Journée pesante, très remplie. La Chaotic Day de la semaine. La lanière de sa besace en cuir commençait tout juste à lui creuser une marque dans la peau de son épaule, soumise au poids qu'engendrait la totalité de ses affaires de cours.

Mademoiselle Richards était une élève assez studieuse. Pour elle, la pensée et la réflexion sont les choses essentielles au bon déroulement de la vie ; la culture, la stratégie, la manipulation, la psychologie ainsi que sa propre raison d'être sont quelques unes des nombreuses choses auxquelles elle s'intéresse, mais celles-ci en priorité. Et pour ça, quoi de mieux que de pouvoir s'entraîner l'esprit lors d'un bon cours de théorie.

Cependant, il y aura toujours des limites. Elle n'aime pas particulièrement devoir se pavaner telle un boeuf, accablée de la charge dont ses livres sont la cause.

C'est ainsi qu'elle se décida à aller faire un tour aux thermes mixtes, une fois son sac jeté sur son lit. Quoi de plus pratique que d'avoir été répartie dans cette maison ; les sources se trouvent dans son pavillon.

A cette heure-là, bon nombre d'élèves se consacraient à l'entrainement de leurs Pokémon ou à d'autres activités sportives. Ce fut certainement la raison pour laquelle elle se trouva seule, dans les vestiaires, ainsi que dans les sources, une fois dénudée. Remarquez, elle n'allait pas se plaindre ; bien qu'elle ne comprenait pas comment faisaient tous ces jeunes pour se rajouter encore une ou deux bonnes heures de boulot dans la poire. Elle pourrait alors profiter du bain toute seule, dans son coin. Ses Pokémon ? Et puis quoi encore, son Obalie dans de l'eau chaude, mais vous êtes fous. Germignon aurait pu en profiter lui, mais elle avait oublié sa Pokéball dans sa chambre. Ce sera certainement pour une autre fois.

La jeune femme se plaça dans un coin confortable, s'accoudant à la paroi tout en fermant ses yeux. Ces sources étaient aussi merveilleuses que celles de Vermilava, où elle s'était rendue étant plus jeune. Cela lui éveilla alors bon nombre de souvenirs ... plus ou moins bons.

Cependant, un bruit particulier vint la sortir de ses pensées. Ses paupières s'ouvrirent automatiquement, laissant place au ciel napé de nuages orangés pour seule image.

« ... »

Quelqu'un était-il entré dans les sources ? Elle qui pensait qu'elle pourrait se baigner tranquillement. Un homme ? Une fille ? Elle restait là, à contempler le firmament, tout en se posant ces questions futiles, mais qui tenaient tout de même un semblant d'importance, à cet instant-ci.

Il était temps pour elle de relever la tête.

... Oh. *

Qu'elle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle aperçut la silhouette de la jeune fille qui avait attiré son attention quelques semaines auparavant. Elle ne connaissait pas son nom, mais son visage ainsi que son attitude étaient clairement inscrits dans son esprit. Ne vous faites pas d'idées ; Elisabeth était simplement dotée d'une très bonne mémoire visuelle, voilà tout. Surtout lorsqu'il s'agissait des belles choses.

D'après les lieux où la jeune femme avait eu l'occasion de la croiser, elle avait pu en déduire que c'était une élève de la maison Lychnis. Maison qui, jusque là, n'avait pas encore eu l'occasion d'attirer clairement son attention. Que faisait-elle donc là, à squatter les très chères sources de nos fameux Spiraea ?

Demeurant discrète, la demoiselle contemplait l'étrangère d'un oeil intéressé, gardant néanmoins une expression dénuée de toute émotion. Cette jeune fille agissait d'une façon insouciante, presque enfantine ; n'était-elle pas en pleine intrusion ? Cela ne l'empêchait pas de pleinement profiter de la source, d'après le soupir qu'elle put percevoir depuis sa place. Ne se gênant pas pour épier, la jeune femme gardait un silence imperceptible, attendant patiemment d'être découverte.

Ce qui ne tarda pas.

« Si c’est une demoiselle je veux bien partager les lieux… entendit-elle. Propos qui éveillèrent alors chez elle un petit sourire amusé. »

Sa réponse ne se fit pas attendre.

