de la région et j'en passe. Ah et vous pouvez vérifier le sac par vous-même. Il s'agit bien d'un kit de pêche complet comprenant une canne, des appâts ainsi que des fils. Ce n'est en rien, contrairement à ce que vous pouvez penser, un sac contenant des jumelles ou je ne sais trop quel objet permettant de s'adonner au voyeurisme. »

« Sinon, vous n'auriez pas une carte en double, ou même une boussole ? »

Si Martha avait pu éclater de rire sur le champ et se tordre dans tous les sens à cause de crampes aux abdominaux, elle l'aurait très certainement fait sur le champ. Mais ce n'était pas son genre, ce n'était ni fin, ni raffiné, ni... parfait. Non, elle n'avait pas crié "merci monsieur" à celui qui lui avait donné toutes les cartes en main, elle s'était juste contentée de sourire discrètement et poliment en attente de son tour. Oui, tous les jeux comportent des phases d'attaque et de défense et un bon joueur se doit de toujours prévoir au moins les deux phases suivantes. Et pour le coup, l'élève aux cheveux roses avait même prévu au delà. Il y avait tellement d'informations à exploiter dans les paroles de son vis-à-vis qu'elle aurait pu le mener par le bout du nez pendant une semaine s'il n'en venait pas aux poings avant. Oui, c'était un des problèmes à prendre en compte. Vu sa corpulence, s'il se rendait compte qu'elle se foutait de lui, Martha ne donnait pas cher de sa propre peau.
Récapitulons donc : il fallait qu'elle le mène à la baguette suffisamment longtemps pour prendre son pied et s'assurer que sa vengeance soit prise vis à vis du voyeur dont elle ne pouvait encore affirmer l'identité, mais il fallait également qu'elle soit suffisamment discrète et sincère pour réussir à maintenir l'illusion de confiance avec le professeur sous quoi elle risquait de se prendre une rouste digne de ce nom à laquelle elle ne pourrait sûrement pas échapper.
Parfait ! Le jeu en valait vraiment la chandelle, ça, c'était un défi digne de Moon, chère protégée de Dame Chance.

Sa voix était toujours posée et elle suivait la discussion comme si la scène s'était déroulée dans sa propre demeure. Il était agréable de voir comment le comportement influençait l'opinion des autres au delà de tous les mots.

"En effet, le mauvais blé pousse partout, je m'étonnais juste de votre raisonnement. Il m'avait toujours semblé que les professeurs étaient là pour encourager les élèves à poser toutes leurs questions car, comme me l'avait dit un de mes enseignants : il n'y a pas de question idiote, seules les réponses peuvent l'être. Pardonnez ma maladresse cependant pour le dérangement occasionné."

Globalement, cette discussion était à son avantage. Elle pouvait encore utiliser deux voire trois arguments pertinents afin de l'écraser s'il tenait tête, dans le cas où il ne ferait aucune erreur sur les termes qu'il employait. A moins qu'un génie se cache derrière lui - ce qu'elle ne pouvait envisager, bien évidemment - la discussion était scellée. Restait maintenant à en faire de même avec le reste.
Un pêcheur du dimanche, hein ? C'est vrai que ça lui allait bien. Martha aurait presque pu le voir avec un short, des tongs et une chemise à motifs grotesques, s'affalant au bord du lac en se grattant le ventre pendant que sa ligne mouillait un peu plus loin. Il avait donc oublié le nécessaire pour rentrer chez lui... Quel idiot. Martha avait rarement pardonné les professeurs qui oubliaient leurs cours, mais alors oublier comment rentrer, c'était presque comme oublier comment respirer ! Aaah, vraiment, qu'est-ce que le monde ferait sans elle ? Triste monde, pauvre monde...
Souriant malgré ses pensées mégalomanes, la dixième de la Team Astria répondit à l'homme-ours.

"Ne vous inquiétez pas, professeur, j'ai tout le nécessaire pour rentrer en ville avec moi, bien que ce ne soit qu'en un exemplaire. Si cela ne vous dérange pas, dès que j'aurai trouvé l'objet de ma venue, nous pourrons faire route ensemble. Enfin... Si ma présence ne vous insupporte pas trop..."

