Un baluchon balancé négligemment sur son dos, un bandeau bien serré sur son front afin de tirer ses cheveux en arrière et elle se prenait déjà pour Davy Crockett.
C’était l’heure de la « traque » disait-elle.

« Sablier ramène-toi ! »

Crissant lentement sur ses gonds, la porte se referma et claqua d’un bruit sourd à en réveiller les morts. Sabelette avait tôt fait de se faufiler par l’entrebâillement de la porte avant sa fermeture que les deux compères s’en allèrent aussitôt côte à côte : les yeux encore embrumés par le sommeil et la tête pleine de paillettes. Aujourd’hui c’était la fête, ou presque. C’était une petite excursion que Sarah et son compagnon avaient décidé de s’octroyer pour célébrer l’achèvement d’une semaine de cours peut-être bien ; ou alors tout simplement pour se donner les moyens d’atteindre un niveau qui semblait être à la hauteur du ciel qui s’étendait au-dessus de leurs consciences à eux. Là-haut, tout là-haut, il y avait le ciel bleu.

Un climat froid et sec pour cette saison d’hiver qui s’annonçait rude. Emmitouflée dans son écharpe et un léger blouson noir, la brune avançait d’un pas assuré, suivie de près par Sablier qui trottinait à sa droite, non loin d’elle, pour profiter de la chaleur corporelle de sa dresseuse. Mais n’y tenant plus, cette dernière attrapa le petit être qui marchait à ses côtés et le blottit contre elle tandis qu’elle poursuivait sa route.

« Tu auras plus chaud comme ça. Et moi aussi. »

Même si c’était plus pour lui que pour elle finalement. Une grande banane traversa le visage de l’ex-délinquante et Sablier, ravi, répondit par un petit couinement de satisfaction. Certes elle était venue pour s’entraîner mais il ne fallait pas perdre de vue l’essentiel, au pire elle rentrerait bredouille mais cette petite « promenade » n’aurait pas été vaine. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi sans que rien ne vienne perturber le silence qui régnait dans la montagne ce jour-là : à croire que tous les pokémons sauvages avaient taché de rester bien au chaud dans leurs tanières. C’est alors qu’elle le vit, cet espèce de roc qui se déplaçait en toute sérénité sur le sol graveleux : rien de bien palpitant mesdames et messieurs, ce n’était qu’un racaillou. Un habitant typique de ces montagnes qui visiblement ne présentaient pas grand intérêt à être visitées. Haussant les épaules, Sarah déposa Sablier à terre qui lança un regard dans la direction indiquée par sa dresseuse. D’un commun accord et comme s’ils s’étaient toujours compris sans même que la brune ne dise quoi que ce soit, ils s’avancèrent lentement d’abord puis accélérèrent le pas en silence. C’était une journée à être calme.
Et ils donnèrent l’assaut sans autre forme de procès.

Dans l’euphorie grisante que procurait cette première rencontre de la journée avec un pokémon sauvage, Sarah en oublia de regarder un peu aux alentours. Non, elle ne la vit même pas, cette fille qui s’apprêtait elle aussi à s’attaquer à la créature de pierre. Si bien qu’elle n’hésita pas à crier les ordres destinés à son complice de « fraude involontaire ».

« Sablier attaque griffe maintenant ! »

C’était une fille bien. Un peu comme une mafieuse trouvée avec 2 kilos de coke dans son sac à main et qui dirait n’y être pour rien. C’était une fille bien. Honnête tout du moins, car elle n’avait vraiment pas vu cette fille qui était restée interdite devant cette scène.

« Hey ! Ca ne te dérange pas de venir piquer les Pokémons sauvages des autres ? »

Plaît-il ? Hohoho, il me semble que mon ouïe me joue des tours. Aaaah l’âge que voulez-vous, vous disiez donc très chère ? Etait-ce l’un de ces nouveaux calembours que l’on entend de plus en plus ici et là ? Hmm ? ... Si ça me dérange de piquer votre pokémon sauvage ? Pas le moins du monde hohoho, ça ne me dérange aucunement hohoho. J’avais donc bien entend-PARDON ?

Etait-ce à elle que l’on s’adressait de la sorte ? Etait-ce à elle que cette paysanne -car oui elle ne pouvait qu’être cela au vu de ce qu’elle venait de dire- de bas étage qui sortait tout juste des taillis venait d’asséner une réplique cinglante qui n’avait de savant que le nom ? « Les Pokémons sauvages des autres » ? Depuis quand avait-on le droit de propriété sur ces bestioles qui, de toute évidence, n’appartenaient à personne ? Y aurait-il un économiste dans la salle s’il-vous-plaît ? Sarah resta interdite face à ces paroles irraisonnées, irrationnelles, tout juste dignes d’un enfant de primaire. Un ton trop irrespectueux, belliqueux même ; un ton qui inciterait à en venir aux poings.
Elle en avait frappé pour moins que ça.

« De tous les recoins de cette île, il a fallu que tu choisisses de venir t’entraîner dans mes pattes ? Non mais, pour qui tu te prends ? »

Et que pensait-elle la tendre enfant ? « NON MAIS TU TE CROIS OU SALE BRUNEEEEE ?! REPETE UN PEU CE QUE TU VIENS DE DIRE ET JE T’ECLATE AVEC DES BRIQUES ! », oui, des briques. Voilà sans doute ce qui lui aurait parfaitement convenu en l’état actuel des choses. Mais non. Elle avait mangé des carottes la veille. Et les carottes, comme tout le monde le sait, ça rend aimable. Oui, aima-

« AH CA SUFFIT HEIN. Dis donc espèce de greluche t’as pas fini un peu ? Arrête de piailler comme ces morveux de maternelle avant que je ne te fasse manger ton Remoraid…en sushis. »

Grossière, comme du temps où elle sillonnait les rues avec une barre en fer sur l’épaule. Les sourcils froncés, le regard noir, Sarah commençait à perdre patience. Non, sa patience, elle l’avait déjà perdue. Elle n’en avait jamais eu. De la patience. Campée sur ses positions, bien stable sur ses pieds et l’air excédé elle la contemplait cette nana qui venait de bousiller sa journée. Alors elle allait lui bousiller la sienne aussi, histoire que ça lui fasse les pieds. Avait-on idée d’agresser les gens de la sorte ! Surtout lorsque l’on était tout aussi fautif ! Oh, elle aurait pu en rire, tourner l’autre en dérision mais non. Elle avait une furieuse envie de cogner quelque chose, là, maintenant, tout de suite. Et la brune qui lui faisait face était toute désignée pour ça.

« Tu vas pas me dire que t’avais regardé s’il y avait quelqu’un dans les alentours avant de te lancer dans la capture de ce racaillou, hein, hein ? Ose seulement dire ça ! »

Et elle ne s’était pas plus emportée que ça. Elle était dans un bon jour, au moins au départ. Oh, elle ne se battrait peut-être pas finalement, sans doute ne toucherait-elle même pas au visage de la poupée brune face à elle. Oh non, tout ça c’était pour ceux de la basse et aujourd’hui, pour aujourd’hui seulement, elle serait de la haute.