Le retour jusqu'aux pavillons Spiraea se fit dans un silence pesant, bien plus désagréable que leurs habituelles chamaillerie. Seules le jeune Caninos tentait de détendre l'atmosphère, mais Will n'arrivait simplement pas à briser la glace. Ce qu'il avait aperçu dans les prunelles de son amie, cette tristesse qu'il n'arrivait pas à comprendre, l'inquiétait grandement. Ces mots avaient-ils tant pu la blesser ou y avait-il autre chose ? Il ne savait pas comment aborder le sujet, après tout la préfète était du genre à cacher ses problèmes et à les régler seule. C'était étrange pour lui qui se plaignait toujours d'elle de lui demander ce qu'elle avait, mais il faudrait bien le faire n'est-ce pas ? Du moins il n'en trouva pas le courage malgré le froid qui le pressait d'agir. Peut-être que devant un thé cela serait plus facile... C'était dire à quel point il était désespéré..

Enfin, l'adolescent ouvrit sa porte d'un geste lent, se préparant mentalement aux critiques que feraient son ami à la vue de sa chambre. La pièce était grande et au style orientale, mais avouons que le rangement laissait vraiment à désirer. Des tas de livres ouverts trainaient anarchiquement au sol, principalement sur l'élevage de nos chers pokémons, et la vaisselle de la veille reposait encore sale dans l'évier. Le lit était encore défait par son réveil précipité, la couverture tremblotante par la présence d'Enigma, effrayée par tout ce monde. Le maître soupira, las que la jeune pousse soit aussi craintive pokémon herbe. Il invita Rozenn à s'assoir près du Kotatsu, l'un des rares endroits de la demeure à peu près rangés et il prit la mystherbe dans ses bras. Fi s'était installé à sa place, c'est à dire près du coussin pourpre aux bordures dorées, profitant de la chaleur qu'émanait la table fraichement allumée. Il posa son pokémon sur le rebord de l'évier et après avoir mis la théière à chauffer, il entreprit de nettoyer l'assiette qui trainait. Enigma l'aida à l'essuyer, oubliant que l'instant d'avant elle était tétanisée par la peur de la visiteuse. Mais Will n'y faisait plus attention, voguant dans ses pensées alors qu'il préparer de quoi manger un peu. Il n'avait toujours pas trouvé le moyen d'aborder le sujet et plus il retournait la question plus il semblait plus simple de faire semblant qu'il s'agissait d'un banale squattage entre deux amis. Mais pourrait-il le faire vraiment ? Ce fut à moment là qu'il remarqua que la tasse débordait, laissant une très légère pellicule du liquide amerdans le plateau. Il râla et épongea la surface, pour qu'Enigma puisse poser la boite de gâteau. Will ramena enfin cette collation sur la table marmonnant un « Attention c'est chaud. » presque inaudible. Enfin il se dévêtit de son manteau terne avant de s'assoir devant la demoiselle à lunettes, visiblement ennuyé. Il se saisit d'un des récipients de et posa ses lèvres gercés par le froid dans le breuvage, fixant Rozenn du coin de l'oeil. Amer à souhait, comme il l'appréciait. Mais pas assez pour oublier ses ennuis, comme quoi les dieux voulaient vraiment le faire souffrir avec cette histoire ! Fi bailla à ses côtés et ,quand Will reposa la tasse, il se résolut enfin à parler , même si sa voix se faisait encore hésitante :

«  C'est... C'est bien de se retrouver au chaud, on en oublie presque que le temps est glaciale dehors... »

Idiot, ce n'était pas ce qu'il voulait lui dire ! Bien sûr qu'elle savaitque dehors il faisait froid, elle y était il n'y avait même pas une minute ! En plus la plante sur patte s'invita sur ses genoux, de nouveau intimidée par l'air sévère de la Spiraea. Sincèrement pourquoi avait-il besoin de servir d'anti-stress pour Enigma ? Il faudrait vraiment qu'elle ait un peu moins peur de tout, ce serait quand même mieux … Toutefois le jeune garçon passa sa main entre ses feuilles pour la rassurer, ajoutant avec un très léger agacement.