Elle aborderait le sujet du voyeurisme à ce moment là, elle était bien loin d'en avoir fini avec lui et ses alibis en papier-mâché. D'ailleurs, tant qu'à faire, s'il pouvait lui être utile, elle pouvait toujours lui poser une petite question qui ne manquerait pas de faire avancer les choses s'il avait déjà visité les lieux.

"D'ailleurs, excusez moi encore de vous importuner, je souhaiterais savoir si vous n'aviez pas vu une cabane ou un repère dans le coin... J'ai entendu qu'il y avait quelque chose de la sorte vers le lac et je souhaiterais parler avec son résident. Auriez vous la moindre piste ?"

Et s'il n'en avait pas, elle n'aurait plus qu'à le planter mentalement sur sa canne à pêche. Pour le moment, elle ne pouvait qu'espérer que ça ne tournerait pas de la sorte.

« Je ne sais pas qui a été votre professeur mais croyez-moi, ce qu'il raconte est totalement faux. Au contraire, je préfère penser qu'une question idiote trouve toujours une réponse du même type. De plus, un grand homme disait autrefois que le cerveaux ne se nourrit pas de réponses et de solutions mais bien de questions et de problèmes pertinents. M'enfin, si vous pensez tellement que toute interrogation est intelligente et mérite d'être posée, soit. Allons-y. Je me jette à l'eau : Quelles sont vos mensurations ? ...Bien entendu je blague hein. »

« Non, votre présence de me dérange en aucun cas. Cependant euh...Vous voulez parler avec son résident ? … Ma foi, vous avez de l'espoir, vous. Au cas où vous ne le saviez pas, le repère, aussi appelé repère de l'ermite, est un lieu inhabité. Les rares personnes qui y vont souhaitent juste voir le lieux où, semble-t-il, un dresseur légendaire ce serait entraîné jour et nuit il y a de cela des années. Néanmoins jamais personne n'a pu avoir une conversation avec lui ni même le voir. Qui sait, si ça se trouve, cet être n'existe que dans les fantasmes de la population. Toujours est-il que ce lieux est réputé pour porter bonheur. À défaut de ne pouvoir parler avec son résident, peut-être aimeriez-vous aller dans cette cabane afin de trouver une aide mystique à vos soucis ? »

« Enfin cela ne me regarde pas. Si vous voulez que je vous y amène, ce n'est pas un problème. Je viens assez souvent ici et je sais où elle se trouve. Donnez moi juste une carte, montrez-moi où nous sommes sur cette dernière afin que je puisse savoir dans quelle direction aller et nous y serons en un rien de temps. »

Okay, c'tait décidé, Martha exécrait cet incompétent professeur qui ne savait pas tenir sa langue. Certes elle aimait bien jouer avec lui, car loin d'aimer faire dans la dentelle, Martha vivait au travers des joutes verbales ; mais en un sens, cet homme horripilant lui rappelait son tant-aimé paternel. Elle n'aurait pas su dire pourquoi quelques minutes auparavant, mais cette fois, elle avait réussi à mettre des mots sur ses doutes. Il ne tolérait pas l'échec.

En un sens, Martha non plus, mais elle tolérait le chemin de la réussite à son propre rythme. Elle avait justement réussi à se défaire de l'emprise de la façon de penser de son père grâce à l'enseignement constructif d'un de ses professeurs qui l'avait mis en confiance, lui autorisant toutes les erreurs tant qu'elles permettrait de s'améliorer. Et voilà que ce crétin d'ours barbu se permettait de tenir les propos inverse avec une tête d'ahuri digne des pires jeux d'acteurs ! Elle le détestait, elle le haïssait, elle lui aurait bien déféqué dans la bouche si elle avait pu ! S'il pensait être le plus fort en lui demandant ses mensurations, il ne serait pas déçu ! Oui, en tant que Martha Ludwig, elle jouerai le jeu jusqu'au bout et l'écraserai en suivant les règles afin de montrer sa toute puissante domination !
Elle pourrait sans aucun doute jouer sur le fait qu'il semblait tout particulièrement pressé de rentrer en ville. Et finalement, le fait que la cabane soit abandonnée lui conférait un avantage pour le mener en bourrique. Une chance qu'il fut plus informée qu'elle sur ce sujet, elle pourrait ainsi en tirer profit pour ce qui allait suivre.