« De quel partage parles-tu. Tu ne loges même pas dans le pavillon, insinua-t-elle alors sur un ton accusateur, gardant néanmoins un petit semblant de taquinerie. Il s'agit bel et bien d'une demoiselle. Tu n'as pas de soucis à te faire. »

S'ensuivit alors un gentil sourire de sa part, camouflant inconsciemment les propos faussés dont sa dernière phrase venait de faire l'objet. Elle ne pensait pas à mal, bien entendu. Seulement pour elle, fille ou garçon, c'était un peu du pareil au même.

Son interlocutrice s'était un peu rapprochée ; elle pouvait désormais l'observer de près, et ce avec beaucoup plus de détails. Ah ça, elle n'aurait jamais pensé pouvoir la rencontrer un jour dans ces sources. Elle se dit alors que la chance avait peut-être fini par tourner.

La Spiraea la suivait des yeux tandis que celle-ci était allée retirer ses ornements, laissant alors ses cheveux lui tomber le long du dos. Tiens, ils étaient beaucoup plus longs qu'ils n'en avaient l'air. Jusqu'ici, elle ne l'avait aperçue seulement coiffée de ses deux petits macarons. Agréable surprise, bien qu'elle trouvait aussi ces derniers plutôt mignons. La rouquine leva ses mains, comme pour se rendre.

« Prise sur le fait et coupable, prononça-t-elle, ce qui ne manqua de faire discrètement pouffer notre Algatienne. »

La Lychnis lui adressa un visage souriant, ce auquel Elisabeth répondit par un éclat plus léger. L'inconnue ne semblait pas s'inquiéter pour l'interdit qu'elle venait de commettre, au contraire ; cela semblait l'amuser particulièrement. Rien de vraiment étonnant ; ne dit-on pas que la maison Lychnis regroupe les élèves les plus espiègles de l'académie ?

Cependant le regard de la jeune fille la sortit de ses pensées. N'était-elle pas en train de la mater, là ? Qu'importe, elle n'allait pas lui reprocher ça, tout de même ; notre intéressée ne s'en privait pas trop non plus. Elle remarqua d'ailleurs que sa camarade avait l'air plutôt jeune. Enfin, c'est tellement mignon quand c'est plus petit.

« Merci de ne pas me jarter. Ces paroles lui firent faire un petit haussement d'épaule, en guise d'un léger "T'inquiètes", pour toute réponse. Ah ! Diane Pham, enchantée. »

Informations qui ne tardèrent pas à s'incruster dans sa mémoire. Souriant légèrement en coin, la jeune femme s'étira un peu avant de rouvrir ses grands yeux de jade face à une réplique à laquelle elle ne s'était pas vraiment attendue.

« Vraiment pas de souci à me faire ? avait-elle demandé sur un ton candide. »

Question qui ne tarda pas à faire doucement rire Mademoiselle Richards ; rire qui prit de l'ampleur au fil des secondes. Elle s'arrêta tout de même, reprenant son souffle tout en portant sa main à sa poitrine :

« Pourquoi en doutes-tu ? Je ne savais pas que je donnais ce genre d'impression aux jeunes filles qui se baignent seules avec moi dans une source, continuait-elle avant de se passer une serviette trempée d'eau fraîche sur son visage. »

Elle essora son tissu dans la source puis se remit sur ses coudes contre la paroi du bain, détendant totalement son corps tout en fermant ses paupières. Si il y avait eu un soleil haut, on aurait pu penser qu'elle cherchait la bronzette malgré les grandes nappes de vapeur flottant dans l'air.

« Appelle-moi Elisabeth. »

« Enchantée de te rencontrer Elisabeth, même si la rencontre est, euh, assez originale. Je ne doute pas de toi mais on va dire que la situation n’est pas en ma faveur. »

La jeune femme leva ses yeux vers la Lychnis, la considérant d'un air curieux. La situation n'était pas réellement pour la défavoriser, si il s'agissait seulement de sa nudité. Elle était aussi exposée qu'elle, après tout. Il devait peut-être s'agir de quelque chose d'autre. Mais quoi ? Ce simple détail réussit à titiller l'intérêt qu'elle put lui porter, à ce moment-là. Pourtant, elle resta muette, se contentant d'examiner sa camarade de loin, décortiquant ses moindres faits et gestes. Ecoutant attentivement ses propos.