«  Tu es bien silencieuse, on t'aurait couper la langue ? D'habitude tu m'aurais déjà crié dessus comme une dingue pour cette ''océan d'immondices''... Quelque chose ne va pas ou tu es malade ? »

Voilà,il s'était lancé, il ne pouvait plus faire marche arrière. Le pire, c'était peut-être qu'elle avait effectivement déjà critiqué son rangement presque inexistant. Il avait tellement était obsédé de comment lui parler qu'il n'avait plus fait attention à ce qu'elle aurait pu dire. Il n'aimait vraiment pas quand il s'inquiétait, surtout que c'était peut-être pour rien...

C’était. Dégoûtant. Rozenn s’attendant bien à ce que la chambre de son ami soit dans un sale état, mais là, c’était à peine descriptible ! Ses yeux se froncèrent et sa bouche se pinça légèrement, mais elle ne fit aucun commentaire. Après tout, il avait eu la gentillesse de l’inviter… Il serait plutôt malvenu de lui faire remarquer que faire la vaisselle, c’était pas une fois par an. Elle s’assit près du kotatsu, comme il le lui avait indiqué, et vit avec étonnement qu’il répondait à ses ordres. Enfin, ses ordres mentaux. Comment avait-il deviné que cette vaisselle qui trainait lui donnait des sueurs froides ? Etait-elle si prévisible que ça ?

Elle patienta encore quelques instants, se retenant de rire en l’entendant grommeler dans son dos. Apparemment il n’avait pas l’habitude de recevoir des gens… En tout cas, le silence commença à devenir pesant. Mais elle ne savait absolument pas quoi dire. Elle le remercia lorsqu’il lui servit sa tasse de thé puis le regarda boire discrètement, baissant les yeux vers sa tasse dès qu’il faisait mine de lever la tête. Elle voulait lui dire que son thé était bon, mais elle avait l’impression que ce serait ridicule. Alors elle resta silencieuse, ruminant intérieurement. Enfin, Will finit par briser le silence.

« C'est... C'est bien de se retrouver au chaud, on en oublie presque que le temps est glaciale dehors... »

Ok, c’était ridicule. Elle aurait mieux fait de parler du thé, un peu plus tôt. Son ami avait l’air agacé, mais elle ne parvenait pas à savoir si c’était à cause d’elle ou à cause de la Mystherbe qui s’agitait sur ses genoux. Peut-être un peu les deux en fait…

« Tu es bien silencieuse, on t'aurait couper la langue ? D'habitude tu m'aurais déjà crié dessus comme une dingue pour cette ''océan d'immondices''... Quelque chose ne va pas ou tu es malade ? »

Elle haussa un sourcil, finissant sa gorgée de thé avant de reposer la tasse sur le kotatsu qui répandait à présent une douce chaleur.

« Oh. Tu tiens tant que ça à ce que je fasse une remarque désobligeante ? Je m’étais retenue parce que tu m’offrais l’hospitalité, mais si tu y tiens… »

Elle commença alors à faire l’inventaire de ce qui n’allait pas dans cette pièce, dénombrant chaque point sur ses doigts au fur et à mesure qu’elle les énonçait :

« La vaisselle n’était pas faite, mais maintenant c’est réglé, ton lit n’est pas fait et des vêtements trainent un peu partout (je crois même qu’il s’agit d’un de tes caleçons, là-bas). Le coussin de Fi est recouvert de poils, je pense que tu pourrais le nettoyer de temps en temps, ou au moins le secouer par la fenêtre parce que c’est vraiment dégoûtant. Et les livres, ça va dans une bibliothèque. Si tu n’as pas assez d’argent pour t’en acheter une, il me semble que mes parents cherchaient à se débarrasser de leur ancienne (ils en ont acheté une neuve, un peu plus grande). Oh, et même s’il fait froid je pense que tu pourrais aérer un peu la pièce de temps en temps, parce que ça commence vraiment à sentir mauvais. »

Elle retourna à sa tasse de thé, le regardant fixement, se demandant comment il allait réagir. Il faut dire qu’elle avait ouvertement critiqué son sens du rangement, et ce en gardant un calme exemplaire. Elle pointa du doigt vers le liquide qui tremblotait dans la tasse et ajouta :

« En revanche, ton thé est très bon. »

Elle avait reprit du poil de la bête, c'était bon signe. Ce n'était pas qu'il aimait se faire insulter par cette démone -qui aimerait être comparé à un anti monsieur Propre?-, mais au moins son inquiétude s'était réduite de la même vitesse que l'apparition de son sourire sur ses lèvres. Finalement, il avait paniqué pour un rien. Tant mieux dans un sens, il n'aurait pas su comment réagir si elle avait était si mal au point de ne pas répondre à sa provocation. Là, ça restait encore dans ses capacités. Il lui suffirait juste de râler suffisamment, bailler et retourner à son thé. C'était un programme tout ce qui y avait de plus simple.

