C'était une journée ordinaire. Se lever tôt, manger tôt, faire l'ermite à la bibliothèque, s'entraîner, bref la routine d'un samedi matin. Un samedi matin comme Anya les aimait, avec - elle l'espérait-, aucune anicroche. Elle aspirait à une bonne journée calme et studieuse, comme toujours les week-end. De toute façon, elle avait du mal à faire la grasse matinée, alors elle en profitait. Depuis le temps qu'elle était ici, elle avait bien pris ses habitudes, et savait précisément à quelle heure il fallait arriver à tel endroit pour éviter la cohue et pouvoir être au calme. Pour passer, en gros, ce qui lui semblait être une journée idéale. Ça, c'était la théorie. Passons maintenant à la pratique.

Et bien...en pratique, c'était...plus compliqué.
Ô doux euphémisme.

Parce que dés qu'elle passa le seuil de sa chambre, les ennuis commencèrent. La blonde se figea, interdite. On aurait cru qu'un ouragan était passé dans la pièce. Des vêtements s' amoncelaient partout à perte de vue. Sur le sol, sur les chaises,sur la porte de la salle de bains, sur les bureaux, sur les commodes et elle ne savait pas encore où. Des tâches de couleur partout, comme si un peintre géant avait laissé la peinture tomber de ses pinceaux. Ou le rêve d'un drogué, peut-être. Inutile de chercher l'explication de pokémons turbulents. C'était pourtant ce qu'elle avait émis comme hypothèse, la première fois qu'elle avait vu la chambre dans cet état. Fausse joie. Elle aurait pu aussi supposer une mauvaise plaisanterie venue des élèves d'une autre maison. Ce n'aurait pas été complètement idiot. Mais non. C'était l'œuvre d'une seule personne : sa chère et tendre colocataire à tendance légèrement bordélique. Légèrement. Et le pire, c'est que cela arrivait souvent. Au moins une fois par semaine, elle devait élever la voix – un comble – pour que Sarah, car c'était bien elle, range son bazar. Non pas que cela fut tellement efficace. Chaque fois, elle se répétait, chaque fois ça ne servait à rien. Que du bonheur.

Et comme à chaque fois, la blonde repéra un détail, qui, comme à chaque fois, l'indigna. Elle voulait bien tolérer sans trop faire d'histoires que la tornade Sarah mette sens dessus dessous son coin de la pièce, mais que ses propres affaires soient touchées, et là, le drame arrivait. Ce qui était le cas, puisque, rappelons-le, il y avait des vêtements partout dans la pièce. Donc y compris sur son propre bureau. Et sa propre chaise. Et son propre lit.

Mise à feu dans...trois...deux...un...zéro.

Explosion.

« SARAH !!!!!!!!!!!! »

Ce fut aussi gracieusement qu'un Rhinocorne furieux en train de charger qu'Anya se dirigea vers la salle de bains, manquant de s'étaler à chaque pas. Inutile d'essayer de se cacher, elle savait que sa colocataire était là. L'habitude. Et un indice ne trompait pas : elle entendait du bruit venant de la salle de bains. Et comme à son habitude, elle avait raison. La coupable était là, en train de se brosser paisiblement les dents. L'air de rien, comme inconsciente du chaos qu'elle avait provoqué. Complètement dans les choux, en gros.

Rester calme, surtout rester calme, après l'explosion de tout à l'heure. Au moins dans ses paroles, sinon dans ses gestes. En tout cas, on arrête de crier. Du moins, on essaye.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? Tu nous fais un remake de Tchernobyl ou quoi? »

Amis de la subtilité, bonjour.


Oui...c'était définitivement une journée ordinaire.

« Non. C’est une trappe. »

Gné?
Houston, nous avons un problème.

C'était dans des moments comme ça qu'Anya commençait à avoir des doutes sur la santé mentale de sa colocataire, toujours à lancer les répliques les plus incongrues possible lorsqu'elle la piégeait comme ça. Elle aurait du s'habituer, depuis le temps. Mais elle n'y arrivait pas. Sûrement que blasée par le bordélisme chronique de la brune, Anya aurait juste pu bouger les affaires incriminées et les mettre dans un coin, de telle sorte que ses propres affaires restent immaculées. Oui, mais non en fait. La blonde avait un côté un peu maniaque quand il s'agissait de la propreté de la chambre. Mince quoi, elle avait failli faire Holidays on Ice sur plusieurs des affaires de sa camarade de chambre, et qui sait, peut-être se fracasser le crâne sur elle ne savait pas trop quoi. C'aurait été dommage, tiens. Plus personne pour dire à la brune de dire plus ou moins diplomatiquement qu'il fallait peut-être qu'elle songe à commencer à ranger ses affaires et à ne plus les laisser traîner partout.

