Château archaïque, murs froids, couloirs inquiétants, architecture poussièreuse, misérable, délabrée, infâme ... C'est tout ce qu'elle voyait, dorénavant. Alors qu'elle s'affairait à traîner l'une de ses dernières valises derrière elle, contrainte de déménager en ces lieux abjects.

Auparavant, cette bâtisse ne la dégoûtait pas à ce point-là, pourtant. Seulement, le fait que l'administration de cette école l'oblige à changer de maison sans aucune raison valable la rendait de très mauvaise foi. Elle préférait largement son pavillon de paix, situé à côté des sources thermales de l'académie. Son futon deux places. Ses portes coulissantes. Et encore.

Ses nouveaux appartements n'étaient pourtant pas horribles. Plutôt spacieux, avec un balcon donnant sur une large vue de l'académie, elle n'avait pourtant pas à s'en plaindre - d'ailleurs, le château en lui-même ne fut pas aussi désuet qu'elle pouvait l'affirmer. Mais bon. Elisabeth était comme ça. Son esprit capricieux la rendait maintenant tout aussi exécrable. Pourquoi lui infligeait-on ça, à elle. Non pas que de devenir Narcissus fut une véritable corvée, mais voyez tous les désagréments que ce changement pouvait lui engendrer. Une vraie plaie.

Plaie lourde, écrasante, qui mérita d'ailleurs un petit temps de pause. Ce fut pourquoi elle s'arrêta au détour d'un couloir, s'asseyant sur un banc tout en laissant sa valise en plein milieu. Elle sortit sa boîte à tabac puis s'empressa de rouler une clope parfaite, faisant fi du règlement intérieur. La jeune femme en avait bien besoin. Et de toute manière, qui pourrait l'en empêcher. Hm ?

Elle fut alertée par un bruit de pas ayant résonné aux alentours. Alexei, peut-être ? Après tout, maintenant qu'elle y réfléchissait, elle n'était pas trop loin de ses appartements, à lui. D'ailleurs, comment ça se faisait ? Son logement à elle était à l'opposé !

Sûrement parce que mon trajet passe par ces quartiers-ci. * pensa-t-elle, faisant mine de s'en foutre.

Cependant, elle se doutait bien que ses pas avaient agi avec un certain automatisme. Elle s'était rendue en ces lieux tant de fois. Soyons honnêtes ; pourquoi s'ennuyait-elle à employer un parcours beaucoup plus long pour accéder à sa nouvelle chambre, plutôt que d'aller directement à l'essentiel ? Cette attitude était dénuée de toute logique. Remarquez, lorsque les sentiments s'en mêlent, la logique n'a plus de réelle valeur. Et se rendre compte de tout ça plomba littéralement l'humeur d'Elisabeth, qui n'était pas déjà des mieux loties.

La silhouette se fit plus précise, et lui ôta tous ses doutes ; c'était un jeune homme, un rouquin. Aux yeux de jade, tout comme elle. Et qui avait l'air guère plus grand qu'elle.

La Narcissus le toisait d'un regard peu commode, clope au bec, indiquant très nettement son mauvais esprit de l'instant.

« Tranquille la vie ? On s'en grille une dans les couloirs ? Propos qui firent monter une certaine tension chez la dresseuse de par le ton avec lequel ils avaient étaient employés. Mais elle redescendit aussitôt, suite à ces quelques mots : Nan mais j'déconne, j'vais pas te sanctionner... D'ailleurs, t'aurais pas du feu ? »

Elisabeth le fixait avec des yeux ronds, sans répondre. Stupéfaite, à vrai dire. Comment avait-elle risqué d'éclater son masque de quiétude habituelle face à un parfait inconnu ? Un inconnu qui aurait pu ... quoi ? La sanctionner ?

« Me sanctionner ? ... murmura-t-elle, le regardant attentivement de haut en bas, toujours assise sur son banc. »

Ses émeraudes tombèrent sur l'insigne du garçon ; une insigne qu'elle connaissait déjà, car son entiché la portait vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; l'insigne du préfet Narcissus. Oh. Intéressant. Elle sortit son briquet tranquillement, affichant dès lors un sourire en coin rempli d'attention, mais qui aurait pu passer pour quelque chose de plus narquois. Lui tendant le feu, fermant ses yeux.

« Le collègue d'Alexei ? Tiens donc. »

La jeune femme ne le quittait pas des yeux, l'observant allumer sa clope avant de soupirer un nuage de fumée grisâtre. Le jeune homme répondit à sa remarque d'une façon plutôt sarcastique, détail qui n'échappa pas à notre nouvelle Narcissus. Elle n'en dit rien, l'écoutant tout en tirant sur sa roulée.

« En effet, je suis son "collègue", mais je préfère dire que je suis préfet des Narcissus, ça fait moins "plombier" tu vois ? »

Elle se contenta de pouffer à ses propos, haussant les épaules. Décidément, leur titre de préfet leur empêchait-il d'aller aux chiottes, comme tout l'monde ? Pour Elisabeth, un préfet, c'était quoi. Simplement le représentant d'une maison, faisant le lien entre les hauts de l'administration et les élèves normaux. Oui, maintenant qu'elle y réfléchissait ... ces gars-là étaient bel et bien des Narcissus. Au final, la démarche sur laquelle ils glissaient afin de se faire reconnaître en tant que "préfet des Narcissus" était plutôt logique. Et pourtant si ridicule.

A quoi bon se vanter d'un simple titre, qui faisait d'eux les laquais d'Astria.

« D'ailleurs, qui es-tu ? Je sais que tu es nouvelle chez les Narcissus, mais je ne connais pas ton nom... Moi c'est Crow. »

La jeune femme s'adossa contre le mur, soufflant sa fumée en direction du plafond d'un air las.

« Elisabeth Richards. Enchantée. Fit-elle d'un ton fatigué, en opposition avec les propos qu'elle était en train de tenir. »

Elle se redressa alors, croisant ses jambes et s'accoudant à son genou, le regardant en coin. Souriant doucement.

« Tu sembles assez fier du titre que tu portes, dis-moi. En quoi te rend-il supérieur, face à un simple plombier ? Demanda-t-elle, avec un petit air de défi. »