En tout cas son sermon était bien fourni, en même temps cela le surprenait peu. La préfète était une véritable maniaque de la propreté, alors il était évident qu'elle allait voir tous les petits défauts de son rangement. En même temps il était difficile de dire que cette salle fut à un moment autrement qu'une modélisation pour les émissions de ménage. Il s'était vraiment laissé aller ces dernières semaines, mais en même temps savoir que tout ce qu'il rangeait ne le serait plus ne le motivait pas du tout. C'était comme ça que cette pièce pouvait maintenant abriter un écosystème parallèle de la saleté, pourtant l'adolescent ne s'en portait pas plus mal. Au moins cela évitait qu'on squatte sa partie quand ses colocataires invitaient -ou pas- du monde. Ainsi il gardait toujours cette tranquillité sacré qui devait selon lui régir tout ménage...

Mais déjà ses pokémon s'agitèrent, comme s'ils étaient soudain sortis de leur torpeur avec l'incantation de la demoiselle. A son nom Fi releva la tête et comme si ça ne suffisait pas il sauta par dessus le kotatsu pour ainsi se fourrer à côté de Rozenn. Déjà le Caninos lui mordillait la manche, désireux de savoir pourquoi on l'avait appelé. Heureusement il n'avait fait tombé aucune tasse, il n'aurait pas à éponger la surface, c'était toujours ça de gagné. Par contre Enigma recommençait à trembler comme une feuille -quoi de plus normal pour une jeune pousse- à l'entente de la voix de son amie. Will reprit son air blasé et soupira, se demandant si un jour elle s'habituerait à l'autorité de Rozenn. Autant croire au Père Noël...

Mais ce qui surprit le lycéen, ce fut sans doute son éloge quant à son thé. En plus, comme pour vérifier ses dires il avait repris une gorgée, suspicieux de sa parole.Il était vrai qu'il n'était pas mauvais, mais de là à mériter des compliments de la démone, cela sentait le piège. Il fronça très légèrement les sourcils en reposant le récipient, légèrement abattu de ne pas trouver le ''mais'' dans ses paroles.

«  Je te signale que tu m'as jeté de ma chambre ce matin, tu crois que j'ai eu le temps de ranger mes vêtements avec ton ultimatum ? Et ce ne sont pas mes livres, ce sont ceux de la bibliothèque, je n'ai pas besoin de ta charité quand même ! Si ça te gène tu n'as qu'à t'en aller. Tant que mes pokémons ne s'en plaignent pas je ne vois pas pourquoi je devrai ranger ! C'est pas comme si j'invitais des gens tous les jours ici, la bigleuse ! »

Sauf ce jour là, mais il s'agissait d'une exception, et puis ce n'était pas comme s'il l'avait voulu à la base. Il n'aimait vraiment pas quand quelqu'un rentrait dans son espace de vie, déjà qu'il n'appréciait pas trop partager ce lieu avec des colocataires... Alors pour essayer de se calmer, il ouvrit la boîte métallique où se trouvait les gâteaux faits maison, mais comme pour prouver l'existence de son mauvais oeil, il y avait un papier. Il ne lui fallut que quelques secondes pour déchiffrer le message, en fait plutôt niaiserie qu'avait pu écrire sa mère à chaque fois qu'elle lui envoyait en colis. En deux temps trois mouvements, il se rua sur le paquet, la mystherbe s'enfuyant à cause de l'acte si brusque de son maître. Il s'était saisi de mot et le cacha vivement dans la poche et il se redressa, comme si rien ne s'était passé. Sauf que ses joues s'étaient peintes de pourpre par l'humiliation qu'il venait de subir. Il ne voulait qu'elle le voit comme un fils à sa maman, c'était trop honteux à son âge. Il détourna les yeux, marmonnant avec un embarras prononcé :

« T-tu n'as rien vu ! Pas un mot, s'il te plait...»

