Aux heures sombres d'une fin d'après-midi, tout en haut de cette tour balayée par le vent, Chauncey divaguait, ses bras accoudés à la rambarde. Le bleu de ses yeux dans le gris d'un ciel sans soleil, son visage était étrangement calme. Mais ce n'était pas un calme paisible ou doux, c'était plutôt ce calme froid, une détermination inébranlable qui figeait le fond de son regard. Comme si, il se préparait à commettre un meurtre et fomentait dans son esprit un plan alambiqué. Mais la vérité était tout autre. Chauncey souhaitait simplement fumer. Fumer pour se changer les idées, fumer pour oublier, fumer pour fumer. En ce moment il aurait bien aimé que Kacey soit là. Kacey elle avait toujours des clopes et sûrement qu'elle lui en aurait filée une. Seulement non. Kacey il ne l'avait pas trouvé, alors il avait décidé de monter en haut de cette tour. Parce qu'il savait qu'il y serait seul et qu'il pourrait y faire tomber son sourire. Puisqu'à ces heures-ci, il était commun que le sommet de la tour soit complètement déserté. De plus les marches décourageaient facilement. Généralement on trouvait ça fatiguant et on préférait aller faire un tour au planétarium plutôt que de les gravir. Chauncey lui, les avait montés comme un robot, avec un vide intersidéral dans le creux de l'estomac. Il ne s'était pas vraiment rendu compte de leurs nombres, n'avait pas accordé d'importance à sa fatigue soupirant tout juste parfois avant de se rendre compte qu'il n'y avait plus de marches du tout. Et puis maintenant il était là, son coupenotte pris de vertige malhabilement agrippé à son épaule, et puis ce même vide, creux.

De là ou il était, il pouvait tout voir. Mais il n'y avait qu'une chose qu'il regardait vraiment : Les arènes. Celles de la Team Astria. En les voyant, il ressentait un profond dégout. Une amertume acide, qu'il aurait bien déversé sur n'importe qui et il y avait les fantômes de son passé qui surgissaient. Ils dansaient devant son regard d'acier et il les regardait toujours avec ce même air glacial. Ressasser son histoire, l'ancienne gloire de son père, étaient des choses qui le mettaient d'humeur particulièrement mauvaise. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. C'était bien malin. Aigri, il asséna un violent coup de pied à la barrière. Le choc lui arracha un juron, et il avait mal. C'était con.

Mais plus que cette douleur, il y avait ce feu qui le consumait depuis trop longtemps. Cette rage et cette rancoeur maladive au fond de lui. Faire semblant, toujours faire semblant, garder profil-bas. Ça le tuait de n'avoir encore rien fait. Et il n'en pouvait plus d'attendre.

Combien de temps ? Une minute, peut-être deux, une dizaine ou encore un trentaine, Chauncey était étrangement lointain. Ses bras encore accoudés à la barrière, ses oreilles insensibles aux jappements de son Coupenotte, il n'avait aucune notion du temps, aucune notion de ce qu'il faisait ; il était ailleurs. Son visage affichait cette expression qu'on lui voyait si rarement ; un air solennel, sans doute déterminé, et ce regard bizarrement éteint. Le Chauncey aux sourires mielleux n'était pas là. Exit aussi, Chauncey et son sourire arrogant qui se plaisait à torturer Lucresia. Ce Chauncey là, c'était celui qu'on voyait le moins, qu'on ne voyait jamais en fait. C'était ce Chauncey qu'on aurait pas oser taquiner. Sans doute parce que celui-là il avait l'air aussi froid qu'un iceberg, et on ne sentait que trop bien la réplique cassante qu'il ferait fuser. Mais la vérité c'était qu'il ne le ferait peut-être pas. En fait, sûrement que Chauncey aurait tout bonnement ignoré la personne qui serait apparue dans l'encadrement des marches. Parce que son existence aurait été insignifiante, comparée aux réflexions tortueuses de son esprit. Ou encore si cette personne était quelqu'un qu'il connaissait bien, Chauncey aurait parlé. Pas du beau temps, pas des pokemons, mais plutôt des choses qui l'importaient vraiment. Astria entre autres. Parce qu'il avait ce besoin profond de dire ce à quoi il pensait. Mais en fait, pour tout dire, il ne pensait pas mais il avait des certitudes, des évidences, cette décision qu'il venait tout juste de prendre et qu'il devait dire. Juste dire.

Des minutes passèrent encore, encore, encore. Du temps qu'il ne comptait pas, du temps que Coupenotte voyait passer. Il continuait ses jappements comme pour attirer l'attention d'un maître qui l'avait oublié. Tout ça en vain. L'adolescent resta encore longtemps sourd aux mouvements d'un pokemon qui voulait se faire remarquer. Quand Coupenotte lui administra un léger coup de son front, il se contenta de secouer l'épaule, l'air passivement gêné. Chauncey était un peu trop dans une bulle en ce moment, pour être tout a fait conscient de ce qui passait autour de lui. Et il ne se rendait pas compte que Coupenotte était tombé au sol et se débattait pour remonter. Il sentait bien cette légère nuisance qui aurait entravé ces mouvements, mais le truc c'est qu'on le lui accordait aucune attention. On s'en tapait complètement.

Ce fut un bruit comme un autre qui le ramena à la réalité. Celui d'une voix qu'on connaissait bien. L'adolescent avait bien entendu les paroles guillerettes lancées dans cet air de fin d'après-midi. Normalement il aurait peut-être affiché un sourire suffisant. Mais il ne pouvait pas et ces paroles il les laissa couler, trop peu importantes pour qu'il s'y concentre. Il ne se détourna pas non plus son regard pour l'observer ; Lucresia. Elle était au sol d'après ce qu'il avait entendu et ce qu'il avait déduit. Mais ça non plus il n'y accordait pas d'importance. Mais malgré ce manque incroyable de réaction, Chauncey était content qu'elle soit là. Car elle était celle à qui il pourrait tout dire. Elle ne le jugerait pas, jamais et ça c'était la meilleure chose qu'on pouvait lui offrir. Sans attendre plus longtemps, toujours de dos, Chauncey annonça de but en blanc ;



« Je vais faire tomber Astria »


Des paroles qu'on ne disait pas. Même pour rire. Et des paroles trop sérieuses, trop déterminées pour un adolescent de son âge. Et pourtant Chauncey les avaient dites en articulant chacune des syllabes, le ton détaché. Il n'avait pas peur de la réaction de Lucresia, pas peur de ses réactions, parce qu'il savait qu'elle ne dirait rien.