Elle préféra ne pas relever sa réplique suivante, constituée de suites de sons sans la moindre cohérence, comme un grognement d'homme préhistorique. Sarah n'avait pas appris les bonnes manières, ou quoi? Enfin, non pas qu'elle-même y fût tellement attachée, mais bon..Il y avait quand même des limites. S'exprimer de façon toujours claire et audible faisait partie des bases. Ah tiens. Finalement si, il y avait un être presque civilisé en face d'elle, puisque la brune reposa sa brosse à dents, et, attention ça va secouer, s'essuya la figure. Ha-lle-lu-jah ! C'était Noël, ma parole! Ou pas, en fait. Elle l'ignora avant de retourner dans ce qu'elle avait nommé «  remake de Tchernobyl. » avec sa poésie coutumière. Ne pas s'énerver, ne pas s'énerver, ne pas s'énerver. Le message passait en boucle dans le cerveau d'Anya. Une explosion de colère était suffisante. Elle n'allait pas lui laisser le plaisir de la voir s'énerver une seconde fois. Essayons de se comporter comme des adultes calmes et civilisés. Oui, essayons. Au moins on ne pourrait pas, sur le coup, lui reprocher sa bonne volonté.

« Ma foi, elle est très bien cette chambre. » lança la brune en lui souriant effrontément.

Ah, elle voulait vraiment avoir le plaisir de la voir exploser une seconde fois, hein.

« Oui, j'avoue que ça a un petit côté parcours d'aventures, c'est tout à fait sympathique, on manquait d'animation dans cette chambre. A moins que ce ne soit un système de protection contre d'éventuels squatteurs? Tu penses vraiment à tout ! »

Ironie, ironie quand tu nous tiens. C' était tellement plus amusant que de hurler.

Et juste après, elle vira négligemment les affaires de Sarah de son coin de la chambre , les laissa finir leur course par terre comme s'il s'agissait de vulgaires chiffons et s'installer, régalienne, sur son lit.

Tu veux jouer, Sarah? Et bien, on va jouer, mais à ma façon.

« Oui, j'avoue que ça a un petit côté parcours d'aventures, c'est tout à fait sympathique, on manquait d'animation dans cette chambre. A moins que ce ne soit un système de protection contre d'éventuels squatteurs? Tu penses vraiment à tout ! »

C’est ça, Dieu me le rendra.
Un vague bruit de particules en suspension puis en légère chute et enfin, tout un cortège de fausses notes rendant compte de l’écrasement inévitable d’un corps sur le sol. Amis de la physique, bonjour ! Un sourcil arqué, un vague grommellement étouffé dans son coussin et la partie commençait. Lentement, elle se releva, à la manière des grands empereurs qui se sont crus, l’espace d’un instant, les piliers de l’histoire moderne. Il ne lui manquait plus qu’une grande toge blanche et une couronne de lauriers pour, couronner le tout justement. Ce n’était pas un râle, ce n’était pas un hurlement, ce n’était pas ça, non. C’était plus que ça. C’était un cri. Un cri animal qui n’avait rien d’humain, un cri digne d’un lion, d’un ouistiti, d’un éléphant voire même d’un nasique. Ça venait du « core » de son corps, si, si (et non pas du cœur de son corps, c’eût été trop beau).

« M-E-S C-D-S ! »
Elle était debout.
Enveloppés dans la pile de vêtements qu’Anya venait tout juste de faire dégringoler négligemment sur le sol, une poignée de cds s’était lamentablement écrasée. Et Sarah, elle, elle avait moyennement apprécié. Soldats, vous ne serez pas morts au combat pour rien. La patrie vous en sera éternellement reconnaissante. Amen.

C’était une déclaration de guerre.
C’était son Waterloo des temps modernes. Puis sa déclaration de guerre à la Prusse.
A moins que ce ne fût l’inverse.

Sarah c’était Napoléon le grand, rien à voir avec Napoléon le petit. Sarah c’était la reine du monde qu’elle foulait de ses pieds nus sans une once d’hésitation : la tête haute, le menton relevé, la poitrine en avant, le torse bombé ; du nerf que diable ! A croire que la pièce en délire ne suffisait plus elle-même. Plus. Il lui en fallait plus. Souquez ferme moussaillons !
Quand sonne l’heure, hissons nos couleurs.