Car oui, Will restait un adolescent tout ce qu'il y avait plus banal. Il n'avait pas spécialement envie qu'on voit l'affection que lui montrait sa mère, même à son amie d'enfance. Il regrettait vraiment de l'avoir invité, maintenant cette fourbe allait le faire chanter. Il était vraiment maudit.

Ah, il allait répondre. Tant mieux, elle avait besoin de s’échauffer un peu avec ce temps glacial, une bonne engueulade n’était pas de refus.

« Je te signale que tu m'as jeté de ma chambre ce matin, tu crois que j'ai eu le temps de ranger mes vêtements avec ton ultimatum ? Et ce ne sont pas mes livres, ce sont ceux de la bibliothèque, je n'ai pas besoin de ta charité quand même ! Si ça te gène tu n'as qu'à t'en aller. Tant que mes pokémons ne s'en plaignent pas je ne vois pas pourquoi je devrai ranger ! C'est pas comme si j'invitais des gens tous les jours ici, la bigleuse ! »

Ouille. Il faisait fort là quand même. Cependant la préfète des Spiraea se retint de lui balancer sa tasse de thé à la figure, se contentant de lui jeter un regard brûlant de colère par-dessus ses lunettes.

« Je… ne suis PAS… bigleuse. »

Et la suite le lui prouva lorsqu’un bout de papier s’échappa de la boite que Will venait d’ouvrir pour se déposer à ses pieds. Elle n’avait pas besoin d’aller plus loin que le « Mon petit chéri » pour comprendre qu’il s’agissait de sa mère, et elle ne fut même pas surprise en le voyant se ruer sur le mot d’un air paniqué. Elle reprit tranquillement une gorgée de thé, d’un air très digne, avant de relever les yeux vers lui pour mieux observer les rougeurs à ses joues. Ce que c’était touchant.

« T-tu n'as rien vu ! Pas un mot, s'il te plait...»

Il la prenait pour qui ? L’un de ses amis pré-pubères ? Elle était au-dessus de cela voyons… Elle lui sourit narquoisement, toujours sa tasse à la main, avant de dire d’un ton doucereux :

« Mais de quoi parles-tu voyons ? Ah, de ce mot de ta maman chérie ? Ne t’inquiète pas pour ça, je sais bien que tu en as besoin, comme le doudou que tu caches sous ton oreiller. »

Oups, c’était sorti tout seul. Et puis en même temps, il n’avait qu’à pas la traiter de bigleuse, elle arrivait à voir sans ses lunettes ! … Des formes… Floues… A deux mètres… Elle toussota légèrement, les sourcils froncés par le mécontentement.

« Je plaisante. C’est normal d’avoir des nouvelles de ses parents, ya pas de mal. Mais tu devrais cacher ça le jour où tu emmèneras ta copine dans ta chambre… »

Un rire étouffé s’échappa de ses lèvres. Non, elle ne se moquait pas de lui, pas du tout. Mais imaginer la scène était à se tordre de rire.

Pourquoi Rozenn était son amie déjà ? Cette pensée le traversa au moment où elle avoua l'existence de sa peluche Carapuce mal dissimulée derrière sa couverture. C'était bas de l'attaquer sur ça, surtout que c'était sa sœur qu'il l'avait envoyée ! Il se rappelait encore comment il avait tiré la gueule ce jour-là, jurant qu'elle aurait dû lui donner quelque chose de plus masculin. Pourtant il n'avait jamais pu se résoudre à la quitter, c'était après tout l'une de ses rares possessions qui lui rappelaient son aînée. Après tout, il n'était encore qu'un gosse qui s'attachait trop facilement aux objets, à son grand malheur...

