Ils ont pensé à refaire la décoration ?

Dix heure sonnait dans le hall. Elle n’avait au final pas perdu de temps. Elle avait tout le reste de cette merveilleuse journée pour se divertir, se lier de quelques connaissances, et surtout s’entraîner à la photographie. Dix coups qui avaient retentis. Puis un onzième. Elle était surprise. Ce n’était sûrement pas ses divers bagages à monter dans sa chambre qui l’avaient ralentie – pour cause, elle avait su trouver une âme charitable pour ce véritable tour de force. Non. Un décalage horaire imprévu ? Aucune chance, elle s’était renseignée. Les formalités administratives avaient été exécutées en un éclair. Était-ce les différentes prises de son tout nouveau Chaglam ? Non, quand même pas. Elle sait être raisonnable… Bon, comprenez qu’il est quand même très mignon, ce chaglam. Elle, d’ailleurs. Gossip. On lui pardonnera, pour cette fois.

Qu’allait-elle faire, désormais ? Elle s’attarda dans cette grande pièce de laquelle semblait se répandre un bon lot de couloirs et autres salles diverses. Agencement tortueux, à l’image de ses pensionnaires, de ce qu’elle en avait compris. Narcissus, groupe dont elle faisait partie dès aujourd’hui. Des personnages arrogants, pour la plupart. Elle s’en accommoderait, elle s’en accommode toujours. Tout comme elle s’habituerait à ce décor pour le moins banal. Certes, on y reconnait un certain goût du luxe, mais ce côté renaissance manque cruellement d’éclat, de couleur, de design.

« À croire qu’ils sont dénués de style. Viennent-ils donc tous d’un lieu rural et perdu ? »

Elle soupira. Elle leur apprendra à avoir du goût, si nécessaire. On leur excusera sans difficulté leur manque de raffinement. Tous ne peuvent avoir été éduqués par l’un des grands noms des concours de coordinateurs de sa région. Qui, de plus, est devenue créatrice d’accessoire haute-couture. Nan, vraiment, sa mère a beau vivre dans un appartement en centre-ville, il transpire plus de style que ce misérable château de fausse noblesse. Sans doute ont-ils quelque complexe au point de vouloir s’emmurer dans ce passé pour le moins imposant.

Mais dépassé ou non, il y aura toujours moyen d’en tirer quelques clichés décents. Pourquoi d’ailleurs ne pas commencer maintenant ? Appareil en main, elle s’enquit de la sortie. Résolue… jusqu’à ce qu’elle aperçoive son dernier bagage. Sa valise d’accessoires. Certes, pas le plus lourd, mais déjà volumineux. Et ses minces roulettes n’allaient pas monter les escaliers seules. Elle rouspéta. S’en suivit quelques appels à Abel, sa seule connaissance en ces lieux. Il ne répondait pas. Pour changer. Elle était pourtant prête à sortir, profiter de cette fin de matinée. Alors elle ronchonna encore.

« Et dire qu’il n’y a pas même un seul galant élève pour m’accueillir ! »

Elle resta plantée devant sa valise, tentant encore de joindre son camarade.

Quelqu’un ! Parfait. Un peu en retard, mais elle s’en contera. Elle se retourne, dévisage son sauveur. Car, oui, il l’aiderait, elle en était convaincue. Il lui parait assez commun. Tout ce qui ne brille pas lui parait commun. Jeune, plus qu’elle. Un élève, donc. Un domestique aurait été plus adéquat, et pour le moins logique dans un château d’un tel apparat. Passons. Elle range son téléphone dans son sac, elle fera sans Abel. Elle passe sa main dans ses cheveux, ses doigts entortillent une de ses mèches rose bonbon. Elle sourit, faussement gênée, perdue. C’est comme ça que ça marche, non ?

