C'était à se demander.
C'était à se demander si c'étaient les amantes qui s'endormaient dans les bras de l'amant où bien l'amant qui nichait sa tête contre la rondeur d'une poitrine pour se laisser quérir par les rêves. C'était la la question posée au cœur de la nuit dans le silence le plus absolu car il ne fallait pas réveiller les deux amants entrelacées et leurs torses respectifs qui se soulevaient au rythme de leur respiration endormies. Il faut donc chuchoter, oser le murmure pour poser cette question dans le creux de la nuit et de ses ténèbres opacifiées. Il y a une lueur qui glisse par les vitres de la fenêtres, sournoise, insidieuse, et elle commence à saupoudrer une peau de cuivre pour la faire luire, métallique. Dans les draps blancs qui habillent tous les dieux tombés dans les bras de Morphée c'est un mollet qui se détache d'abord, ferme, accompagné de la cuisse qui rebondit tout en haut sur sa fesse. Tout ceci, impudique, mais la déesse n'est jamais pudique, s'est écartée de l'étreinte du draps blanc afin de recevoir, c'est ainsi l'espoir, le baiser de la nuit sur la chaire nue. Alors, la question se secoue encore dans son souffle, est-ce l'amante qui est venue s'appuyer sur le torse de l'amant où l'amant se laisserait-il aller à la tendresse d'un sein découvert ?
Ce n'est ni l'un, ni l'autre ; pour ce matin.

Ce matin, l'amante des dames, l'amante des hommes, du monde et du plaisir, l'amante est seule – c'est rare, silencieux, quand on écarte la tenture de son lit démesuré, l'amante dort seule. Sa seule compagnie était cette nuit muette qu'elle affectionnait à demi-mesure, sensuelle, mais cruelle, rassurante, mais tremblante. Elle bougea un peu, elle bougea quelques parcelles de ce corps si délicieux pour le sentir. Pour le remettre en route. Qu’elle était belle, même au réveil. Elle se leva alors. Elle découvrit ses seins nus, ses attributs féminins les plus divins. Les plus hypnotiques.
Elle était assise.

Et elle sortie.
La préparation pour être parfaite ne prenait pas longtemps pour Mary, elle était déjà parfaite. Seul le rouge à lèvre rouge carmin était sa marque de fabrique. By Mary Jane Cohen. Il est évident de dire que Mary ratait constamment les premières heures de cours, elle faisait sa petite vie. Une vie de princesse, ou personne, jamais, n'osait l'arrêter. Elle sautait les entrainements, elle sautait les classes. Elle sautait les gens, aussi. Mais ça n'avait aucune importance. Elle le cherchait. Ou du moins, pour elle, il la cherchait. Elle le sentait, elle le savait. Elle en est sûre. Mais pour Mary, il n'est pas difficile de retrouver une personne dans cet endroit, surtout cet endroit. Elle admira son corps à l'action, dans la pénombre qui environnait la suite. Elle plongea ses yeux doucereux dans les siens. Oh, Kean, qu’il était beau. Elle se nourrissait rien que de son nom. Elle descendit un peu son regard sur son pectoral.

▬ Tu devrais t'entrainer plus, mon chéri.

La reine sur son trône se lamentait déjà qu'on puisse la faire languir, elle, la monarque, la déesse, la sorcière, le soleil, la vie. Dans sa poitrine tambourinait sa haine, son exaspération poussée au paroxysme contre ces êtres incapables, oniriques par accident, immortels malencontreusement, médisants, impuissants, jusqu'à la moelle, sans une lanière de peau à dévorer, de muscle à avaler, de chair à dépecer. De cet homme qui ne se laissait pas complètement aller, de cet homme qui ne crachait pas encore sur ses résolutions pour faire comme elle, Mary, le veut. Elle, Mary, le souhaite. Elle, Mary, gouverne sur les coeurs.

▬ Dis-moi, Kean chéri, je t'ai manqué n'est ce pas ? Tu crevais d'envie de me revoir. Elle eut un intérêt pour lui, un instant; Et apparemment, me revoir, t'as fait rater ton lancé.

Il est fou d'elle.
Elle rit. Son hilarité résonne jusque dans la poitrine.
Elle ne le quitte pas du regard. Son front effleure le sien, ses mèches rousses se mêlent aux miennes ; et elle ne se détache pas de ses yeux, ses yeux trop incertains, incandescent. Elle le contemple, juste. Et laisse sa haine s'écouler dans ses veines. Tu as le souffle court ; lui aussi. Et ton pouls bat contre tes tempes, ricochet de ta démence. Il grimace un sourire. Ce même petit sourire en coin, sardonique qu'il lui avait offert le premier jour. Tu te rembrunis. Tu ne sais pas ce qui te retiens de lui en coller une. Pas grand chose sûrement, vu la marque écarlate qui réchauffe sa joue blafarde, la minute qui suivit. Ce n'est pas la première fois que tu gifles un homme, pas forcément par mécontentement, mais par plaisir. Plaisir. Enfin, tu n'as pas vraiment de scrupules.

