Il y a des oiseaux qui volent dans le Ciel. Il fait froid pourtant. Et les élèves dansent sur ce vent d’hiver, glacial, sur une mélodie d’une brise d’ailleurs. Rêveries.

Lucresia tremble un peu. Les jardins nippons ne sont pas très beaux à contempler en cette paisible saison, mais ce n’est qu’un détail qui n’a pas empêché la jeune fille d’aller y faire un tour. C’est que malgré les températures basses qu’elle a du mal à supporter, le lieu est trop plein de symboliques pour elle, et lorsque le sourire ne se lit plus sur son visage, se promener parmi ces plantes est une douce consolation.
Un pas, deux pas, Lucresia s’imagine aux côtés de Jay, main dans la main, pour une petite balade dans un coin discret du jardin, à l’abri des regards. Le souvenir semble bien lointain. Le cœur est lourd. Alors elle se promène, nostalgique, à la recherche de ces moments de bonheur perdus. Comment a-t-elle pu en arriver à là ? L’adolescente soupire. Se pince les joues. Depuis quand est-elle aussi niaise ? Ce n’est pas qu’elle regrette d’avoir connu cet homme, mais.. Mais parfois, elle ne sait pas trop. Il y a les cours, la distance (car oui, il faut quand même prendre le train sur l’eau pour aller le voir), ces filles autour. Alice. Non, ne parlons pas d’Alice.

Soupir. Lucresia s'accoude sur la rambarde du petit pont de pierres qui donne sur le magnifique lac de nunéphares. Enfin, on ne peut pas vraiment parler d'un magnifique lac, mais plutôt d'une étendue glacée. Le regard perdu au loin, les pensées encombrées par des scènes romantiques à l'eau de rose, la pauvre sotte n'est plus vraiment elle-même. Elle s'est égarée dans son rêve. La roue continue de tourner, mais elle est en retard. La roue va bientôt s'arrêter si elle ne se réveille pas.
Soupir. Que de pensées absurdes. Il est bientôt temps pour elle d'aller voir un psychologue des âmes endommagées. Alors pour chasser cette folie qui occupe son esprit, Lucresia pose sa main sur une Pokéball, et en délivre la créature : Lokhlass. Un magnifique cri se laisse entendre tandis que le Pokémon glisse avec joie sur la glace. Cela provoque un sourire sincère sur le visage d'amertume de la jeune McQueen.

« Toi au moins, tu ne m'abandonneras pas. »

Lokhlass entame une petite danse artistique avec grâce sur cette patinoire de saison. Le Pokémon semble heureux, c'est tout naturel puisqu'il est après tout un Pokémon glace. Et le sourire qui s'est dessiné sur le visage de Lucresia ne semble pas s'estomper. Les feuilles qui tombent des arbres, les rayons du soleil qui caressent son visage, le ciel qui s'étend à l'infini, ou l'épanouissement d'un Pokémon dans la nature ; ce sont ces petits bonheurs du quotidien qui permettent à la jeune fille de tenir bon, face au froid, face aux petits soucis qu'elle rencontre. C'est vrai, sous cet air innocent, ce visage d'enfant et ce sourire insouciant, Lucresia semble n'être qu'une petite fille qui pleure le premier problème arrivé. Pourtant, son caractère fort l'a sauvée plus d'une fois, et elle a appris à se contenter de ces détails qui ne veulent pas dire grand chose pour les autres, mais qui la laissent toute joyeuse. Peut-être parce qu'elle a grandi dans une famille pauvre, sans la présence et l'amour maternel.

Lucresia ferme les yeux ; la symphonie que joue la nature est un pur délice pour ses oreilles. Il est rare pour elle d'être aussi posée et calme, cela ne lui ressemble pas. Mais les yeux clos, elle a l'impression d'être en harmonie avec le paysage. Elle a même l'impression de sentir les présences autour. Oui, Jay lui manque tellement qu'elle a l'impression qu'il n'est qu'à quelques mètres, ses pas discrets, son aura bienveillante. Ses doigts qui l'effleurent. Sa voix tendre et chaleureuse. Tout cela est bien plus qu'une impression.

« Salut »

Lucresia cache son soupir. Son cœur fait des bonds ; elle ne sait pas si elle ressent de l'appréhension ou de la joie. Peut-être des deux. Elle ne sait pas quoi faire, si elle agit de manière trop hésitante, Jay risquerait de s'énerver et de penser qu'il y a encore des secrets cachés dans son regard vide. Mais la jeune fille a toujours été très franche, et elle ne peut le dissimuler : elle se sent perdue.

« Jay... Salut. »

L'adolescente semble être en accord avec la température : froide. Mais ce n'est pas le cas. Sa maladresse l'empêche de l'accueillir comme elle le souhaiterait. Un accueil chaleureux. Un accueil amusant, original. Tout, mais pas un simple « salut ». Alors elle se mord la lèvre, elle regrette déjà. Mais cela ne change rien à ses sentiments. Jay, elle l'aime plus que tout. Elle le sait. Il le sait. Et ce, malgré tous les doutes qui occupent leurs pensées à tous les deux. Alors tant pis s'ils se disputent encore. Tant pis.

« Tu sembles fatigué... Tu as bien mangé ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Il ne faut pas que tu attrapes froid. » , dit-elle sur un ton neutre, tout en posant ses mains affectueusement sur celles de son ami, amant, amour, appelez le comme vous le souhaitez.