Diane avait la peau teintée d'un blanc immaculé. Cet élément n'échappa aux yeux de faucon de Mademoiselle Richards, à l'affût de tout. Ce grain propre, elle le tenait aussi ; seulement, il y avait quelque chose de différent. La rouquine pouvait-elle seulement bronzer ? Elle en douta, mais s'arrêta dans ses suppositions. Pas qu'elle n'apprécie pas les jolies filles dorées au bord de la plage ou d'une piscine, mais le problème n'était pas là. Le soleil n'était même pas haut, c'était le crépuscule. Aussi, cette jeune fille semblait ne pas savoir se tenir en place. Elle était en train d'effectuer quelques brasses, puis elle finit par faire la planche, apparemment satisfaite. Elisabeth se mit à bailler, fermant doucement ses paupières. Mais elle rouvrit un oeil dans sa direction, sa voix l'ayant interpellée :

« J’ai l’air si jeune que ça ? Plusieurs personnes me disent souvent ça alors que j’ai dix-neuf ans. Mon caractère doit aider aussi… »

La jeune femme fit de grands yeux ronds, fixant son interlocutrice. Ainsi, elles avaient le même âge ? Elle était d'ailleurs probablement un peu plus jeune que la Lychnis, étant apparue en ce monde seulement au mois de décembre ... Etonnant. Voire, captivant. Un mince sourire apparut sur son minois, penchant légèrement sa tête sur le côté.

« Ça alors. Tu as le même âge que moi. Effectivement, tu as l'air jeune ... »

Aussitôt, Diane glissa, sans qu'elle n'aie vu le coup venir. Elle était alors en train de s'approcher de sa personne, lorsque ce fut arrivé. En moins de quelques secondes, Elisabeth se trouva coincée entre le rebord et cette jeune femme nue, leurs corps très proches, frôlant le contact. Elle demeura interdite, ne bougeant plus. Observant la Lychnis qui la surplombait. Cette dernière avait la respiration saccadée. Un malaise ? Dû à la chaleur de l'eau ? Ses sourcils se froncèrent légèrement, s'apprêtant à lui venir en aide. Mais elle fut stoppée par ces quelques mots, murmurés d'une voix faible.

« Ne t’inquiète pas c’est rien, il faut juste que je m’asseois et que je me repose un peu …

Leurs regards se croisèrent, lorsque la rouquine releva sa tête. Second détail frappant : ses iris d'un azur éclatant, limpide. Elisabeth avait toujours eu un faible pour les yeux bleus. La jeune femme eut un léger rosissement tandis que sa camarade s'était éloignée de façon brusque, surement gênée de la situation. La Spiraea, elle, repensa vaguement à ce qui vint de se passer. Bien que ce ne fut qu'un incident, les faits étaient là. Faits qui animèrent en elle un certain désir, en plus de l'intérêt qu'elle portait déjà à cette jeune fille.

Mais il ne fallait pas manquer de tact.

Ainsi elle cligna des yeux, puis ramena ses émeraudes vers Diane, se levant doucement, s'approchant de son objet de convoitise. Ne perdant pas de temps, elle entoura sa taille de son bras, la blotissant contre elle, la dominant de par sa hauteur. Son autre main vint délicatement s'emparer de son menton, levant son visage vers le sien. La fille aux cheveux roses arborait un sourire affectueux, son regard planté dans celui de la Lychnis.

« Ne t'excuses pas. »

Elle ferma alors ses paupières, avant d'approcher ses lèvres, rencontrant les siennes dans un baiser doux.

Au bout de quelques secondes, elle sentit une réponse de la part de la jeune fille, qui éveilla en elle un joli sentiment de satisfaction, contentée. Elisabeth resserra légèrement son étreinte tandis qu'elle perdit les lèvres de la rouquine, cette dernière ayant baissé la tête, son teint auparavant aussi blanc que la neige devenu cramoisi. La Spiraea la couvait du regard, ne bougeant plus ; la laissant s'éloigner de sa personne. Elle se mit alors à réfléchir à propos de sa précédente pulsion, se demandant si elle aurait vraiment dû faire ça. Oh et puis, de toute façon, ce qui était fait, est fait. Et Diane finit par briser le silence, d'une voix qui put trahir de peu son trouble.

« Non pas que j'ai détesté, euh non, bref, pourquoi m'as-tu ... ? »

Elisabeth esquissa un léger sourire, ne cessant de la regarder. Elle n'arrivait même pas à terminer sa phrase. Pourtant, ses yeux ne communiquaient pas quelque chose de vraiment négatif, non ; plutôt ... un certain intérêt ? De la curiosité ? La jeune femme sentit l'index de son interlocutrice se poser contre ses lèvres rosées. Elle ne bougea pas, laissant l'air déterminé de Diane faire ses preuves, la scrutant toujours.

