Doux novembre, saison morne et froide, pourtant si radieuse dans sa singularité, son aspect mort et austère. Tu y trouvais définitivement ton compte, jeune pseudo-artiste dans l'âme. L'air froid qui emplissait tes poumons te faisait ressentir une douloureuse nostalgie dans laquelle tu te complaisais. Les nuages lourds et chargés flottaient au-dessus de ta tête telle une épée de Damoclès qui menaçait de tomber à tout instant. Pour seule protection un chandail au capuchon relevé sur ta tête, tu étais assis sur un banc d'une promenade piétonnière guitare à la main, une vieille Gibson que ton paternel t'avais légué un Noël, faute de vouloir t'acheter quelque chose, avais-tu présumer. Elle était en bonne condition, le vernis pelait un peu, mais tant qu'elle produirait du son, tu ne l'échangerais pas, de toute manière. Lecteur de musique sur les oreilles, tu pratiquais les accords sans faire de bruit, bien avachi au creux du banc. Les passants te regardaient parfois, se demandait si tu voulais de l'argent ou non, mais au fond, devaient être bien content que tu ne leur casses pas les oreilles au milieu de l'après midi.

Alors que tes doigts reproduisaient mécaniquement les sons que tu attendais, ton regard, lui, se perdait dans la voûte nuageuse qui s'étendait on ne savait où. L'heure était avancée, mais la population étudiante et travaillante était d'autant plus présente. Ton ventre s'actionne, te signal qu'il a faim, mais tu l'ignores. Tu en profites pour regarder ta montre. Elle devrait être déjà là, pourtant. Si seulement tu avais investi dans un téléphone portable, aussi. Enfin, tu n'avais rien d'autre de prévu pour aujourd'hui.

Puis, une ombre masque le paysage nuageux.

-...Huh?

Le choc n'a pas été doux, pour elle du moins. Au mieux, elle aurait une petite bosse sur la tête. Au pire, bon, ce ne serait sans doute pas pire que cela, alors autant rayer cette possibilité immédiatement. Génnéralement, personne ne se heurte contre toi. Surtout lorsque tu étais assis tranquillement sur un banc au beau milieu d'une rue marchande . Cela te fit douter sur la présence mentale de la personne qui t'avais rentré dedans. De par la plainte qui émanait de cette personne, tu avais dû en conclure qu'il s'agissait d'une fille..ou d'un garçon à la virilité discutable. Après avoir vérifié que rien n'étais brisé et que le locataire de ta guitare étais toujours endormi, tu daigna enfin t'enquérir de l'état de la jeune demoiselle. Lorsque tu vis son visage enfin, l'air inquiet changea pour un énorme sourire suivit d'un éclat de rire fort et puissant, celui d'un vrai homme, provenant directement de la caverne originelle. Sans même lui laisser le temps de comprendre, tu lui lanças une douce pointe qui la ferait te reconnaître en moins de deux.

-Tu sais, y'a des manières plus simples de me dire bonjour, Yuna. Ou dois-je dire Yuna-senpai? Bref, est-ce que ça va?

Déposant doucement ta guitare dans son étui, tu te lèves pour lui tendre la main, n'allant quand même pas la laisser dans une telle position devant tant de gens. Puis, il valait mieux pour toi de bien paraître en public, à défaut d'avoir les véritables motivations altruistes qui engendrent ce genre d'actions. Regardant ta montre, tu notes son retard de quinze minutes et lui demande, comme ça, sans arrière pensées.

-As-tu eu un problème sur la route? On devait se rencontrer ici il y a un quart d'heure de cela. Tu n'avais pas oublié, j'espère?

Un sourire amusé se forma au coin de tes lèvres. SI tel était le cas, tu ne lui en tiendrais sûrement pas rigueur. À quoi bon, de toute manière? Ça arrivait à tout le monde, du moins, à ceux qui ne sont pas organisés. Comme tu te comptais dans le lot, tu n'avais rien à lui reprocher. Désignant une place à ses côtés (pour qu'elle puisse reprendre ses esprits), tu enchaînas, doucement.

-Alors, quel est l'horaire de la journée, mademoiselle Menthae? Oh je t'avertis, nous avons un invité clandestin, aujourd'hui.

Dès que les paroles furent prononcée, Zap, le Statitik qui avait élu domicile dans ta guitare sortit de sa cachette pour grimper le long de ton bras, ses poils émettant de petites déchargent statiques à leur passage. Avec un sourire entendu, tu attendais patiemment sa réponse.