Ces conversations d'hiver... qui cachent bien des peines.

Lucresia frissonne un peu. Elle n'a pas besoin de voir Jay en face pour comprendre que ses paroles ne lui font pas plaisir. Elle le connaît trop bien, elle sait que celui-ci va même se sentir blessé de son comportement si elle ne se rattrape pas. Mais que faire ? Les aiguilles tournent, les horloges courent, mais il n'y a que le silence qui relie les deux amoureux. Il faut le briser.

« Non... Je n'ai pas froid... » disait-elle, pourtant toute grelottante. Ce n'était pas réellement le cas, ses oreilles qui viraient au rouge, son visage congelé au touché, ses jambes raidies par le froid. Mais ce n'était pas non plus un mensonge. Elle ne ressentait plus le froid par rapport à la douleur qu'elle éprouvait de leur éloignement. « Enfin, c'est ce que j'aimerais te dire. Je vais bientôt devenir blanche comme un mouton. Bêêêh. »

Tout en imitant le cri de l'animal, elle se retourna pour plonger son regard dans celui de son camarade. De grands yeux, presque inexpressifs, elle ne souriait pas. Elle avait une part d'innocence, de légèreté dans son expression, mais aussi d'indifférence. Il était dur de lire ce qu'elle pensait. Elle essayait de détendre l'atmosphère, de montrer qu'elle était toujours la même, mais le petit rire cristallin qui accompagne ses phrases sans tête ni queue n'y était pas. Non, rien n'était à sa place aujourd'hui. Pas même Alice.
Oui, car elle n’eut pas le temps de répondre à l’interrogatoire de son petit ami. « La sœur » comme elle la surnommait venait de faire son entrée en scène.

Une Alice sauvage apparait.
Si Jay n’était pas là, elle aurait lancé une Pokéball sur la jeune brune. De toute ses forces, qu’elle rebondisse bien sur sa tête. Et cela résonnerait car il n’y a rien dans cette tête, ou peut-être un petit pois. Cette idée lui remonta un peu le moral.
Pourtant, pour une fois, elle lui était presque reconnaissante, car elle échappait aux questions de Jay. Lui répondre aurait peut-être aggravé la situation. La présence de la Marshall cadette ferait une bien belle excuse pour fuir, encore et encore plus loin.

« Ah Alice. » essayait-elle de prononcer sur un ton le plus neutre possible, tout en se forçant un espèce de sourire crispé. « Jamais l’un sans l’autre après tout. »

Et voilà la remarque qu’elle ne put s’empêcher et qu’elle aurait dû éviter. Sa phrase sonnait presque comme un reproche. En fait, c’en était un. C’était un sujet sensible qu’elle n’aimait pas mentionner. Surtout pas en présence de la concernée. Mais maintenant que tous les protagonistes sont présents, le spectacle peut commencer.

Une brise caressait les cheveux de la jeune fille. Son cœur se serrait. Souffrait. Tellement. Elle souriait, car voilà la seule chose qui lui restait : son sourire, doux et innocent, son sourire qui contenait toute sa jalousie, sa tristesse, ses émotions douloureuses. Elle ne pouvait pas montrer à Jay qu’elle n’allait pas bien. Jamais, elle s’en voudrait bien trop de le voir inquiet. Et elle s’en voudrait encore plus si celui-ci comprenait qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Alice.

Alors tandis que Jay se dirigeait vers sa sœur, elle recula naturellement, comme par réflexe. Pour laisser la famille fêter leurs retrouvailles. Ah. Voilà, elle était mise de côté maintenant. Et des idées peu matures fleurissaient en Lucresia. Des idées telles « Voilà, il préfère Alice, je ne suis rien en fait, je ferais mieux de partir. Un simple ‘Salut’ froid et terne pour moi, un ‘Aliceee ! ‘ enjoué pour l’autre. »
Et soudain, le Lokhlass qui se promenait jusqu’ici calmement sur le lac gelé se jeta brusquement sur Alice. La seconde d’après, le Pokémon lança une attaque « Pistolet à O » sur sa proie. Fier de cette action offensive, la créature fit entendre son cri majestueux. C’est vrai, Lokhlass était tellement proche de sa maîtresse qu’il avait une légère tendance à agir de manière un peu trop protective envers celle-ci… qui laissa d’ailleurs entendre un cri strident sous la surprise. Partagée entre surprise, gêne et sentiment de victoire, Lucresia rappela alors son Pokémon à l’ordre. Elle le caressa légèrement la tête comme elle le faisait toujours pour le féliciter, mais son ton était autre : elle n’avait pas le choix.

« Lokhlass enfin ! Que fais-tu ! Tu ne dois pas attaquer mes amis, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as faim ? Tu es jaloux que je parle à d’autres personnes pendant ta promenade ? »

Puis, hésitante, elle sortit un mouchoir de sa poche qu’elle tendit vers la jeune victime ; son cœur battait fort, mais cette fois-ci non à cause de la douleur, mais plutôt à cause de toute l’excitation autour de ce « facheux » événement. Il y avait une justice dans ce monde après tout.
« Jaaaaay, tu veux bien m’aider ? Alice va attraper froid si on la laisse ainsi, ce serait regrettable ? »
Et d’ailleurs, l’adolescente très têtue ne s’était pas excusée. Pourquoi devrait-elle ?