Une boule de gouache, qui fend l'espace dans une parabole verdoyante, s'écrase sur un morceau d'étoffe immaculé, en imprègne le tissu.
La première d'une longue série, le glas annonciateur de l'apocalypse.
Tu as juste le temps de te protéger avec un ciré jaunit, avant que ne parte le second projectile. Simple pinceau trempé dans une mare d'écarlate, changé en arme de jet par une gamine vengeresse.
Tu laisses échappés un sifflement agacé. Les premières années ont l'art et la manière de transformer une petite heure d'atelier art plastique en remake de Battle Royale.
Et ça hurle, évidemment. S'échauffe au fur et à mesure que les pots sont renversés. Piétine les travaux, balance les pinceaux. Véritable maelstrom de petits diablotins glissés dans un costume d'angelot.
Incontrôlable.
Jusqu'à ce que tu craques, évidemment:

▬ Mais vous allez vous calmez oui?!

Le silence s'installe. Un silence coupable. Tu passes ta main dans tes cheveux et observe l'estrade souillée d'un air exaspéré. Ouvrir des activités pour distraire les plus jeunes de ta maison? Bah tiens, ça t'apprendras à "prendre des initiatives".

▬ Oki, je crois que ça sera tout pour aujourd'hui. Faites moi le plaisir de ranger vos affaires avant d'aller vous lavez les mains.

Ils protestent, tentent de t'apitoyer avec de grands yeux humides et des jérémiades interminables. T'agaces, pour êtes honnêtes. Alors tu fais la sourdes oreilles, balayes leurs protestations d'un vague mouvement du poignet et essuie tes mains tâchés de bleus sur le devant de ton tablier.
Et ça fait bizarre, de te voir comme ça. Le visage constellés de tâches multicolores, une chevelure ébouriffé, également victime des pinceaux volants, et des vêtements irrémédiablement foutue, évidemment.
Une scène totalement inédite.
Hum... Vraiment?
Non.
Pas vraiment non.

Sayuri lève les yeux de son ouvrage, surprise.
Clive.
La jeune fille scrute le lynchis sans bouger, immobile, debout au milieu des tâches de peintures polychromes, une main posée sur l'un des graffiti, l'autre fermée autour du manche de son pinceau. Elle a arrêté de peindre, c'est déjà ça. Elle considère son interlocuteur avec une expression fermée qui n'augure rien de bon, et un reflet de quelque chose comme de la surprise ou du soulagement, à le voir aussi bien portant. De toute évidence elle s'était tout de même inquiétée pour lui, malgré tout.

Il faut quelques secondes avant que la menthae réussisse à détourner le regard de son camarade pour le poser sur le mur fraîchement repeint. La froideur reste, le soulagement s'estompe. Elle évalue l'ampleur du travail restant, soupire en constatant qu'elle y passera encore une bonne partie de son après midi puis s'agenouille devant ses affaires éparpillés. Une indifférence dérangeante, à la fois inhabituel et complètement détaché, placide et curieusement naturelle.

Elle n'a rien à dire, au fond.
Sauf des reproches.
Sauf des mots blessants.
De ces remarques qui fusent et lapident leur receveur sans que le rythme ne s'amenuise.
Alors elle préfère garder le silence. Se relever. Avant de saisir ses pinceaux et de se remettre à l'ouvrage.

Le bruit humide du pinceau imbibé de peinture glissant sur le mur mit à nu meuble progressivement le silence qui s'installe, mais toujours de manière inconfortable. Ses propos ont été parfaitement compréhensibles. Surtout pour quelqu'un qui est aussi profondément ancrée dans son mutisme. Dans ce genre de silence familier qui ont l'art et la manière d'exclure votre interlocuteur de votre bulle personnel.

Le son s'éternise quelques minutes après que Clive ait fini de parlé, le temps que le S gribouillé à la hâte ne disparaisse sous une épaisse couche de peinture. On en aperçoit encore les contours, il faudra qu'elle songe à s'y attarder plus longuement la prochaine fois. La demoiselle soulève son pied et l'agite pour chasser les flaques de peintures qui se sont formés sur le sommet de ses converses, d'un geste machinale. Puis elle pose à nouveau ses yeux sur le lynchis. Plus longuement cette fois.

Pendant quelques secondes elle est d'une immobilité aussi parfaite que les piliers qui soutiennent les voutes de l'arche. On ne la voit même pas respirer, ou à peine. La seule chose qui bouge, c'est une mèche de cheveu indiscipliné qui vient barré son front.

▬ Je t'écoute.

Elle ne cille même pas. Le genre de regard qui faisait avalé de travers n'importe quel premier année.

Celle là, tu ne t'y attendais pas, hein Sayu? Une raison familiale, rien que ça. Le lynchis avait disparut du jour au lendemain, sans aucune explication, pour une raison familiale... Mouais. Why not? Après tout, tu avais déjà vu pire en lisant les mots d'absences de tes congénères.
Tu arques un sourcil sceptique en écoutant la suite de ses explications, hoche poliment la tête par à coup pour lui prouver que oui, tu l'écoutes toujours. Attends patiemment qu'il termine.
Avant de prendre la parole:

▬ Poursuivre l'optique du groupe? Vraiment? Ça tu aurais dû y penser avant de disparaître de la circulation.

Tu soupires en te pinçant l'arrêtes de nez, comptes mentalement jusqu'à dix, tentes de réprimer ton irritation grandissante. Sans rire, il n'y a que Clive pour disparaître pendant presque un mois et reprendre sa vie comme si de rien n'était. Une désinvolture qui t'amusait. En temps normal.

▬ Passons le fait que ton attitude soit fort peu sympathique envers les membres ton "groupe" et encore moins envers tes hypothétiques amis. Oui passons ces détails et centrons nous sur ton rôle, Evans. T'es censé être notre leader, non? Notre chef? Alors grand dieu, explique moi quel putain de chef se tire pendant trois semaines sans rien dire à personne?

Autant pour le self contrôle, me diras-tu. Mais il fallait bien que ça sorte un jour, non? Ou pas. Peut être qu'il aurait mieux valut que tu l'ignores jusqu'au bout. Ça t'aurais fait économiser du temps. Du temps, et de l'énergie.

▬ Mais j'imagine que ça, ça ne t'as pas traverser l'esprit.

Il ne manquerait plus que ça tient, qu'il n'y ait pas réfléchit. Quoi que, à tout bien réfléchir, ce dernier point ne t'étonnerais pas plus que ça. Tu lèves les yeux au ciel, te diriges vers ton sac et rassembles tes affaires éparpillés sur le sol.

▬ Oui, je connais l'emplacement de la salle des archives et je connais aussi Hestia. Contentes toi de m'envoyer la date de la réunion par mail.

Parce que là tu n'as qu'une envie. Rentrer dans ton dortoir et te glisser sous ta couette. Fermer les yeux, en espérant réussir à sombrer dans l'inconscience.