Bien sûr qu'elle avait oublié! À quoi pouvais-tu d'attendre! S'il y avait une personne encore plus à la ramasse que toi, ce ne pouvait être qu'elle. Sans oublier qu'elle endossait l'écusson des verts, tu te demandais franchement comment elle arrivait à se souvenir de ses dates d'examens, la pauvre. Pourtant, malgré sa vaine tentative d'assumer pleinement son retard et surtout son oubli, tu ne pouvais que passer l'éponge sur ce coup-ci. Tu en avais déjà assez des tracas quotidien pour ne pas vouloir les faire vivre à tes amis, peu importe la raison. Du moment que cela ne t'affectait pas directement. Car tu ne lui devais rien, à la gentille Yuna. Rien ne te tenait assis sur ce banc et si son retard se serait prolongé, tu serais parti aussi vite que tu es venu, aussi simplement.

-Longtemps, tu dis? Encore cinq minutes et je repartais à l'académie. Je ne suis pas gentlemen à ce point, tout de même.

Était-ce seulement gentlemen d'attendre en vain quelqu'un qui ne viendrait pas, même lorsqu'un rendez-vous avait été donné? Peut-être, mais une chose était sûre, c'est que cela démontrait une volonté que tu ne possédais malheureusement pas. Tant mieux pour toi, en un sens. Tu faisais attendre les gens, pas l'inverse. Tu analysas le regard de la menthae sur ton pokémon qui agissait surtout comme animal de poche. Vous vous étiez rapidement liés d'amitiés tous les deux et il lui avait pris la mauvaise manie de se cacher dans tes vêtements lorsque tu sortais. Du moment qu'il ne tissait pas de toiles électriques, tu ne pouvais lui en tenir rigueur. Elle ne semblait pas avoir peur, c'était déjà positif. Lui, d'abord méfiant face à la grande créature se calme aussitôt le danger potentiel écarté. Après tout, si tu risquais le moindre danger, ce ne serait sûrement pas avec Yuna.

Alors que tu rangeais ton instrument de musique dans son étui, tu pris les secondes nécessaires à l'écoute de ton amie, assumant un soupir de compréhension. Il semblait bien que tu n'y échapperais pas, aujourd'hui. Soit, tu avais des courses à faire de ton côté, alors autant faire une pierre deux coups.

-Tout d'abord, il n'est pas une si récente acquisition. Ensuite, comme tu avais déjà un truc de prévu, on va continuer sur cette lancée. Je tiens à préciser que le fait que je sois pourvu d'un appendice masculin n'a rien à voir avec ma capacité à endurer des heures de marches interminables dans un centre commercial!

La courroie de ton étui à guitare en bandoulière, tu la regardes s'exciter un instant à la vue de Noël. Tiens, allais-tu recevoir quelque chose cette année? Bof, c'est pas comme si quelqu'un avait à t'en offrir, non? Pas de famille, pas de petite amie, pas d'amis enclin à ce genre de tradition farfelues. Malgré tout, tu avais tout ce dont tu avais besoin. Pourquoi t'encombrer de trucs inutiles? C'est ce que tu essayais de te convaincre du moins. Coupant court à l'amusement de ton aînée, tu lui demandes enfin.

-Par quoi on commence, alors?

Un petit rire amusé. C'était amusant, en effet, de voir à quel point elle te trouvait des qualités que tu ne possédais pas. Elle n'était pas à blâmer, non, l'attention était douce et charitable, mais tu te connaissais suffisamment pour savoir que tu n'étais rien de ce qu'elle prétendait, aussi bien mettre les choses au clair immédiatement.

-Une perle? Franchement, Yuna, tu me surestimes gravement, tu te rends compte? Enfin! C'est seulement pour t'aider afin que tu n'oublies pas de faire des cadeaux à tes proches! Imagine que tu sois prise la veille pour faire tes courses?

Ainsi, déambulant à ses côtés, détaché et nonchalant, tu observais toutes ces choses qui t'étais interdite. Les prix exorbitants étaient forcément loin de la modique somme qui t'étais allouée et à moins d'avoir envie de manger du pain grillé sans garniture pour Noël, tu ne pouvais t'offrir ce genre de luxe. Même si parfois l'envie d'un peu de luxe te tenaillais sauvagement, ta fierté légendaire t'empêchais de te résigner à demander des prêts ou quelque somme d'argent. C'est ainsi, devant toutes ces boutiques richement décorées que tu te baladais à côté de cette folle dépensière qu'étais sans doute Yuna. Ainsi tu entras pour la deuxième fois de ta vie dans une bijouterie. L'endroit était resplendissant, certes, mais tu n'y voyais que la provocation de la bourgeoisie. Certainement pas un endroit pour toi. Enfin, tu n'étais pas pauvre à ce point, mais définitivement près de ton argent. L'avarice est un défaut seulement lorsqu'on possède trop de moyens, te disais-tu pour justifier ta mauvaise manie.