Mais hélas les événements jouaient vraiment contre lui. Fi jappait joyeusement, comme pour souligner sa défaite devant la demande. Il n'était pas censé être dans son camp. ? C'était lui après tout lui qui le nourrissait, qui le brossait, qui supportait cette fâcheuse manie d'enflammer les objets quand il était trop heureux, ce qui expliquait d'ailleurs l'empilement mystérieux de récipients près de la porte. Il grinça des dents et suite à un regard qui se voulait menaçant, il chuchota, toujours un peu gêné :

«  Juste-tais toi Rosie... »

Mais bien sûr ce n'était pas la fin de l’humiliation. Même si les mots de la préfète étaient bien moins moqueurs, il crut sentir une petit pique. Car lui, il n'avait jamais été proches de quelqu'un au point de former un couple. Non pas qu'il s'en plaignait, en fait peut-être un tout petit peu, mais il avait l'impression qu'il s'agissait d'un échec à ses yeux. Il devait devenir parano. Mais c'était surtout que ça lui rappelait que Rozenn ne lui avait jamais parlé de ses histoires. Imaginer la scène était bien cocasse, toutefois ils étaient amis non ? Il aurait été normal qu'elle le tienne au courant un minimum pour éviter d'en tomber des nues quand il apprit la nouvelle par quelqu'un d'autre. Même après cette révélation, il n'avait pas pu s'en remettre. Depuis quand elle était adulte à ce point ? … Il se trompait, en fait elle l'était depuis toujours, la demoiselle avait toujours été un modèle de sérieux, c'était pour cela que cela l'énervait autant. Il détourna la tête, articulant avec une certaine tristesse dissimulée derrière sa lassitude :

« Merci de me rappeler que je suis un gosse, MADAME! Bon tu vas prendre un gâteau ou pas ? De toute façon je n'ai pas envie de perdre mon temps avec ce genre de choses... »

Il finit son thé en quelques gorgées en se brûlant tous l’œsophage et en s'étouffant à moitié, mais au moins cela avait la vertu de le calmer. Il n'avait pas envie de se battre avec elle, toute son énergie venait d'être harpée avec ce commentaire. Il ne voulait pas non plus se casser la tête à bien paraître ou même à être sympathique. Mais c'était sans doute parce qu'il n'avait jamais aimé qu'il pensait ainsi. Il aurait vraiment voulu savoir comment sa meilleure amie s'en était sortie à ce niveau, juste pour ne pas être totalement largué à ce sujet. Cependant c'était loin d'être viril comme genre de demande...

Enigma était revenue hésitante près de son maître, passant ses feuilles sur sa joue comme pour vouloir le consoler. Will la fixa un instant avant de lui sourire légèrement et de la remettre en place sur ses genoux. Il était assez impressionnant comment la petite pousse était sensible aux changements d'humeur de l'adolescent à la différence de son caninos qui tirait la jupe de la demoiselle pour peut-être recevoir un morceau de biscuit. Un silence s'était installée dans cette chambre où une tempête était passée, pourtant le jeune brun aimait ce calme. Cela lui rappelait un peu que c'était ce qu'il avait recherché en venant ici. Il s'agissait d'une journée tout à fait normal où deux adolescents se chamaillaient comme à leur habitude, rien n'avait changer. Pourtant il y avait cette solitude qui commençait à peser. Son combat contre l'univers, cette incompréhension totale de ce monde, ces moqueries qui ne lui faisait rien autrefois, tout cela perdait leur sens... Ne commençait-il pas à se rendre compte qu'il lui manquait quelque chose d'essentiel dans sa vie ?

« Juste-tais toi Rosie... »

Elle aurait dû l’écouter, elle le savait. Mais elle avait fait la sourde oreille, prenant la chose avec légèreté. C’était Will après tout, elle pouvait tout se permettre avec lui. Ils se lançaient des piques à longueur de journée, ce n’était pas une de plus qui allait… Mais le ton qu’il employa pour lui répondre la fit se raidir subitement.

« Merci de me rappeler que je suis un gosse, MADAME! Bon tu vas prendre un gâteau ou pas ? De toute façon je n'ai pas envie de perdre mon temps avec ce genre de choses... »

Elle sentait de la colère, oui, mais aussi de la tristesse. Et ça lui faisait mal. Elle aurait voulu s’excuser, ou mieux, revenir en arrière pour effacer ces mots. Mais c’était trop tard, et Rozenn ne savait pas demander pardon. Elle baissa les yeux sur sa tasse, laissant le silence s’installer de nouveau dans la pièce. Bon sang, ce qu’elle pouvait être bête. Will était son ami. Son meilleur ami. Mais c’était aussi un être humain. Et ça, elle avait tendance à l’oublier.