« Ohh, bonjour ! Eh bien, vois-tu, je viens d’arriver dans cet établissement, et, bien que l’essentiel de mes bagages aient été portée à ma chambre, il me reste celle-ci… Constate comme elle est volumineuse, jamais une demoiselle aussi fragile que moi ne pourrait la transporter au travers un tel dédale de marches et couloirs étroits. Je me retrouve alors dans le plus grand embarras à attendre une aide providentielle, alors que je suis seule et étrangère à ce lieu. Quel malheur ! »

Son flot de parole s’arrête, sur une note tourmentée. Elle semble désespérée, comme si, en un instant, toutes les tragédies du monde était venues se réfugier violemment sur ses épaules. Une pauvre petite chose perturbée par un si… grand évènement. Une valise à monter. Il est inutile de préciser que Mademoiselle a un goût prononcé pour la mise en scène.

« Serait-ce, alors, trop te demander que de venir en aide à ma pauvre personne ? »

D’ailleurs, elle le tutoie. Il la vouvoie. C’est naturel, elle est une jeune femme, et lui un gamin. Un gamin, qui, elle n’en doute pas, se ferait un réel plaisir de l’assister. Quand bien même cela le dérangerait, il est de bon ton que ses désirs soient exécutés. Ils sont dans un palace, si cet élève est d’ici, il doit avoir un minimum de savoir-vivre. Et voilà qu’elle se comporte déjà en princesse, pourrie, gâtée. Surtout pourrie.

Tout se passe comme prévu. Elle est réjouie ; il porte sa valise. Il la trouve bavarde. Il n’a simplement pas assez d’éducation pour pouvoir tenir la conversation. Un de ces gosses sans intérêt. Le faste de ce château s’affaisse un peu plus à chaque découverte qu’elle fait. Tant de magnificences déployées pour couvrir ce vide qu’elle sent déjà dans la personnalité des occupants. Elle suit son laquais à travers les couloirs. Des miroirs, des tableaux, du luxe. Du mauvais luxe. Elle en semble convaincue, si la décoration manque tant de caractère, elle ne fait que refléter l’identité de cette branche de l’école. Les arrogants. Elle soupire. Il s’arrête, il parle.

Son nom, sa chambre. Il saura. Il est préfet. Préfet. Sérieusement ? Elle porte ses mains à ses lèvres, délicatement. Elle cache cette expression surprise. Ça, un préfet. Celui qu’elle avait en un tour de mot plié à ses caprices était un des élèves influents de l’école. Quelle ironie. Quelle mauvaise blague. Faire d’une élite son domestique l’espace d’un instant, sans effort. Elle n’apprécie pas. Non pas que ce soit trop facile – ça l’est. Mais elle se sent mal, à l’instant.

« Notre digne représentant se tourne donc aussi facilement en bonne. Comme je me sens fière d’être Narcissus. »

Pointe sifflante, sarcasme amer. S’ils n’avaient aucune personnalité, elle saurait compenser pour eux, tous. Son visage auparavant souriant arbore un rictus hautain, dédaigneux. Elle est condescendante, oui. Elle est proche de sa chambre, aussi. Elle se rappelle des plans. Encore un couloir, sans doute deux. Elle pourrait se débrouiller seule, si besoin. Elle espère se débrouille seule. Qu’il se sente insulté, qu’il réagisse, que son égo soit bafoué, qu’elle n’ait pas honte de ses hérauts. Sinon elle se verrait dans l’obligation de les remplacer. Elle n’est pas là pour ça.

« Ohh. Et je me nomme Aelya, Aelya Esander. Ma chambre est à quelques pas d’ici. »

Elle avait insisté sur son nom. Il représentait beaucoup pour elle. Malgré ses récents conflits avec son père, elle restait cette enfant née de l’union de la science et de la mode. Parfaite fusion. Son nom ne dira sûrement rien à ce Crow. Mais il aura l’impression qu’il signifie assez pour justifier son comportement. C’est toujours comme ça, habituellement. Elle finit par lui montrer négligemment un couloir par lequel continuer. Qu’on s’y rende vite.