Arborant un air faussement méprisant, la capitaine d’un jour fronça les sourcils et sortit les crocs, littéralement. Elle s’avança, lentement, l’air déterminé finalement, résolue à en découdre au plus vite. Les poings serrés, elle fit mine de s’élancer sur Anya en bonne ex-délinquante qu’elle était, mais se ravisa aussitôt. Sarah se stoppa illico et pivota sur ses talons pour se diriger de nouveau vers son lit en enfant sage qu’elle était. Sourire en coin il va sans dire. Arrivée à destination, elle se pencha quelque peu et empoigna l’objet de sa convoitise sans rien faire pour autant. Le contemplant simplement, cet édredon blanc qui lui paraissait moins insignifiant que d’ordinaire.
Frustration.

Et elle se tourna tout en prenant soin de cacher ses intentions machiavéliques d’une seconde à peine. Et le coussin partit, loin, loin d’elle. S’élevant de quelques centimètres dans les airs, l’oreiller fila à travers la pièce sans difficulté apparente. C’était une bonne chose.
Soulagement.

C’était le messie qui s’élançait dans la direction de sa colocataire, c’était l’ange Gabriel qui s’en allait prêcher la parole du bon dieu. C’était un édredon.
Libération.

Et cette course effrénée se termina. Le visage d’Anya en fut le point final.
Châtiment.

« Je crois que tu as un truc sur la figure. Je te l’enlève ?»

Ironie ? Pas le moins du monde.
Car Sarah était parfaitement lucide.
Allo la Terre ici la Lune.

Oh, tiens, des Cds qui tombent. Zut alors, comme c'était bête. Si Anya avait su elle aurait fait att- .. ah non, rien du tout en fait. Elle n'avait pas à faire attention. Mince quoi, qui avait foutu cette chambre en boxon ? Pas elle. On ne pouvait s'attendre décemment à ce qu'elle reste impassible. Elle ne faisait que défendre son territoire, son espace vital, sa bulle, qui avaient été honteusement attaqués : c'était de la légitime défense ! Eh hop. Acquittée par douze voix à zéro dans son tribunal mental. C'était fou comment on pouvait défendre n'importe quoi avec la motivation nécessaire.

« M-E-S C-D-S ! »

Ce ne fut pas un cri humain, mais un véritable rugissement de bête furieuse qui sortit de la gorge de sa colocataire. Un miracle que cela reste compréhensible à des oreilles humaines. La performance forçait l'admiration : comment un cri aussi puissant pouvait-il être produit par un être humain? Mystère scientifique, qui ne serait sûrement résolu que bien plus tard, si on effectuait une autopsie de la brune. En attendant, tout l'étage du dortoir devait avoir profité de cette magnifique performance vocale. Bah..cela faisait un spectacle gratuit, non? D'ailleurs, Sarah devrait penser à se lancer dans une carrière de chanteuse d'opéra, son impressionnant organe vocal serait sans doute apprécié à sa juste valeur. Parce que sur le coup, Anya craignit pour son ouïe. Ses tympans devaient être foutus..

Quoique. Pour le moment, ses tympans passaient au second plan.

Sarah refaisait l'imitation du Tauros enragé qu'elle-même avait faite tout à l'heure en arrivant dans la chambre. Oh oh...ça ne s'annonçait pas bien, là...C'était le réveil du tigre. C'était comme si elle avait appuyé sur le bouton «  on » qui réveillait ce côté un peu plus..hum..violent de Sarah. Non pas que cette partie-là de sa colocataire la gêne, d'habitude. Elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait, tant qu'elle ne la dérangeait pas..

Sauf que là, elle était directement concernée. Mayday.

Anya évalua ses chances de pouvoir fuir avant que Sarah ne lui tombe dessus. Résultat de l'analyse : fort minces, compte tenu de l'état de la chambre. Même en admettant qu'elle puisse réagir à temps – ce qu'elle jugeait dans ses cordes-, elle avait, mettons, 99% de chances de se vautrer sur un objet non-identifié. Bon eh bien, il allait falloir supporter l'attaque frontale. Courage, soldat ! Préparez votre défense, une charge de cavalerie va bientôt arriver.

Mais l'attaque tant attendue ne vint pas. Par contre, un coussin vola. Droit sur son visage. L'impact fut moins douloureux que ce qu'elle avait cru.