Elle sentit que quelque chose tirait sur le bas de son survêtement et se tourna vers le petit Caninos qui semblait insensible à l’ambiance brusquement refroidie. Elle attrapa un biscuit et lui en présenta le quart dans le creux de sa main tendue, trop lui en donner le rendrait malade. Il en profita pour lui lécher allègrement la main, ce qui la fit rire. Et puis elle se rappela que Will était là, et qu’il était fâché. Elle prit son courage à deux mains et, tout en caressant le petit pokémon, elle dit d’un ton à moitié assuré :

« Tu n’es pas un gosse Will. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu grandis… Tu n’es pas encore un adulte, mais moi non plus. Il vaut mieux profiter de cette période tant qu’il en est encore temps, bientôt peut-être que… Qu’on ne pourra plus voir les choses aussi simplement. »

Elle fronça les sourcils, ce qui lui donna un air sévère. Quand on est adulte, on a beaucoup de responsabilités. Elle n’était pas encore une adulte mais… Elle avait l’impression d’être poussée en avant. Parfois, elle aurait bien aimé s’arrêter en chemin. Prendre le temps de regarder, au lieu de rester fixée sur le même objectif. Elle soupira avant de se redresser.

« Bon, on va être en retard. Il faut encore que je me change, tu veux que je t’attende après ? On pourrait aller en cours ensemble. »

Pourquoi ? Pourquoi devait-elle être aussi réaliste ? Pourquoi prenait-elle toujours cet air sérieux quand il aurait voulu qu'elle le laisse tranquille ? Pourquoi son cœur s'était-il serré quand elle le rassura qu'il avait grandit ? Toutes ces questions n'avaient pas de réponse, mais il voulait pleurer, crier qu'elle ne savait rien. Mais la démone avait raison, bientôt tout deviendrait compliqué, il aurait à faire face à cet avenir qu'il n'avait jamais voulu regarder en face. Il aurait souhaité rester toute sa vie dans cette chambre immonde, là où Enigma et Fi n’arrêtaient pas de se chamailler, là où quelques fois Rozenn venait toquer pour l'emmener faire quelque chose de fatiguant. Ce quotidien paisible n'était pas éternel, il se savait, pourtant il avait fait mine d'être aveugle. La suite était tellement terrifiante, surtout quand l'on était seul...

L'adolescent serra la Mystherbe dans ses bras, cette dernière émettant un petit cri pour alerter qu'il lui faisait mal. Il regardait sa tasse, comme s'il espérait qu'elle se transforme en œuf pokémon. Vide, il était vide. Vide d'intérêt, vide de sens. Jamais il se s'était rendu compte à quel point il était en marge de la vie d'adolescent. Comparé à elle, il était vraiment un mioche qui s'accrochait à un illusion. Depuis quand avait-il autant régressé ? Il avait pourtant su tôt que le père Noël n'existait pas, il était celui qui avait souvent montré les supercheries que les parents montaient contre sa sœur pour qu'elle croie encore à un monde de magie. Maintenant c'était lui qui s'enfermait dans sa tour de cristal. Mais tout avait une fin. Il ne voulait pas se séparer du peu de choses qu'il tenait véritablement dans ce pensionnat. Il voulait garder auprès de lui ses pokémons, cette établissement ennuyeux. Mais il venait de réaliser qu'il ne voulait surtout pas la perdre, elle. Elle avait beau avoir une langue de vipère, lui rappelait qu'il avait encore beaucoup de chemin à faire avant d'être adulte, mais sans cette présence quelques fois dérangeante, il n'aurait plus la force en quoique ce soit. Et elle s'éloignait, il le sentait bien...

