Il y avait quelque chose d'impérial dans la démarche de Mary. Peut-être était-ce dû à sa tête fièrement relevée qui semblait défier le monde entier, son pas assuré qui fouettait le sol carrelé comme un éclair furieux, ses yeux bleus cernés d'un noir intense qui vous fixaient froidement et ne cillaient pas, ou encore à son dos tenu droit, libéré de tout fardeau. Sa bouche rouge sang élargie par un minuscule sourire de convenance semblait vous assommer, victorieuse, d'un « poussez-vous de mon chemin, misérable larve, j'ai de grandes choses à faire moi ». Mademoiselle Cohen puait la classe, peut-être, du haut de ses escarpins Louboutin noirs douze centimètres, enveloppée dans son tailleur Chanel chiné dans une friperie de luxe sur la côte méditerranéenne lors d'un été brûlant, mais elle transpirait surtout l'orgueil, ce maudit artifice, cette parure des riches bienheureux qu'elle revêtait tous les matins et qu'elle s'évertuait à étaler sous tous les yeux des malheureux. En même temps qu'elle fendait la masse épaisse d'élèves bourdonnante et puante, Mary aimait se rappeler que c'étaient bien de véritables perles qui ornaient son cou, qu'elle hériterait un jour du manoir russe de son enfance et qu'elle avait encore de belles choses devant elle. Elle bouscula volontairement Lukas Bedenek et renversa son café au lait sur lui avant de pénétrer dans l'aile des Narcissus : « vous me gêniez, Miranda ! » ponctua-t-elle sèchement ses vagues excuses.
Mary, vous étiez rarement aimable.

Il y avait quelque chose d'amer et de dur dans les volutes de fumée bleue qui s'échappaient de sa cigarette, des caprices de diva ravalés, des silhouettes de Mary et autres torturées, découpées, brûlées à l'acide. Elle avait cette habitude de fumer une cigarette appuyée contre l'une des grandes fenêtres, bercée par les rires cristallins des enfants s'élevant dans les airs, tapie comme la maladie insidieuse dans l'ombre sibylline des rideaux en velours rouge. Sa longue cigarette blanche tordue entre ses longs doigts bagués d'argent et vernies glissait entre ses lèvres rouges comme le venin qu'elle crachait face aux outrages, aux élèves encore en chaussettes, aux jeunes qui ne savaient plus vivre, aux photographies jaunies qui suintaient l'oubli, aux cheveux trop blonds, à sa jeunesse avortée. Ses gestes nerveux trahissaient l'impassibilité marmoréenne de son expression, ses yeux agités traduisaient les torrents de fureur et de frustration qui se déversaient dans le creux de ses reins, toujours. Mary était nervosité, Mary était hystérie, Mary était enfant. Un paquet de nerfs à vif dont chaque incision dans la chair sanglante était fatale, irréversible. Elle était femme du froid au sang bouillant, une Mary forgée dans l'acier brûlant et sa voix à l'accent fort avait des affreux airs de Goulag.

▬ Excusez-moi, mademoiselle ?

Alors que ses yeux s’agrippaient à la silhouette de nymphette et d'adonis aux bonheurs simples, Mary rêvait à une mer de saphirs à l'écume de diamants, au luxe qu'elle se promettait et qu'elle se contenterait à jamais d'effleurer du bout des cils, aux grands incendies qui brûleraient tous ces cafards rampants dont faisait parti les élèves qui pullulaient comme de la mauvaise herbe sur Terre, aux sourires des gens trop heureux qu'elle se ferait un plaisir de faner, à la jeunesse éternelle qui n'existait pas, à ses enfants qui un jour auront les yeux amers pareils aux siens. Mary ou le petit sourire au coin des lèvres, lorsqu'elle présenta une cigarette à la petite. Des cheveux roses. Quelle brillante idée.

▬ Oui ? Serais-tu perdue, mon chaton ? Tu n'es visiblement pas de la maison, susurra-t-elle.

Il était évident qu'elle ne faisait pas parti des Narcissus, elle avait encore le teint frais, la joie de vivre retranscrite à travers ses cheveux et son pokemon - que Mary toisa un instant -, elle avait ce petit truc que n'avait pas les narcissus. Elle n'avait pas de manche à balai dans l'fion.