 «Je crois que tu as un truc sur la figure. Je te l’enlève ?»

- Non merci, ça ira.  réussit-elle à articuler alors que le coussin atterrissait pitoyablement sur son lit, juste à côté d'elle.

Admirable, elle était tout bonnement admirable. Réussir à garder son calme après s'être pris un oreiller en pleine poire. Ou du moins faire semblant.

Parce que Sarah s'en était pris à son visage. Malheur à elle. En mettant la chambre dans un tel état, elle avait posé un orteil sur la ligne rouge ; mais s'en prendre à son visage, cela dépassait tout. C'était le point de non-retour, elle ne répondait plus d'elle.

Anya se contenta de tourner son regard violacé vers la brune. Pas de regard mauvais, pas de regard furieux, rien. Niet. Nada. Et c'était peut-être encore plus mauvais signe.

Elle attrapa le coussin, marcha à pas lents, mesurés, vers sa future victime. Lui offrit un grand sourire innocent. Finalement, elle n'était pas si mauvaise actrice que ça. Aie confiance mon enfant. Crois en moi. Il ne va rien t'arriver.

Mais bien sûr.

Et elle lui donna un magistral coup de polochon derrière la tête, fidèle réplique en intensité de l'attaque qu'elle-même avait subie.

Oeil pour oeil, dent pour dent.

Une seconde de silence. Deux secondes de silence. Trois très longues secondes de silence. Sarah, elle était là : le visage tourné à moitié à cause du revers fulgurant que venait de lui infliger sa colocataire sans autre forme de procès. Le regard fixe et droit, elle ne savait plus trop où elle en était. Elle restait coite sans mot dire. Il y avait comme une sorte de bouillonnement intérieur qui habitait son corps, comme une sorte de fumée invisible qui sortait et par ses oreilles et par son nez : comme si elle avait mangé un bonbon magique que l’on trouve seulement dans le monde merveilleux des « Harry Potter series ». Elle ne savait pas ce qui montait en elle mais, de toute évidence, « ça montait » ; un peu comme lorsque la moutarde vous monte au nez. Elle était surprise, sans doute ; choquée, peut-être un peu aussi ; atterrée, certainement ; en colère, c’était évident. Elle demeurait muette pourtant. Inquiétant happening s’il en est. Et où était-elle à présent sa prestance passée ? Où était-il ce regard qui semblait défier tout et n’importe quoi ? Elle aurait même crié « Ramène-toi motherfucker ! » qu’on en aurait presque était soulagé (presque seulement). Mais non : elle s’était tue. Lui avait-on rabattu le caquet à cette princesse des rues ? L’avait-on remise à sa place pour une fois ? Lui avait-on dit : « Tu vois, ta place elle est là. Alors tiens-toi tranquille sale chat. » ? Non. Rien de tout cela. Elle réfléchissait juste, ou peut-être cultivait-elle des graines de colère qui ‘elle avait semées en elle au moment où l’édredon avait violemment atteint sa tête. Le mystère restait entier. Même pour Sherlock Holmes.

Elle avait tiqué. Sarah avait tiqué quant à ce qu’il venait de se passer. Une certaine amertume avait envahi sa bouche, elle avait les papilles en folie. Un certain bourdonnement se faisait entendre dans ses oreilles, comme si le coup l’avait sonnée à la manière dont les cloches sont sonnées. Les yeux rivés droit devant elle, elle fronça légèrement les sourcils ; comme si elle sortait peu à peu de sa léthargie soudaine. C’était le défilé de l’ouïe, du goût, de la vue, de l’odorat et même du toucher ; comme si Sarah, en son for intérieur, avait décidé de s’adonner à un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

La surprise cédant à la colère, Sarah éclata. Pour la seconde fois.

« GRRRR ANYA ! »

Oui, ça faisait un peu comme une pub pour les céréales lion : celle où le protagoniste se met à rugir et fait ainsi fuir les badauds environnants. Sauf qu’avec Anya ça ne marchait pas, ou du moins rarement. Et Sarah était en folie, les bras soudain levés au ciel, elle avait arraché l’oreiller des mains de sa colocataire. Elle était déchainée, prête à commettre l’attentat du siècle. C’était la logique de la riposte graduée irraisonnée : celle où le mot « graduée » ne veut plus rien dire. C’était la Russie qui s’attaquait aux Etas-Unis. En sale chat de gouttière qu’elle était, l’ex-délinquante se jeta sur Anya sans retenue, l’assaillant de toute part à coups de coussin molletonné. Si exploration dans sa bouche il y avait eu, sans doute de véritables crocs vous y auriez vu. Mais Sarah frappait comme un chaton, il lui restait tout de même un semblant de lucidité : aucun mal à Anya il ne serait fait. Et pendant ce temps, à tort et à travers le coussin elle brandissait.
A croire que pour Yoda elle se prenait.