▬ Ne me touches pas, tu pues la transpiration.

La vérité est que ceci a déclenché chez toi le paradoxe suprême. L'ironie la plus fourbe que l'on ne peut imaginer. La vérité est que tu as rejeté cela avec trop de force. La vérité est que tu n'as pas supporté que la seule chose solide et inébranlable de ta vie sans intérêt disparaisse soudainement. Tu détestais lorsqu'on tentait vainement de jouer sur ton terrain. Tu ricanes. Encore. Ça a l'air de bien t'amuser. Tu tends la main, frôle sa joue meurtrie du bout du doigt, l'oeil pétillant. Elle se rapproche, et... elle passe derrière lui, ne lui prêtant aucune attention, après t'être dégagée de son étreinte forcée et odorante. Un rictus en coin aux lèvres.

▬ D'ailleurs, ne crois-tu pas que tu en fais un peu trop ? 'Beau mâle' ?

Elle haussa les sourcils, l'air contrit, avec une petite moue ironique, juste ce qu'il fallait pour ne pas être vexante. On les connaissait, toutes ces petites mimiques, on les reconnaissait, ses airs affectés, ses moindres mensonges du quotidien. On en avait soupé, à la longue. Mary. Pli sensuel de la langue. À force, on la connaissait. On aurait pu dessiner les yeux fermés la forme de sa nuque, prévoir précisément ce qu'elle allait dire ou faire. Mary était une fille terriblement prévisible en théorie. Comme si l'allure folle de sa course, ses airs de sauvageonne ne l'avaient pas impressionné. Non, de tout les gens — et ils étaient nombreux — que Mary avait connus, aucun ne pouvait prétendre la connaître, à avoir percé le mystère qui n'en était pas un. En vérité, personne n'avait jamais essayé. Elle retourna là ou Kean avait laissé tomber son javelot, elle le prit. L'inspectant, un instant. Mary n'a jamais été sportive, du moins, elle n'aimait pas transpirer de sport. C'est pourquoi, la natation l'intéressait plus. Ou encore, être une simple pompom girl était toujours plus drôle. Mary, Mary, tu pris tout de même le temps de viser et de tenter un lancé.

Il était évident que tu étais très loin de la cible.
▬ Tu passes tes journées à balancer des bâtonnets géants ? Intéressant.

On pouvait décrire le mode de fonctionnement de Mary de manière précise.
La première, c'était l'indifférence. C'était quand elle avait repéré sa proie, choisie avec minutie ou bien complètement par hasard. Il s'agissait de l'ignorer de faire comme si elle n'avait jamais remarqué son existence. Mais c'était par ailleurs, et c'était surtout, se rendre inévitable. Être à côté de la personne, pour parler à une autre, passer là par hasard, le cou dénudé, prendre un air ingénu, essayer de l'intriguer. Peu à peu, par n'importe quel moyen, il fallait que la cible s'intéresse à elle, soit captivée, n'aie la tête remplie que de Mary. Ensuite, avec la méthode acérée du tueur en série, elle passait à l'étape suivante. L'intérêt. Cette étape où Mary te regarde avec de grands yeux énamourés, où elle te harcèle de questions sur toi et toi seul, comme si son monde avait cessé de tourner pour ne prendre que ta personne comme centre de gravité. Qu'est-ce que tu aimes, qu'est-ce que tu fais, qu'est-ce que tu penses ? Qu'est-ce qui agite tes paroles et tes actes ? Puis naturellement venait la phase physique, la collision des corps, l'attaque charnelle de plein fouet. Après, arrivait la quatrième phase, un mélange temporaire de la troisième et la deuxième. La dernière fermait la marche. C'était le départ, c'était la fuite, c'était Mary qui quittait la chambre en emportant ses vêtements, qui laissait le drap vide, qui se taillait et puis c'est tout. Fin. Point sur une histoire qui se répétait inlassablement.

Elle sourit, Mary. Elle se dit qu'elle a déjà gagné.
C’en était obscène, cette fascination malsaine qu’elle avait pour ses mains, ses lèvres ; ses fruits mûrs que le bon Dieu lui tendait comme une offrande aux miséricordieux. Kean, tu parles d’un poison ! Kean, mon cher Kean. Étouffe moi, mord moi, mange moi, serre moi fort dans tes bras, intoxique moi, dis moi des jolis mots, touche moi, laisse moi glisser ma main dans tes cheveux fous, regarde moi, brûle moi, s’il te plaît, regarde moi, encore une fois, je suis là, regarde. Regarde. Pute parmi les putes, chienne parmi les chattes, est-ce que je compte un peu, dis moi ? Encore ces pensées néfastes qui assaillaient son esprit. Encore cette gêne d’aimer ses mains qui lui bouffait les intestins. Elle détestait ne pas être regardée. Elle détestait lorsqu'on s'éloignait d'elle, parce qu'elle était trop dangereuse.

▬ Darling, tu m'évites ?