Après avoir joué au chien de poche avec Yuna, tu entrepris de regarder par toi-même les nombreux bijoux que la boutique avait à offrir. Tiens, certains trucs n'étaient pas trop cher, étrangement. C'est ainsi que de nulle part, un vendeur fait son apparition devant toi. Tu levas les yeux vers lui, incertain quant à savoir si tu avais fait une bêtise ou non et remarque le visage écarlate de Yuna avant d'hausser un sourcil. Pourquoi voudrais-tu faire un cadeau à la demoiselle? Vous n'étiez pas un...Ah oui, c'est donc ça. La fille gênée, le vendeur insistant. Un petit rire s'échappa de ta bouche avant que tu ne te grattes systématiquement la tête, cherchant quoi lui répondre. Puis, le tout sorti comme suit:

-Oh, vous faites erreur, je crois. Nous ne sommes pas un couple, juste des amants. Pour être franc, je ne voudrais pas lui offrir quelque chose de trop voyant, historie que son copain ne s'en rende compte, vous comprenez?

Le vendeur, visiblement gêné par la situation n'insista pas davantage avant de repartir à ses occupations, jetant un coup d'oeil suspect à ton égard de temps à autres. Tu retournas vers Yuna, légèrement impatient, malgré le peu de temps passé dans la boutique.

-Alors comment vont tes recherches? Tu as trouvé tout ce que tu voulais?

Il en allait de ces moments où tu étais particulièrement fier de ton coup, surtout lorsque tu arrivais à créer un malaise à partir de rien. Tu n'allais pas jusqu'à en enfler ton égo, mais cela te faisait un petit velours et puis, comme elle l'avait dit, c'était plutôt drôle. Alors que tu grognas sous la tentative de chatouille (bon sang que tu détestais ça -justement parce que tu étais chatouilleux-), elle te demanda de quel chef tu avais osé sortir un tel mensonge sous aucun prétexte valide, ce à quoi tu répondis tout simplement.

-Tu l'as dit toi-même. C'était drôle! Puis maintenant, tu vas t'attirer une de ces réputations!

Évidemment, cela ne s'appliqua qu'à elle, car dans ce genre de relations, c'était toujours la fille qui était coupable. Tandis qu'elle s'affairer à payer la variété de bijoux et autres babioles sur lesquelles elle était tombée, tu entendais patiemment au pas de la porte, te demandant soudainement ou était passée ton Statitik, du coup. Apràs une recherche à tâtons sur ton propre corps qui dû s'avérer bien étrange pour l'oeil extérieure, sans compter ton regard un brin nerveux, tu retrouvas le bienheureux couché au fond de ta capuche, comme il le faisait si souvent que tu en avais oublié la différence de poids. Le sortant de sa cachette, tu le pris dans ta main avant de le regarder, cherchant son opinion ou plutôt prétextant de ne pas te parler tout seul.

-Toi aussi tu trouves ça long une fille qui fait les courses, hein? C'est ce que je pensais.

Ce à quoi il te répondit par une moue encore endormie et un petit gémissement qui accompagnait un hérissement de ses poils face à ce réveil un peu trop hâtif. Tu ne lui en demandas pas davantage, le laissant retourner dormir dans ton capuchon tandis que Yuna, sacs en main, revint à ta portée, te demandant où aller maintenant...

-Alors là, je sais pas trop...Tu cherches des cadeaux pour quelle clientèle, exactement?

Trop peu l'habitude de faire des cadeaux toi-même t'avais enlevé tout sens critique lorsqu'il s'agissait de trouver un magasin adéquat. Après une réflexion assez dure de ta part, tu trouvas le compromis idéal.

-Suis-moi, j'ai trouvé la place idéale, je crois.

Après quelques secondes et quelques pas, voilà que vous vous retruviez tous les deux face à un magasin de musique. Non pas un discaire, mais bien un endroit où l'on vendait à la fois les instruments et les disques. Bien sûr, tu te donnas brièvement le droit de baver devant tous les articles qu'il y avait et encore, tu n'étais pas entré dans le magasin. Mais la dure réalité revint vite. Tu n'avais pas les moyens de t'offrir une petite fantaisie sans devoir compromettre autre chose.

-De mémoire, je n'ai jamais vu quelqu'un qui n'avait pas la musique.

Alejandro, c'était pas un membre du personnel, ça? Un cuisiner ou infirmier, tu ne savais trop, mais son nom t'étais drôlement familier. Pourquoi ferait-elle des cadeaux un tel type, d'ailleurs? Peut-être qu'ils avaient un lien de parenté entre eux. Dans tous les cas, vous voilà maintenant devant le magasin de musique. Fier d'avoir marqué des points après d'elle avec ton choix de boutique, tu lui répondis tout de même à sa première remarque, en tant que mélomane que tu es.

-Ce qui est bien avec la musique, c'est que tu en fais ce que tu veux. Adoucir les moeurs, peut-être, mais pour moi, c'est surtout une façon de m'évader dans un autre univers, celui qui m'est présenté par tous ces artistes et de voyager au fil de leurs chansons. Bref, ça en est presque une expérience métaphysique. Mais pour cela, il faut choisir la bonne musique!