Elle entreprit donc de répondre au professeur avec un ton toujours posé, affichant un visage souriant et avenant. Cependant, sa rage n'était pas invisible. Dans l'insistance et la dureté de son regard, quelque chose de presque meurtrier pouvait être lu. En tout cas, c'était quelque chose qui ne mettait pas en confiance si on s'attardait dessus. Sa voix ne laissait pourtant rien retranscrire, comme si un filtre se chargeait de cacher les impuretés de ses pensées.

"Je vous remercie infiniment pour votre aide ! Sans vous, j'aurai sans aucun doute perdu un précieux temps dans un endroit totalement vide et dénué d'intérêt. On peut donc directement faire demi-tour pour rentrer si vous n'y voyez pas d’inconvénients. Après tout, je n'ai pas besoin d'un lieu porte bonheur, ça risquerait de changer la tendance dans le mauvais sens... Ah ! Et au fait, mes mensurations sont 88-65-86..."

Un grand sourire faux à souhait avait pimenté la fin de sa tirade. Elle avait préféré ne pas poursuivre sur le sujet stérile de l'enseignement car une fois les deux points de vue exposés, l'insistance serait plutôt une faiblesse enfantine d'une véritable argumentation. De toute façon, elle avait bien l'intention de lui faire la misère pendant la descente et les quatre jours de marche seront sans aucun doute les plus longs que le professeur eut à vivre dans sa vie...
Sur ce, Martha sortit sa carte et sa boussole. Une croix indiquait l'emplacement du lac mais Martha désigna un coin légèrement à l'ouest. D'une voix calme, elle présenta la situation.

"Voilà, nous sommes ici. D'après la carte, un sentier permettrait de contourner le gros des rochers pour redescendre, mais je ne vois rien de tel dans le coin..."

Trop fière, Martha ne put accepter l'idée de s'être trompée. il se pouvait cependant qu'ils soient définitivement perdus. Sauf si ce grand barbu savait lire correctement une carte... Une chose était sûre, maintenant le palier de la haine passée, Martha entamait la triste phase de l'indifférence. Vraiment, le professeur allait en baver.

« Ce n'est pas un soucis. Je pense avoir la solution à notre petit problème. Normalement, s'il se trouve à proximité, je te le trouverais en deux secondes ton sentier. »

« D'ici quelques minutes, il devrait revenir et nous donner l'emplacement du fameux sentier qui nous permettra de rentrer chez nous. Ce n'est qu'une question de temps en somme. »

« Bien, en attendant son retour, je propose que nous discutions un peu. Tu veux faire quoi dans la vie ? »

Faire de jolis discours moralisateurs sur l'inutilité des questions stupides partait sans aucun doute d'un bon sentiment, mais cela aurait certainement et plus de crédibilité s'il n'avait pas posé la question stéréotype de base juste après.
Jubilant face à la scène, Martha en oublia presque la situation dans laquelle ils étaient, ainsi que la proposition forte intelligente du professeur d'envoyer un pokémon vol en repérage. Mais non, Martha, tout ça, elle s'en fiche. Il aurait pu lui raconter l'histoire de son arrière-grande-tante partie en voyage à Carmin-sur-Mer lors des noces de son neveu en oubliant de repasser la manche de son costume, ça lui aurait très probablement fait le même effet. Autant donc dire que Martha s'en brossait les dents avec un parasol.

