Un souffle léger et continu, tout à fait discret, s’éleva dans le dortoir des Menthae. Il ressemblait fort au bruit d’une respiration régulière, apaisée et sans aucun doute endormie. Ludyvine De Beaumont, notre jeune princesse de 14 ans, était complètement assoupie. Ce matin, c’était à son tour de dormir comme un Ronflex. Elle en avait bien besoin, il fallait l’avouer. La soirée d’hier avait été atrocement mouvementée pour la demoiselle. Et pas en bien, croyez-moi ! Elle refusait obstinément de s’en souvenir. Elle voulait à tout prix effacer de sa mémoire l’horrible nuit passée.

Naïvement, elle avait cru bon de penser que le lendemain serait un jour nouveau, différent et, qu’avec un peu de chance, toute cette histoire serait oubliée. Elle espérait sincèrement avoir simplement rêvé – enfin, cauchemarder, plutôt. Mais c’était sans doute peine perdue. Dès lors qu’elle se réveillerait, elle ressentirait la honte dévastatrice oppressant son ventre dans un tourbillon du malaise infernal d’hier. Ludyvine bougea légèrement dans son sommeil. Une nuit noire, un sommeil sans le moindre rêve. Peut-être ne le méritait-elle ? Etait-ce là une sorte de punition ? Mais elle n’avait rien fait de mal, au fond … ce n’était pas de sa faute.

L’image de l’ivrogne endormi dans la salle de spectacle s’imposa à elle, derrière ses yeux clos. La jeune fille s’agita alors, se tourna et se retourna dans son lit. Il ressemblait vraiment à un hideux Pokémon tout crasseux et pouilleux, ce monsieur. Si seulement elle avait pu être assise un peu plus loin … si seulement il avait eu la subtile idée de tourner la tête du côté du geek à lunettes, son voisin de gauche. Si seulement … mais la réalité était tout autre et bien sûr, elle ne lui plaisait pas le moins du monde. Ludyvine se mit à bouger dans son lit, se débattant d’un être invisible qu’elle seule avait la possibilité de côtoyer. Apparemment, elle voulait surtout s’en éloigner. Partir le plus loin possible. Le plus loin possible …

Toujours choqué par les événements d'hier, je partis vers le secrétariat dès que les premiers rayons du jour firent leur apparition. Aujourd'hui, je devais trouver l'identité de ce Cradopaud afin qu'il me rembourse. D'ailleurs maintenant que j'y pense, ils sont vraiment sans gène ces jeunes ! Ils vous vomissent dessus et ne viennent même pas pour vous rembourser. Comme si les billets poussaient sur les arbres. J'aurai aimé qu'elle vienne d'elle-même me voir pour me donner mon dû mais il n'en était rien. Bah ! À la limite ça ne changera pas grand chose au fait que j'allais tôt ou tard récupérer mon argent. Comme dis précédemment, je me dirigeais vers le secrétariat. Une fois arrivé, je me mis au travail ! Si je résumais bien, il me fallait trouver une gamine dont le signalement était le suivant : Yeux bleus clairs, cheveux blond relativement long, visage d'ange, type caucasien, âgée d'une quinzaine d'années tout au plus. Vous vous doutez bien que des gens répondant à ce signalement, il n'y en avait pas trente six...Il y en avait trente cinq. Cependant en prenant leur dossier et en regardant leur visage de plus près, je trouvai enfin celle que je cherchais. Une certaine Ludyvine de Beaumont. Avec un nom pareil, elle avait intérêt à avoir des thunes ! Non parce que je ne sais pas vous mais chez moi quelqu'un qui a un nom de famille à particule est tout de suite représenté dans mon esprit par un homme – ou une femme – issu de haute famille aisée. Soit dit en passant, la robe que la blondinette portait hier montrait bien son appartenance sociale à une classe élevée. Pour sûr j'étais tombé sur la bonne personne ! Rendons-nous chez elle, tient. Rendons-nous chez Vominator comme je m'amusais déjà à l'appeler. Quoi ? Comment ça il n'est que sept heure trente du matin ? Vous croyez vraiment que j'allais attendre ? On parlait de monnaie là ! Je ne devais sous aucun prétexte perdre du temps. Car dieu sait que le temps c'est de l'argent et que l'argent c'est important, très important. Notant sur un bout de papier le numéro de chambre de la gamine, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire en voyant la maison à laquelle elle appartenait. Effectivement le magnifique sigle des Menthae était tamponner sur sa fiche d'hébergement. Par ailleurs au vu de la fiche, elle n'était ici que depuis peu. Comme quoi les gens prennent vite leurs aises ici. Qui plus est que ce soit quelqu'un de ma propre maison qui me gerbe dessus... Ah ah, c'en était drôle. Du moins ça l'aurait été si jamais je n'avais pas perdu mes mocassins, ma chemise, ma veste et mes chaussettes dans l'histoire. Sans oublier le savon ! Ah ! Je ne devais pas l'oublier lui ! Elle devait me le rembourser tient ! Croyez-moi, je n'allais rien omettre de lui faire payer.

Après ce bref détour dans le bureau de Joyce, je me mis en route vers le dortoir des Menthae où la plupart des étudiants devaient dormir. Après tout, il n'y avait pas cours aujourd'hui et il n'y avait aucune raison pour qu'ils soient réveillé de si bon matin. D'autant que la bibliothèque n'ouvrait pas avant huit heure. De fait, même les plus gros rats de l'établissement devaient encore être dans leur chambre. Espérons que ce soit le cas de cette chère miss au cheveux lisse ! Il serait en effet dommage d'utiliser le mégaphone de l'école pour passer une annonce du type : « Ludyvine de Beaumont alias Vominator est attendue par Eric Leak pour lui rembourser ses fringues. » Quoique au fond ça aurait pu être drôle...Enfin pour moi, pour elle en revanche, rien était moins sûr. Arrivé devant la chambre de mademoiselle de Beaumont, je toquai plusieurs fois. Il faut dire que j'étais assez impatient. Comme pour justifier cela, je m'exclamai de la sorte :

« Vomina euh, je veux dire Ludyvine, ma chère enfant. Ouvres la porte je t'en prie. »

Je sais pas vous mais moi j'ai l'impression d'assister à un remake d'un dessin-animé où une gamine se fait bouffer par un loup. Dans le rôle du loup, votre cher professeur préféré, Eric Leak et dans la peau de la jeune fille qui allait se faire manger, cette gamine à la chevelure dorée. Enfin bon...Tâchons de ne pas être trop violent avec elle tout de même. Elle n'était là que depuis peu et je ne souhaitais pas forcément qu'elle ait une mauvaise image de moi. Quoi ? Pourquoi dites-vous que c'est trop tard ? Qu'avais-je bien pu faire à son insu déjà ? …