Car lorsqu'il s'agissait de genre musicaux, tu ressortais un peu du lot. Tu ne te pliais pas à ce qui s'adressait au grand publique. La musique de radio, c'était bon pour t'endormir, mais sans plus. Ce que tu aimais, c'était les genres un peu plus obscurs et sans doute moins connus, mais qui, à ton sens, offraient une réelle expérience qui méritait d'être vécue. Tous les groupes progressifs faisaient ton plus grand plaisir auditif, mais tu affectionnais également l'énergie et la vivacité des groupes plus trashs. À chaque occasion sa musique, autrement.

Pris dans ta rêverie drôlement perceptible (rares étaient ces moments où tu étais réellement excité et si tu avais la chance de te voir d'un point de vue extérieur, tu serais bien gêné de toi-même), tu déambulais dans les allées, sortant des vinyles que tu recommandais peut-être en vain. Enfin, sortie de ton monde, elle qui semblait surtout s'intéresser à ses cadeaux te demanda si c'était une bonne chose à faire, ce à quoi tu répondis simplement.

-Bah si tu ne connais pas ses goûts, c'est déjà bien dur de pouvoir faire un cadeau. Et puis, offrir un instrument de musique? Tu es bien fortunée, dis-donc. Tout d'abord, pour offrir un disque, tu dois savoir si la personne est suffisamment ouverte d'esprit pour offrir une bonne écoute, ou si elle est tellement renfermée dans un seul style qu'elle n'ouvrira même pas le boîtier. Ce n'est pas un choix à faire à la légère, en somme.

Disais-tu, alors que tu jouais avec ces vinyles qui, pour toi, restaient hors de prix, mais qui seraient si beaux dans ta collection, tout près de ton tourne-disque. Peut-être allais-tu t'offrir un petit truc, finalement. Tant pis si tu devais manger du pain sec pour les deux semaines à suivre. Mais tu ne devais pas oublier les cadeaux pour tes pokémons, aussi. D'ailleurs, aussi bien l'avertir tout de suite.

-Tiens, je crois que je vais acheter ce disque. D'ailleurs, faudrait passer dans une boutique pour les pokémons, aussi. J'ai quelques petits trucs à acheter.

Finalement, l'esprit de Noël réussissait bien à faire ressortir l'enfant en chacun, même toi.

Après ce coup de tête, tu devais maintenant te tenir tranquille pour le reste des achats. Si à la base, tu voulais profiter du temps des fêtes pour gâter tes pokémons, voilà maintenant que tu te retrouvais avec un sublime vinyle, certes, mais sublimement au-dessus de tes moyens également. Passant à la caisse, tu laisses Yuna faire ses achats sans trop te préoccuper de cette dernière tandis que tu discutes avec le caissier, celui-ci te félicitant pour tes goûts musicaux. Voilà autre chose que tu appréciais particulièrement. Tu avais cette habitude de voir les gens passés avec leurs goûts si communs alors que quand tu faisais toi-même tes achats, voilà que de longues discussions sur l'univers de la musique pouvait avoir lieu, en assumant que le propriétaire connaissait un peu le domaine. Ainsi, pendant que vous discutiez des scènes mondiales du post-rock, voilà que la dernière revient, tu lui fais ainsi place, la laissant effectuer ses achats encore une fois, sans trop te préoccuper de ce qu'elle avait bien pu acheter à ce Alejandro.

-Allez, fais-vite, sinon les boutiques vont fermés avant que tu ne sois sortie d'ici.

Ah les femmes. Une fois qu'elle t'avais rejoint, c'est elle-même qui prend les devants pour t'emmener jusqu'à la boutique où l'on vendait toute sorte de jouets et de nourriture spécialisée pour les pokémons. Toi-même tu n'étais pas très jouet et eux non plus, d'ailleurs. Ils n'avaient certainement pas besoin d'une balle qui couine lorsqu'ils pouvaient jouer carrément avec une pokéball. C'est avec cette pensées d'ailleurs que tu avais opté pour le genre de cadeaux.

-Hum, je sais que les jouets c'est un non, pour les articles de beauté, j'ai surtout peur qu'ils finissent par les manger et je suis pas le genre à vouloir leur faire la toilette. Donc...ce sera des gâteries, je crois.

Tu sentis quelque chose bouger dans ton capuchon, comme si la bestiole avait compris ce qui l'attendait, même si elle savait qu'elle ne l'aurait pas avant le jour de Noël, évidemment. Après tout, ils allaient tous finir par le sentir dès que allais rentrer et ce serait la guerre pour les cacher hors de leur portée.

-Et toi, tu comptes acheter quoi pour les tiens?