« Je préférerais que la personne qui me vole mon pr… Son pr... ? Oh ? N'allait-elle pas dire quelque chose d'intéressant, ici ? ... un baiser m’aime… »

La Lychnis se mit à rougir, sous l'air presque attendri de Mademoiselle Richards. Elle attrapa délicatement le doigt qui occupait ses lèvres avant de s'emparer de sa main, la ramenant doucement vers sa personne. Elle vint poser son front contre le sien, s'amusant à forcer le contact visuel tandis que le teint de sa camarade virait toujours plus au rouge vif, consciente de l'emprise qu'elle pouvait avoir sur la fille aux cheveux roux.

« Tu allais dire quoi ? Premier baiser ? articula-t-elle d'une voix faible, imitant la confidence. La main qui lui restait vint se poser sur sa joue, tandis que son sourire devint narquois. C'est mignon. »

Elle vint alors poser sa bouche contre son autre joue, gardant un éclat amusé. Elle se redressa, puis se mit à caresser le haut du crâne de la jeune fille.

« Tu aurais préféré, n'est-ce pas ... Et pourtant ... ça ne t'a pas empêché de l'apprécier. Je me trompe ? lui intima-t-elle, imitant son geste, posant doucement son index contre sa lèvre inférieure. »

Diane semblait plus à son aise qu'auparavant. La jeune femme la contemplait toujours, sa main demeurant sur sa tête, s'étant néanmoins arrêtée de lui caresser le cuir chevelu. Son interlocutrice avait perdu ses rougeurs, et avait repris de sa contenance. Agréable surprise, elle était bel et bien dôtée d'un caractère. Constat qui remua toujours plus l'intérêt qu'elle portait à son égard. Oui, la personnalité de la Lychnis la rendit très curieuse, sur l'instant. Ainsi cette académie pouvait vraiment cacher des personnages intéressants, assez distincts pour réussir à éveiller la curiosité de Mademoiselle Richards.

Sa camarade répondit à ses petites piques, d'une voix ... lasse ? Fatiguée ? Ce qui valut à la Spiraea d'approcher un peu son visage, pour mieux écouter.

« Oui, premier baiser que j’ai, oui, bien apprécié. Je ne vois pas en quoi il serait désagréable. »

Avant qu'elle ne pût répondre, elle ressentit la douceur des lèvres de Diane se poser contre les siennes, sans qu'elle ne le vît venir. La jeune femme demeura interdite l'espace de quelques secondes, avant de fermer ses yeux et de lui donner une réponse, ses joues teintées d'un léger rose. Mais la rouquine s'éloigna aussitôt, retirant sa main de sa tête et la regardant d'un air satisfait. Elisabeth la contemplait, la bouche entrouverte et les yeux légèrement ronds, la stupéfaction ne l'ayant pas quittée. Elle s'était attendue à - presque - tout ... sauf à ça.

« Nous sommes quittes maintenant. Je pense que je vais m’en aller. Je dois retourner dans ma résidence pour prendre mes médicaments. Ses médicaments ? Peut-être bien que ce malaise n'était pas dû à la chaleur de l'eau, tout compte fait. Enfin, ça ne la concernait pas. Ah mince et aussi je dois filer sinon je risque de me faire réprimander ! Tes camarades rouges risquent d’arriver. »

Aussitôt, la femme aux cheveux roses replongea son corps dans l'eau, ne la quittant pas des yeux. Guettant son agitation de manière inexpressive, ayant retrouvé son calme, depuis le baiser inattendu qu'elle venait de recevoir. Ses pensées se fondaient un peu. La seule certitude qu'elle eut, fut cette envie de pouvoir mieux connaître cette jeune fille aux macarons. Afin qu'elle puisse prédire le ou les prochains bisoux que la rouquine pourrait lui donner, plus tard. A cette réflexion, son sourire s'anima quelque peu. Tandis que la Lychnis s'inclinait, elle lui glissa ces quelques mots d'une voix calme et déterminée.

« Nous nous reverrons. »

Elle la regardait s'éloigner, un petit sourire toujours empreint sur son minois. Rencontre intéressante. Très intéressante.

Le flair d'Elisabeth Richards avait encore fait ses preuves. Le jour où elle avait daigné poser ses yeux sur elle.


▬ FIN DE L'EPISODE ▬