Jouer la carte de la discussion avec Martha après lui avait presque dit "ne me pose plus de question" était une bourde monumentale qui risquait de coûter cher à l'ambiance. Mais Martha était bien trop fine joueuse pour lui dire cash. Non, elle ferait ça délicatement, répondant poliment à chacun des questions qu'il lui poserait avec un petit sourire amical. Et au bout de trois ou quatre questions, il commencerait sans aucun doute à trouver ce qui n'allait pas dans cette discussion qui était sans aucun doute un bashage à sens unique.
Martha fit donc comme prévu. Elle s'assit délicatement sur un rocher à côté du professeur avant d'arborer un magnifique sourire enclin à toute discussion. Vraiment, pour une fois, elle aurait presque pu avoir l'air adorable. Du moins, c'était si le professeur avait oublié le regard qu'elle lui avait fait quelques minutes auparavant.

"Hum... Plus tard, j'aimerais bien être entrepreneuse dans un commerce en relation avec les pokémons, au même titre qu'une SARL. ou qu'un pokéshop. Je vise donc un domaine bien loin de votre discipline, ce qui expliquerait pourquoi je n'ai jamais eu à suivre votre cours lors de mon cursus. Je suis tout de même intéressée par les combats, ne vous méprenez pas, même si j'aimerais m'orienter vers une filière plutôt paisible. J'aimerais que mes pokémons m'assistent dans mon travail afin de prouver ce que peut-être une équipe soudée."

Ou l'art de dire "j'ai l'intention de monter un casino mais j’entraîne mes pokémons pour leur faire prendre de la valeur et les marchander dans un commerce illégal". Il fallait vraiment s'appeler Martha pour pouvoir faire ça. Au passage, la jeune femme se demanda combien de temps il faudrait au professeur pour comprendre une supercherie d'un bien autre genre...

« Dis, j'ai jamais compris pourquoi toute les gamines, ou même les garçons, de ce bahut se teigne les cheveux. Jusqu'à preuve du contraire, les cheveux roses ça n'existent pas dans la nature. Je suppose donc que c'est une teinture. C'est juste pour le style ou bien … ? Non parce que personnellement, cette mode me passe carrément au dessus de la tête. Enfin bon...Je suppose que c'est ça les jeunes de nos jours. Ah et accessoirement, tu peux me tutoyer ou m'appeler Eric. Le vouvoiement, c'est bien au début mais après, je préfère m'en passer. »

« Sinon, tu es plutôt thé ou café ? Chaussette ou collant ? Blanc ou noir ? Ah, tient d'ailleurs, quelle est ta couleur préférée ? Chien ou chat ? Film ou série télévisée ? Téléphone ou Vokit ? Quel type de Pokémon préfères-tu ? Quelle est ta chanson préférée ? Pourquoi es-tu venue à l'académie ? Plutôt sucré ou salé ? Douche ou bain ? Hétéro, Lesbienne ou bi ? Plutôt viande ou poisson ? Légume, fruit ou les deux ? »

« Allez, à toi de me poser des questions. Ah et ta pas le droit de reprendre les miennes, sinon c'est pas drôle. »

Il était vraiment digne de jouer avec elle, il avait sans aucun soucis remarqué le manque d'entrain de Martha à continuer la conversation et avait l'air de se complaire dans l'idée de poursuivre le jeu encore un moment. Tant mieux, il était appréciable de voir que l'ours - appelons le Eric - était aussi gamin malgré son apparent âge avancé. Le bâillement qu'il avait eu n'avait pas tardé à montrer son manque de motivation à faire autre chose que se prendre le chou avec le chewing-gum. Mais là était bien l'intérêt du bonbon : coller, embêter mais être si appréciable...
Martha se laissa emporter par le vague de paroles de son aîné. Elle semblait être très attentive à chacun de ses propos, comme une élève un peu trop studieuse qui faisait semblant de rire pour masquer sa passion. Il fallait qu'elle garde la tête bien froide afin d'enregistrer le maximum de questions dans le but de restituer toutes les informations d'un coup et noyer le professeur dans le flot de réponses inutiles dont il devait se moquer complètement. Cependant, comme dans tout bon jeu, Martha devrait être honnête. A ça oui, pas question de mentir, cela risquerait au final de l'embrouiller et donc de lui faire oublier des questions.

