NOAH S. ASTARAN & QUEEN NARCISSUS
-The spider's web-

Tic. Tac. Tic. Tac. Ce son. Interminable. Répétitif. La tête appuyée sur une roue immense qui tourne sans cesse, je scrute le plafond de la tour de l'horloge. Cet endroit devenu le sanctuaire de mes doutes les plus profonds. À travers une planche brisée du toit, je peux apercevoir quelques étoiles. Tic. Tac. Tic. Tac. Ma tête rebondit sur l'engrenage qui cherche à me jeter par terre par sa rotation lente. Mon dos s'acharne sur son dossier et résiste la force qui pousse vers la droite. J'aurais pu trouver coin plus confortable pour réfléchir, mais j'ai préféré cette roue spécifiquement. Histoire de faire partie du mécanisme bruyant qui active les aiguilles géantes de l'horloge de la tour. Depuis combien de temps suis-je posté là, à attendre un signe qui ne viendra pas? Des heures. Des nuits. Des semaines. J'en sais rien. Mon corps ne fait qu'un avec la tour. J'illumine dans la nuit. J'éclaire les passants de mon grand oeil puissant. Oeil et front tout à la fois. L'oeil qui voit, le front qui dicte le temps lui-même. Tic.Tac. Tic. Tac. Mon souffle s'est accordé à cette musique sans fin. Je ne ressens plus la fin, le froid ou la migraine qui m'assaille depuis des jours. Les bras autour des genoux, je tente d'oublier. Oublier. Oublier. Plus j'essaie de me convaincre d'oublier, plus je me laisse submerger par les souvenirs. Mes paupières se sont refermées d'elles-mêmes. J'ouvre les yeux, un peu déboussolé. Ai-je dormi un peu? Possible. Mes prunelles scrutent l'obscurité. Je discerne une paire de yeux qui m'observent avec grande intelligence. Maybelle. La Psykokwak me fixe, un pointe d'inquiétude perçant à peine à travers son regard. La seule femelle de mon équipe trottine vers moi, brandissant un objet dans sa patte palmée. Je crois d'abord qu'elle essaie de m'attaquer. Mais en tendant la main, je récupère ce qu'elle tenait. Une barre de chocolat. Je sens un bec qui s'enfonce dans mon bras. La petite créature jaune vif pousse mon bras vers mon visage. Je comprends son message. Je déchire l'emballage et déglutis avec difficulté. J'ignore si je réussirai à manger. Ma gorge, sèche, changera n'importe quoi en poussière. Une poussière de feu qui me brûlera l'estomac.

«Kwaaak...» fait Maybelle en me voyant hésiter.

Je soupire. Mes dents s'enfoncent dans le chocolat avec une lenteur calculée. Je réussis à avaler une bouchée. Puis deux. Puis une autre. La faim me revient petit à petit. À la fin, je suis affamé. Il n'en reste plus. J'ai perdu le rythme. Je n'arrive plus à me synchroniser avec le tic tac de la tour. Mon Pokémon m'a ramené à la réalité. La dure réalité. La migraine me reprend. J'enfonce les doigts dans mes tempes. Je dois sortir de cet endroit. Et vite. Je récupère mon sac et rappelle Maybelle à sa balle. Sans protester, elle y revient. TIC. TAC. TIC. TAC. Tout ce son m'agresse. Je le fuis en dévalant les marches quatre à quatre. Je me glisse par l'ouverture secrète et me jette au dehors. Aussitôt, une brise me fait frissonner. Je revêts mon manteau. L'air frais s'engouffre trop rapidement dans mes poumons, qui me chatouillent tout à coup. Je me mets à tousser comme un demeuré. J'ai la nausée et la faim qui me tenaille tout à la fois. Mais le pire, c'est cette douleur lancinante à la tête. Comme une graine meurtrière qui pousserait dans ma boîte crânienne. Je marche rapidement en direction des rues. Je dois rejoindre ma chambre, au plus vite. Mes doutes me suivent au pas. Je les ai bien dressés.

