Mon regard se lève vers le ciel alors que je sors du réfectoire. Nous sommes vendredi, & le soleil se lève à peine. L'air est frais en cette matinée d'automne, on sent que l'hiver approche. Tant mieux. Je préfère les temps froids, où les gens restent au chaud chez eux & laissent la plupart des autres lieux désertés. Lieux que je peux alors utiliser en paix. Certains s'interrogent sur cet isolement, certains rient de la présence d'une lame à ma ceinture ou encore du côté désuet de mes vêtements, qui sont d'ailleurs des vêtements d'homme. La plupart des gens me croient même garçon, mon premier prénom mixte n'aidant pas. Mais je ne cherche pas à les contredire ni à répondre à leurs piques sur mon apparence ou mon caractère. A quoi bon, après tout? Cela ne porterait qu'à créer des débats sans fin, suite auxquels les avis des plaisantins ne changeraient sans doute pas. Non, tant que je ne me sens pas offensée, je ne réagis pas. Qu'ils pensent bien ce qu'ils veulent, après tout.
Ma main se pose machinalement sur le fourreau de ma chère épée, l'empêchant de battre mes jambes tandis que j'avance vers le Gymnase, lieu choisi pour l'entraînement du jour. Flamme, qui me précède de quelques pas, s'arrête en arrivant à la porte du bâtiment pour se tourner vers moi, ne pouvant ouvrir elle-même. Je la rejoins rapidement & nous entrons silencieusement.
Un grand bruit retentit à l'instant où je referme doucement derrière moi, & résonne dans la grande pièce vide, tandis qu'un bâton ricoche sur le sol & vient s'immobiliser à un ou deux mètres de moi. Le poussin rouge sursaute & vient se presser contre ma jambe. Mon regard reste fixé sur l'objet quelques instants, avant de se relever vers le point d'où il semble venir. Un second bâton tombe des mains du jeune homme, qui se courbe pour appuyer ses mains sur ses cuisses & tente visiblement de recouvrer son calme. Son visage m'est familier, je l'identifie comme Menthae. Quand à ces bâtons qu'il semblait manier avant que cet éclat ne lui prenne, on les associe à un sport qualifié de féminin. Une lueur étrange traverse mes yeux d'émeraude à ces pensées. Pourquoi les gens ressentent-ils le besoin de créer des cases & des stéréotypes, tout doit-il donc être masculin ou féminin, bien ou mal, respectable ou risible? Pourquoi les Hommes se sentent-ils forcés de rejeter ce qui ne rentre pas dans leurs si chères cases, pourquoi tiennent-ils tant à un monde classifié & parfaitement réglé? Cela me révulse, je ne comprends décidément pas ce raisonnement. Pourquoi rejeter les différences ainsi, pourquoi ne pas plutôt les accepter & les revendiquer? Elles font aussi partie de ce que nous sommes.
Je m'avance & me penche pour ramasser l'objet ayant échoué devant moi, avant de me diriger vers le garçon silencieusement, seul retentissant le son étouffé de mes chaussures sur le sol. Son emportement subit m'interpelle, les questions filent dans mon esprit, mais aucune ne traverse la barrière de mes lèvres ou de mes yeux restés inexpressifs. Vraiment, quelle étrange heure pour venir s'entraîner. Aurait-il une quelconque raison de préférer la solitude, lui aussi? Serait-ce la pratique de ce sport? Les stéréotypes? Le regard des autres? Ou juste l'amour du calme, un côté lève-tôt? Tant d'interrogations balayées d'un simple revers lorsque j'arrive près de l'adolescent. Mon regard & mon visage n'en laissent rien filtrer, comme si je n'avais rien vu, rien saisi de la scène. Comme si j'avais juste trouvé en entrant ce bâton que je lui tends désormais avec, pour une fois, quelque chose ressemblant à un vague sourire.

- Tout va bien?

L'innocence d'une question banale qui pourtant s'enquiert de l'autre, posée d'un ton posé & mesuré, sans accents particuliers. Car il m'est tout simplement hors de question de sembler lui montrer de la pitié, je ne sais que trop bien le mal que cela peut faire, comme cela peut sembler vexant ou rabaissant. & après tout, cette tournure si banale a quand même aussi ses avantages.