Après qu'"Eric" énonça les règles de ce qu'il pensait être son jeu, ce fut à Martha de prendre la paroles. Sur le ton de celle qui aurait pu lire trop vite un passage inintéressant d'un ouvrage trop long, elle prononça ses paroles avec un débit bien supérieur à celui d'une simple conversation. C'était le rythme fixé par la mémoire courte pour restituer toutes les connaissances le plus vite possible en espérant ne perdre aucune donnée. Elle fixait un point invisible au sol pour ne pas troubler sa concentration, apparemment loin de ce qui était le présent.

"Je pense que les étudiants se teignent les cheveux pour les mêmes raisons que les professeurs se laissent pousser la barbe : pour avoir l'air classe et avoir un style unique. Dans mon cas, c'est parce que le blond ne me va pas. A part ça je suis plutôt thé - chaussettes - blanc - ma couleur préférée est le rouge, comme mes rubans - chat - film - Vokit - je préfère les pokémons de type roche - je suis venue à l'académie pour avoir le meilleur diplôme possible - sucré - douche... Et je dois reconnaître que j'ai perdu le fil sur la fin."

Un sourire joyeux éclaira son visage jusqu'à présent sombre. Vint alors son moment préféré. Le moment où elle pouvait limite jouir à l'idée de prononcer ces quelques mots à cet arrogant personnage qui osait se prendre pour un bon professeur. Gloussant légèrement, elle prononça les paroles fatidiques.

"Voyons, Eric, jamais je ne pourrai te poser de questions... J'aurai trop peur d'en poser une idiote..."

Un sourire en coin tira sur sa lèvre, démontrant une satisfaction certaine. Il avait perdu la manche. La provocation était la plus belle des robes que Martha pouvait porter, et de loin.

« Avoir la classe ? Un style unique ? Tu te fais de fausses idées. Ce n'est pas pour avoir « la classe », comme tu dis que je me laisse pousser la barbe mais simplement parce que j'ai la flemme de me raser. Et puis, j'ai d'autres raisons mais plus personnelles. »

« Oh mon dieu. Je pensais être le plus gros des gamins d'Alcea Rosea mais visiblement, il y a pire que dans cette académie censée regrouper les meilleurs dresseurs de ce monde. Ah ah. Rancunière hein ? Ah ah...Excuse-moi mais là, c'est trop drôle. Rassures-moi c'est une blague ? Parce que si ce n'en est pas une, je t'offre la palme de la réaction la plus gamine qui soit. Ah ah. Master quatre en plus. Bwahaha. Énorme. Même un gosse de sept ans me l'aurait pas faites aussi bien que toi, je crois. Et la tronche que tu paies Ah ah ah. T'as gagné, t'es troooooooooooop forte. Ah ah. Vraiment É-NO-RME. »

Voilà qui était bon : non seulement le professeur était joueur, mais en plus, il était bon joueur ! Cette qualité avait tendance à se perdre et Martha sut profiter de cette petite joute à l'issue fort sympathique. Bien qu'elle se moqua pas mal des véritables raisons pour lesquelles il se laissait pousser la barbe, ses éclats de rire ne laissèrent pas l'étudiante indifférente. Emportée par l'euphorie du moment, Martha se surprit à rire également, mais sincèrement. Un rire fin, cristallin et pur, un rire qu'elle n'avait pas eu depuis un petit bout de temps. Finalement, il avait beau être un mauvais professeur, il était un très bon compagnon de jeu. Il avait beau dire que Martha était puérile, cette dernière ne le prenait pas mal, loin de là... Le principe d'un jeu n'était-il pas de s'amuser ? Elle avait eu le dernier mot en profitant des erreurs de son adversaire et avait su retourner la situation au bon moment. Oui, quoi qu'il en dise, elle avait bel et bien gagné cette manche. L'éclat de rire d'Eric lui indiqua même qu'elle jouait très bien. Un bon jeu, amusant, drôle, dont aucune rancune ne ressortait vraiment et où chacun avait pu apprécier l'autre pour sa simple capacité à utiliser les mots.
Certes elle n'aimait pas le personnage du professeur, elle le haïssait même. Mais Martha souriait et rigolait avec lui comme elle rigolait quand elle était petite. Elle essuya une larme au coin de son oeil, tentant de calmer le fou-rire avant qu'il ne soit trop tard. Lorsqu'elle prit la parole, sa voix était secouée de spasmes.