La tête enfoncée dans mon manteau, je me dirige à travers les ruelles délabrées non loin du campus. Si je me presse, je serai de retour dans les dortoirs des Narcissus d'ici une demi-heure. J'ai l'impression malsaine que les maisons et les bâtiments m'observent. Où est passé ce Noah d'autrefois? Celui qui n'avait peur de rien? À présent, chaque décision me pèse. Ma colonne menace de s'écrouler. Je suis tiré dans l'abysse de mes doutes et chaque jour, le poids à ma cheville s’alourdit. Je suffoque. J'ai beau agiter les bras, j'ai du mal à remonter à la surface. Je suis mal. Mal. Mal. Mal. Je n'ai jamais été aussi mal avec moi-même. Je relève soudainement la tête car l'odeur d'une cigarette attire mon attention. Au loin, j'aperçois une fille, appuyée nonchalamment sur elle-même, en train de tirer sur sa cigarette avec aussi peu de classe que l'on peut avoir. Je la reconnais d'un seul coup d'oeil. Mary Cohen. La reine des Narcissus. Je m'approche, comme un moustique à la lumière. Je ne suis qu'une proie dans son jeu. Mary la chasseresse. Mary la putain. Si je continue ainsi, je finirai dans ses filets. Je n'ai jamais eu peur du danger. Même si elle ne fera qu'une bouchée de moi, je m'approche. Nous nous connaissons peu. Seul les cours nous assemblent dans la vie de tous les jours. Mais la nuit, ainsi, je ne peux m'empêcher d'aller vers elle.

«Salut Mary, ça te dérange si je me joins à toi?»

Je suis cuit. Sans attendre sa réponse, je sors un vieux paquet de cigarette de mon sac. Je n'ai pas fumé depuis des mois. J'en ai besoin ce soir.

NOAH S. ASTARAN & QUEEN NARCISSUS
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À quand la dernière fois que j'ai fumé? Depuis mon arrivée à Alcea, ou peu après. Je l'ai fait pour ma santé, puisqu'elle me tient vivement à coeur. Je ne pouvais pas continuer à m'entraîner avec autant de passion tout en m'administrant des doses quotidiennes de poison qui pourrissaient les poumons. Mais Mary, elle pervertit. Je sais d'ores et déjà que je regretterai demain matin, lorsque je me rendrai à la salle de gym pour pousser de la fonte. Pourtant, maintenant, je dégustais avec délice ce bâton. La fumée s'engouffre jusqu'au plus profond de moi. Chaque muscle se détend. Je ne devrais pas baisser ma garde parce que, devant moi, la tigresse attendait son heure. Son regard, sa posture... Tout indiquait son plan. Elle me voulait. Elle me voulait souffrant. Elle me voulait l'esclave de ses désirs, l'esclave de ma propre peine. Mary, la goule, celle qui se nourrit des rêves et de la joie des autres. Elle est tombée mal. Je n'ai plus rien à donner ce soir. Pourtant, ses petites griffes fouillent chaque recoin et déjà, elle s'avance vers moi. Un être de plaisir. De passion. D'abandon. De perversion. Le Diable en personne. Je m'attends à chaque inspiration à ce que son corps se couvre d'écailles ou que des crocs lui poussent. J'ai passé trop de temps dans la tour. Mon cerveau ne fonctionne plus correctement. Je n'ai même pas remarqué que Nuki est sorti de sa Poké Ball et qu'il m'observe à présent avec de grands yeux inquiets. Il doit sûrement trouver étrange de me voir la cigarette au bec. Ses petites prunelles rougeâtres s'attardent sur la blonde provocatrice. Il me jette un regard désapprobateur. Je l'ignore. Peut-être ai-je besoin de me faire écorcher vif ce soir. M'abandonner dans les bras parfumés de Mary Cohen.