Ainsi tu es vouée à aimer les amants des autres, l'ombre fugace des alliances, ou les hommes bien trop âgés pour toi. Ce que tu préfères cependant, c'est cette malhonnête véhémente que tu retrouves dans les autres. Tu voues un culte aux despotes, aux oppresseurs, dictateurs, tyrans. Ton idolatrie, sans pareille mesure, te conduit à ta perte. Alors ton coeur masochiste saigne. Ces ordures que tu vénères, ils te poignardent, et tu panses tes plaies dans les reins amicaux, comme si ta vie ne pouvait être que jouissance et assouvissement de tes pulsions. Tu aimes l'acte physique, la bestialité du rapport et la brutalité des manières. Le coït animale. Les hommes, les femmes, ils caressent de façon différente mais l'aboutissement est le même, tu jouis. Tu es viciée, si tu étais un animal tu serais une chienne. Viciée, pourtant tu commettrais le parricide, s'ils te vomissaient ces quatre lettres répugnantes. Le premier qui t'appellera pute, tu le tues.

▬ Hm... Ca vient peut être du fait que tu vois à moitié. Puisque tu ne vois pas que si je suis ... passable au javelot, je te briserai dans n'importe quelle matière. Aw, l'égo des hommes...

Elle sourit devant l'innocent de Kean.
Les yeux bleus pour naître à Barcelone, les cheveux blonds pour mourir à Paris. Mary n'avait pas en horreur le sport. Elle aimait l'eau, par exemple. Mary te provoque, Mary c’est aussi mademoiselle Jane et Mary qui tuera ton cœur mon petit menteur. Mary sera ton spleen, Mary elle t’enrage, Mary c’est ton idéal. C’est juste une gamine hypocrite et souriante, dis moi pervers pourquoi tu veux la toucher ? Elle t’excite quand elle te regarde, quand elle aime, quand elle récite sa poésie à l’infinie. Tu le sais pourtant qu’elle à le cœur volage, tu le sais pourtant qu’en amour elle nage. Tu le sais le pourtant que ta petite Mary à toujours raison au fond quand elle te dit qu’elle te veut, prends là quand, elle te dit je te hais, laisse la, abandonne la ta jolie Mary.

▬ Tu as progressé, entre temps ?
Il était si scolaire. Il devrait se décoincer, et la regarder. Et pourquoi pas, se faire une Mary.

▬ Oui, oui, j'ai été élue la fille la plus bonne d'Alcea. C'est génial, non ?
Ah ah, et le joli minois de Mary s'éclaircit dans un large sourire. Elle souriait tout le temps, toujours. Pour toujours. Et surtout, elle ne mentait pas - pour une fois.

Mary est l'adolescence calculée.
Et tu es telle une Sainte Vierge : tu possède la patience de l'écoute et même les païens peuvent tenir tes blanches mains. Celle à qui se confient les maux douloureux prêts à être lavés de tout péché, celle qui prononce la phrase qui bénie et libère les cœurs des fardeaux sans t'occuper du tien. Tu es Gentillesse, tu es Raison et Justesse ; tu es Mary. Mary est le rire éclatant dans l'air, le soupir exaspéré vrillant les oreilles, les idéaux croisés sous les étoiles. Mary est ce curieux mélange d'envies ; celui d'être enveloppé d'un monde carré et celui de se rebeller contre la Terre entière. Mary veut tout, tout de suite, maintenant. Mary crie, Mary joue, Mary vous emmerde, Mary vous aime. Malheureusement, Mary déteste passer inaperçue et encore moins par la faute d'un Lychnis. Mais là encore, Mary ne faisait pas partie de ces élèves que l'on pouvait manipuler avec seulement quelques propos bien placés.

▬ Grand bien lui fasse.

Cela embêtait vaguement Mary.
Mary ne pouvait pas avancer dans ses propres affaires en aillant un lychnis entre les pattes. Ils ne devaient pas servir de sous-fifres ceux là ? Elle se demandait sérieusement pour l'autre rouquin ne les remettait pas lui même en place. Sourire sarcastique posé sur le roux, en une moue provocatrice où les mots, tant soupesés, dérobés, déformés, trompés, n’avaient plus d’importance. Elle avait construits trop d’amour et de morts du bout de la langue pour que lui importe vraiment ce qui lui traversait les lèvres. Alors du fond de son regard, ne reste que cette étincelle de provocation amusée, entre haine et désespoir, qui murmure le temps d’une seconde qui se fige.

▬ Si ca te dérange tant que ça, pourquoi tu ne le fais pas toi-même ?

Puisque demain, il n’y aura plus rien.
Elle n'était qu’une poupée volage, rendue tout petite fille capricieuse dans la cage de ses bras. Elle dit qu’il n’y aura plus rien, mais dans sa tête s‘élève mille et une prières pour que demain, elle s'en aille jouer la Marianne. L'honneur, l'ego, on se rattrapait à ce qu'on pouvait. Mais si elle pouvait se servir de son corps pour envoyer un parpaing à la gueule d'un des types qui lui piquait le travail sous le nez, elle ne pouvait se priver des petits plaisirs de la vie que lui permettait de s'amuser un peu.