Au moment où elle se releva, il put ne nouveau supporter le regard de son ami d'enfance. Fi s'était remis à sa place sur son coussin, sachant que l'invitée allait enfin sortir de cette atmosphère viciée. Le Spiraea posa la jeune pousse sur la table et suivit la préfète dans cet élan à se mettre sur ses pieds. Il fonça un peu les sourcils, marquant cet air agacé qu'il prenait souvent quand on lui demandait de faire un effort. Elle allait partir, partir de cette pièce, partir de sa vie, et il ne pouvait rien y faire. Les rencontres qu'elle pourrait faire, les autres activités qu'elle ferait quand elle n'était pas avec lui, c'était toutes ses choses contre lesquels il ne pouvait pas lutter. C'était sa vie, à lui qui avait désiré vivre une vie sans sursaut. Il hocha timidement la tête, n'ayant pas la force d'articuler quelques syllabes. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Il avait l'impression d'être jaloux de tout ce qu'il ne connaissait pas de la binoclarde. Ce n'était pas lui et pourtant il ressentait bien cette vague de haine et d'égoïsme dans ses entrailles. Il avait peur qu'elle s'enfuit comme sa sœur. Il dévia le regard, articulant avec peine et froideur :

« … Je t'attendrai, donc ne tarde pas trop... »

Il se retourna vers le coin cuisine, sentant son visage s'échauffer. C'était probablement le thé qui lui faisait cet effet, non pas qu'il réalisait que cette phrase dans un autre contexte était vraiment embarrassante. Rozenn était sa meilleure amie, et cela ne changerait pas, malgré leurs routes divergentes. C'était ce qu'il se répétait sans cesse, comme un prière muette à ce Dieu qu'il détestait. Mais la menace venait de l'intérieur et ça, il ne voulait pas le voir...

Will lui semblait lointain. Très très loin d’elle, comme si un gouffre profond les séparaient. Et Rozenn, avec ses manières brusques et son manque de délicatesse, elle ne savait pas comment faire pour empêcher ça. Elle aurait voulu lui demander ce qu’il se passait dans sa petite tête de pioche, le harceler jusqu’à ce qu’il crache le morceau. Mais elle sentait bien que ça ne marcherait pas comme ça.

Alors elle se tut, Rozenn. Pas un mot ne sortit de sa bouche. C’était dans des moments comme ça qu’elle fermait les yeux, qu’elle refusait de se rendre compte à quel point elle était faible. Elle se mettait des œillères et elle marchait droit devant elle, se persuadant que son chemin était le bon. C’était juste ridicule.

« … Je t'attendrai, donc ne tarde pas trop... »

Trouverait-elle encore la force de plaisanter face à ce ton glacial ? Parviendrait-elle à dire en riant que c’était toujours lui qui était en retard et que ce n’était pas maintenant que ça allait changer ? Ou bien qu’il pouvait tout de même avoir la politesse de l’accompagner jusqu’à la porte ?

« Tu sais très bien que je ne te fais jamais attendre, idiot. »

Son ton était calme. Pas aussi froid que celui qu’avait utilisé Will, mais dénué de la chaleur du rire. Ce n’était pas drôle. Elle ne chercha pas à rencontrer son regard avant de sortir, de toute façon il lui tournait le dos. Elle avait un peu mal au cœur, elle voulait lui crier dessus, le secouer comme un prunier en lui hurlant d’arrêter. D’arrêter d’être comme ça. Elle ne le reconnaissait pas. Will. Son meilleur ami.

Mais elle savait que tout reviendrait à la normale lorsqu’elle viendrait le chercher pour aller en cours. Ce moment de crise serait enterré, comme tant d’autre en ce moment dans le cœur de Rozenn. Caché, dissimulé, oublié. Elle le charrierait de nouveau sur sa flemme légendaire, elle remarquerait sûrement un épi sur le haut de son crâne et lui ordonnerait de l’aplatir parce que ça ne faisait pas sérieux, il grommèlerait qu’il s’en fichait, elle le frapperait pour le punir de son outrecuidance, il finirait par s’exécuter soit disant parce qu’il en aurait marre qu’elle l’embête avec ça. Un quotidien qu’ils avaient fini par accepter tous les deux.

Alors elle sortit de la pièce en murmurant un « à tout à l’heure » pas très convaincant. Elle ferma doucement la porte derrière elle, restant un instant adossée à la surface en bois peint. Voilà, la porte était close maintenant. Fermée sur le problème qu’elle ne voulait pas voir. Il devait être fatigué, après tout elle l’avait quand même forcé à la suivre et à courir comme un dératé. C’était ça, la fatigue. C’était tout. Son regard redevint sûr et elle marcha d’un pas décidé jusqu’à sa chambre, prête pour une nouvelle journée dans la peau de Rozenn Scherzare.