Le problème avec ce genre de femmes... Elles portent le symbole d'une créature ancestrale et dangereuse: la veuve noire. Cette femelle de cette araignée tue et se nourrit du corps de son partenaire après les ébats amoureux caractéristiques à la reproduction de l'espèce. Vous pouvez donc imaginer ma nervosité lorsque Mary pose sa main sur mon torse. Un frisson me parcoure tout en entier, entre le dégoût et le désir, entre l'amour et la haine. Ce contact m'irrite tellement que j'ai envie de la repousser, de la jeter dans la rue et de la laisser crever là. Elle ne me veut que du mal. Je le sens. Et pourtant, il me détend. Quelque chose se met à ronronner en moi. Mes hormones se mettent à s'agiter. Son odeur glisse jusqu'à mes narines, me faisant tiquer. Elle me souffle une volute de fumée en plein visage. Oh la ... Elle me cherche. Et elle me trouve. Ses tentacules se referment sur moi. Je suis pris au piège. Ses mains s'emparent de mes cheveux, sa bouche vulgaire frôle ma gorge. Elle pourrait aussi bien mordre. Je suis transi. Je suis à elle. L'araignée termine de me ligoter dans sa toile. Et bientôt, le repas sera servi. Pourquoi n'ai-je pas tenté de lutter? N'ai-je donc aucune fierté? Me laisser faire ainsi? Elle qui me crache de nouveau son venin dans la figure, en s'attaquant à Nuki. Mon frère. Mon allié. Celui qui m'aide à tenir le coup. D'un geste hypnotique, ma main se referme sur sa Poké Ball. D'un doigt incertain, j'actionne le bouton-pressoir et un éclair rouge aveuglant emporte le Coupenotte. Mon coeur se serre. Je réalise ce que je viens de faire. Signer mon arrêt de mort. J'ai accepté le contrat non verbal que me lançait la jeune Narcissus. Je lui appartiens.

J'avale avec difficulté. Je la repousse, un peu brusquement, et l'observe sévèrement.

«Toi, tu ne partages pas ton air Mary. Tu aspires celui des autres.»

J'aurai au moins tenté de me défendre. Maintenant, je le presse contre moi et laisse mon nez s'égarer dans sa chevelure. J'ai envie d'elle. J'ai envie d'elle et cette pensée me rend malade et fou.

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J'ai envie d'elle. Contre moi. L'odeur de ses cheveux. Entêtante. Sa peau. Satinée. La féminité à l'état pur dans sa version la plus irrésistible. Quand on à rien à perdre, comment ne pas se laisser tenter? Même lorsqu'on sait que les conséquences seront désastreuses. Je crois mon coeur protégé, mais mon coeur est particulièrement sensible depuis Jade Collins. Cette Spiraea qui a brisé mon coeur en miettes. Vulnérable, certes, entêté, j'ai la haine. J'ai envie de la prendre et de la détester. Elle n'attend que cela. Mais je ne peux m'empêcher d'en ressentir un remords diffus. La femme. Une fleur délicate que l'on se doit de préserver du mieux que l'on peut. Ma mère m'a élevée ainsi. Pourtant, au contact de Mary, cette idée perd tout son sens. J'ai plutôt l'impression que c'est elle qui mène le bal vers la perversion ici, et que, dans peu de temps, je servirai de repas de choix à sa majesté. Ne sommes-nous pas deux jeunes adultes consentants? Qu'est-ce qui me retiendraient, ne serait-ce de ce qui me reste de dignité. J'accepte sans ciller la réponse de la Narcissus à ma réponse acerbe. Des paroles aussi directes semblent d'abord l'ébranler un peu, mais elle accepte ma pointe. Comme elle est belle. Comme elle me tente. Merde, si j'avais un peu plus d'emprise sur moi-même, je ne serais pas ici, entre les pattes de veuve noire. Je tire nerveusement sur ma cigarette. Mon nez aurait du s'abstenir cette exploration de sa chevelure. Son odeur, je ne l'oublierai jamais.

Je jette ma clope un peu plus loin et l'écrase d'un pied distrait. Elle revient à la charge. Son corps chaud se blottit contre le mien. Quel plaisir. J'avais peut-être besoin d'un peu de chaleur ce soir. Pour mieux oublier les problèmes. C'est si doux, si bon... Je vais tellement en pâtir. Je devrais fuir, pour m'éviter des souffrances, mais je ne souhaite rien de tout cela. Peut-être ai-je vraiment besoin de toucher le font, une bonne fois pour toutes, pour mieux remonter la pente. Une chose est certaine, je ne me confirai pas à la Mary. Elle se fiche éperduement de ce que je peux ressentir. Je passe une main dans son dos, jusque dans le creux de ses reins. La diablesse a un corps de rêve, aucun doute là-dessus. Mon menton s'égare dans son cou, alors que mes lèvres frôlent sa douce peau. Elle joue avec moi, elle m'appelle. Mais elle me prévient dans un même temps.

«Je sais.» je râle d'une voix rauque.

Mes lèvres se referment sur son cou. Je remonte inexorablement vers ses lèvres. Ses lèvres qui sentent la cendre. Qui vont cerner ma mort. Je l'embrasse. Aussi bien accepter son destin puisqu'on doit souffir.