"Bien sûr que c'est une blague, n'est-ce pas là l'intérêt d'un jeu ? Je te rassure, j'ai un peu plus de peps' quand il s'agit de dire à quelqu'un que je le déteste sans jouer ! En tout cas, on se refait ça quand tu veux, c'était vraiment génial ! Aaaaaah... J'ai mal aux abdos..."

Un soupir avait essayé de calmer ses muscles douloureux qui n'avaient pas l'air de vouloir lâcher l'affaire. Elle aimait jouer, ça oui, et vraiment, elle avait passé un bon moment.

« Bon, sympathique jeu, on refera une partie un de ces jours, sois en certaine. En tout cas là, je crois qu'il a trouvé le chemin dont tu parlais. Ne le perdons pas de vue. Allons-y, let's go ! »

« C'est gagné, yeah ! Yes we did it ! C'est gagné ! »

« Ça te dirait de jouer Babouche, le Paracool, de Dora histoire qu'on soit un peu plus dans l'ambiance ? Si oui, on la refait. »

La nouvelle que l'étourvol ait trouvé le chemin indiqué par le plan la réjouissait presqu'autant que l'approbation du professeur pour rejouer avec elle. Ca faisait réellement plaisir d'avoir trouvé quelqu'un pour partager son temps libre une fois arrivé à l'académie et elle avait également un motif pour aller squatter la salle des profs de temps en temps. Rien était dit qu'elle y resterait longtemps, mais elle avait trouvé une occasion d'étendre son territoire et de tisser éventuellement des liens avec un représentant du corps enseignant. La journée avait encore tourné en sa faveur et Martha apprécia la chance qui l'accompagnait depuis déjà quelques années. Du moins c'est ce qu'elle eut cru jusqu'à ce que le-dit Eric se laisse emporter dans un délire qui lui échappait. Cependant, sans qu'elle ne sache pourquoi, les dires du professeur ne lui étaient pas étrangers. Elle avait déjà entendu ça il y avait quelques années, mais où ? Une image se dessina dans son esprit, annonceur du chaos et de nouvelles plus terribles encore. Un personnage démoniaque issu des pires complots diaboliques de l'humanité était devant elle, la fixant avec insistance d'un regard plus malsain que celui d'un démon ! A côté d'elle, un parecool drogué bougeait dans tous les sens, lui mangeant le cerveau à chaque seconde qui passait. C'était horrible, c'était terrifiant, c'était un défi pour Martha.

Les sourcils froncés malgré le sourire joueur qui était toujours logé sur ses traits, Martha répondit à l'arrogante, voire humiliante demande du professeur.

"Je vous accompagnerais volontiers, mais il me faudrait les délimitations des textes. Je n'ai jamais été particulièrement fane de cette série et la répartition des rôles m'échappe un peu. L'air horripilant de cette chansonnette est cependant bien gravée dans ma tête, prête à me hanter."

Son sourire s'était élargit sur sa dernière phrase, comme si cette malédiction n'était qu'une banalité formelle qui ne la dérangeait pas. Mais après tout, qu'était la torture de Dora face à l'image de son père s'approchant vers elle lentement pour la frapper ? Seule cette image avait le pouvoir de faire trembler la dixième représentante de la Team Astria comme une enfant sans défense. Et il n'y avait pas moyen de le faire savoir. Elle jouerait le jeu, aussi mauvais soit-il.