« Alors, vaincue ? »

Mais un sourire se dessinait sur ses lèvres. Ce n’était plus la guerre, c’était la paix qu’elle proposait.

Il n'y eut pas de cris, pas de hurlements. Juste un silence qui semblait de très mauvais augure pour la blonde. Depuis le temps, elle avait bien compris que le silence, chez Sarah, n'était jamais bon signe dans des situations comme celle-ci. Non, elle ne l'avait pas réellement calmée- si seulement. D'aucuns auraient pu dire qu'un coup d'oreiller comme celui-là, cela calmait. Eh bien non. Pas Sarah en tout cas. Elle doutait même qu'un seau d'eau fraîche aurait pu être efficace. Ou à défaut, un bon Pistolet à O venant de Gobou. Cela aurait eu probablement le même effet que l'oreiller : à savoir la neutraliser quelques secondes. Mais elle le savait, depuis le temps, que ce silence n'était qu'un répit ; que si elle avait eu un minimum de bon sens, elle aurait pris la fuite en attendant des jours meilleurs. Mais miss Anya était masochiste, trop téméraire peut-être, trop sûre d'elle surtout. Elle s'imaginait capable de contrôler la tornade nommée Sarah et d'en ressortir indemne. Si elle avait eu un équipement de protection, peut-être. Alors elle restait là, le port de tête fier, le dos droit, à la manière des empereurs romains : le regard tourné vers le ciel, comme si elle était détachée des affaires terrestres. Attendant une catastrophe qui ne tarderait pas à venir, et prête à en assumer les conséquences.

Aurait-elle du éprouver de la crainte? Très certainement. Mais avait-elle seulement peur? Non. Certains auraient pu appeler ça du courage, d'autres appelaient cela de la bêtise et de l'inconscience pure. Les deux pouvaient être liés, cela dit.

Et la catastrophe arriva, dont le premier signe fut un rugissement.

« GRRRR ANYA ! »

Mais Anya restait là, imperturbable comme un géant de pierre.

Puis une attaque en règle. Le coussin lui fut subtilisé , et utilisé en guise d'arme, alors que Sarah se jetait sur elle comme un fauve sur sa proie. Elle se fit frapper à tous les endroits possibles et imaginables. Mais elle se laissait faire comme une rock-star alanguie face à un public déchaîné, alors que sa conscience partait dans une toute autre direction, loin d'ici. Quoique. Il se passait quelque chose de bizarre, là. Elle ressentait à peine les coups portés. Ouf. Sarah n'était pas si en colère que cela, sinon elle aurait frappé bien plus fort. Là..c'était plus comme si elle avait envie de jouer, comme un chaton avec une pelote de laine. La brune voulait sans doute la faire tourner en bourrique, comme d'habitude. Si ce n'était que ça..

Sarah avait toujours été comme cela : imprévisible. Mais du coup, on ne s'ennuyait jamais avec elle. Et c'était peut-être en partie pour ça qu' elle l'aimait bien, au fond. Et avec un grand sourire, l'ex-délinquante lança :

« Alors, vaincue ?

- Tu devrais savoir que je n'abandonne jamais.»

En dissimulant le sourire en coin qui commençait à se former sur ses lèvres, elle reprit le pauvre coussin -qui avait bien souffert aujourd'hui - , frappa une dernière fois Sarah – pas trop fort -, et lança:

«Voilà, nous sommes à égalité maintenant. Les hostilités peuvent cesser.»

Avant de faire signe à Sarah de s’asseoir avec elle sur son lit pour se remettre de cette bataille de polochons peu conventionnelle. Ouais, elle n'était pas gênée de s'installer sur le lit de sa colocataire - d'autant plus qu'elle se servit de la brune comme coussin. Elle était plus grande qu'elle, autant qu'elle serve à quelque chose, non?

Et oui, Sarah était une des seules personnes face à qui Anya se laissait un peu aller, abaissait ses barrières et se comportait d'une manière moins hostile.

Au point que lorsqu'un éclat de rire bref, mais joyeux, presque enfantin, franchit ses lèvres, elle ne le retint pas.