« Et bien, ce n'est pas très compliqué. Commençons par la chanson, tu veux bien. Tout d'abord, à trois, on va tout les deux s'écrier « c'est gagné », puis je reprends avec un « yeah » que tu t'empresseras de répéter dans le rythme. Ensuite je vais dire « Yes we did it » À partir de là, celui qui nous à guidé, c'est à dire l'Etourvol, doit s'écrier « c'est gagné » ce qu'il aura du mal à faire vu qu'un piaf, jusqu'à preuve du contraire, ça ne parle pas notre langage. On va donc enlever ce passage là, d'accord ? Après, il y'a tout un tas de paroles qui changent en fonction de l'épisode et des épreuves traversées ce que nous n'allons pas faire car cela serait beaucoup trop long à mettre en place. De plus, vu que nous n'avons pas vécu mille et une aventures, nous allons éviter cette partie. »

« Comme tu l'as toi même constaté, c'est très technique comme danse. Sachant que tu joues le Paracool, il faudra que tu sautes très haut, les bras écartés, comme le fait si bien Babouche dans le dessin animé. Sinon c'est pas drôle. Bon, tu tentes un coup là pour qu'on puisse voir ? À moins que tu veuilles qu'on échange les rôles ? Faut dire que j'ai un peu plus le physique de Babouche que de Dora... »

« Bref. De toute façon, c'est trop tard pour changer les rôles. En plus si je saute trop haut je risque de me briser quelque chose au vu de mon âge. Allez. On y va. Trois, deux, un et...C'est parti. »

Martha dut reconnaître que le professeur avait bonne mémoire. Certes peut être pas sur des éléments très valorisants mais il parvenait sans soucis apparent à se souvenir des paroles ainsi que de la danse complète d'un générique de dessin animé pour enfants attardés. En soit, ce n'était pas bien compliqué, juste tellement stupide que le cerveau de Martha se sentait comme aspiré dans un trou noir, oubliant dans la foulée ce qu'elle venait de voir. Cependant, elle fit un effort surhumain pour tenter de jouer le jeu jusqu'au bout sans faillir. Ce n'allait pas être une enfant droguée à la baie Ceriz accompagnée d'un parecool gonflé au super bonbon qui allaient venir à bout de la grande et divine joueuse Martha Ludwig. Ca, il n'en était pas question !
Sur le coup, la dixième championne d'Astria n'était pas gênée de jouer le pokémon. Après tout, il ne s'agissait que de faire des acrobaties en chantant, ce qu'elle pouvait très bien faire. Elle se rendit soudain compte de sa chance lorsqu'elle se remémora qu'elle était en tenue de randonnée. Jamais elle n'aurait pu faire de genre de pirouettes devant un hommes en étant en jupes ! Quoi que... A vrai dire, elle n'était pas à une culotte près. D'ailleurs, laquelle avait-elle mise ? Ce n'était pas celle avec le petit pikachu, vu qu'elle l'avait mis la veille ni celle avec le teddiursa vu qu'elle l'avait vue en train de sécher le matin même.

La chorégraphie commença sur les ordres du professeur et Martha s'activa comme un robot, sans vraiment penser à ses faits et gestes. Dans son esprit, la question de l'apparence de sa culotte du jour la taraudait, monopolisant son attention. Sans la partie des épreuves parcourues, la séquence de voltiges était plutôt courte et c'est au bout de quelques dizaines de secondes que le massacre visuel et auditif s'interrompit, laissant place à une Martha en pleine réflexion. Quand soudain...

"BRANETTE !"

En effet, c'était un branette. Elle se tourna vers le professeur avec un air déterminé, comme si la petite chorégraphie s'était déroulée dans une autre dimension, loin des soucis de la petite princesse bubble-gum. D'une voix décidée et fière, Martha annonça la suite des évènements, tel un colon en pleine conquête !

"Allons-y, Eric, l'académie nous attend !"

Une seconde après, elle était en route, prête à rentrer au campus. Décidément, cette jeune fille échappait à toute logique. C'est d'ailleurs en chantant sur tout le reste du trajet qu'ils firent cap vers Alcea Rosea, au plus grand malheur du professeur. Ou pas. Qui pouvait savoir ce qu'il pensait ? Martha savait qu'elle avait une culotte branette aujourd'hui, et ça, c'était bon à savoir !

Quatre jours plus tard, ils arrivèrent. Saluant son aîné une fois arrivée, Martha reparti dans son patelin pour grogner sur ses infâmes parents une fois de plus. Elle réfléchissait déjà au prochain jeu auquel elle joeurait avec le professeur combattant. Demain, elle porterait une culotte miaouss.