Sa paresse aura pris le dessus, ce jour-là. Ses jambes, son sac déformé par les affaires de cours ainsi que sa nuit blanche précédente, ne lui permirent pas de rentrer au domaine des Narcissus lors de sa pause-déjeuner, comme à son habitude. Les plats préparés dans sa chambre étaient tellement plus raffinés que la nourriture industrielle servie en série dans cette cantine bondée de monde. Et pourtant... elle était là, au milieu de la file, à attendre, plateau à la main, d'être servie. Comme le peuple. Immersion chez les prolétaires. C'était amusant, tout compte fait. Ses yeux sillonnaient la salle puis observaient les traditions de ces autochtones d'un autre monde. Aucune des quelques personnes qu'elle appréciait dans cette école ne se trouvait là, quel dommage. Elle irait donc se placer à une table de deux collée à l'une des baies vitrées, seule. L'une des tables privilégiées, surélevée et dôtée de chaises hautes de bar. Joli panorama de la classe moyenne.

Plateau entre ses mains, elle se dirigea vers la place convoîtée avant de s'y attabler, son insigne de préfet scintillant à la lumière du jour. Occupée à se saisir de ses couverts afin de commencer son repas, elle ne se rendit pas compte de la présence qui s'approchait de plus en plus de sa position. Elle ne releva les yeux que lorsque l'individu s'installa, face à elle, sans préavis. Elle le reconnut sans mal. Nouvel élève de sa maison, les documents à son propos avaient très vite circulés jusqu'entre ses doigts, étant donné qu'elle était à présent la représentante de ce jeune homme. Cependant, la manière délibérée dont il s'invita à sa table la dérangea quelque peu ; mais elle n'en dit rien, se contentant de le fixer d'un oeil sondeur et inexpressif, tandis que lui ouvrit la conversation d'un sourire narquois. Narcissus, après tout. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir.

« Si Miss Elisabeth, Préfet de Narcissus me permet de s'asseoir en sa compagnie, ce serait cool. »

La demoiselle en question hocha la tête silencieusement, avant de reprendre sa consommation, silencieuse. Elle ne le regardait pas, demeurant digne et posée. Le jeune homme aux pupilles rouges continua, relâchant un baillement détendu. Elle n'y fit pas attention.

« Bwaaah... S'cuse, appelle moi Kimi ou Kim' c'comme tu veux, chuis newbie chez les Narcissus, et on m'a dit qu'en tant que, si j'avais b'soin d'info ou autre je pouvais venir te voir. »

La jeune femme releva ses yeux céladons vers lui, tandis que celui-ci s'était mis à manger. Portant une bouchée à ses lèvres, elle prit le temps de l'engloutir avant d'afficher un sourire poli.

« Oui, je sais qui tu es. Affirma-t-elle d'un ton clair et courtois, conservant son masque de préfet interactif, serviable et calme. »

Ses jambes se croisèrent alors sur son tabouret, adoptant une attitude un peu plus détendue. Elle ne s'était pas attendue à ce que quelqu'un la rejoigne pour son repas. Elle n'allait pas s'en plaindre, un peu de compagnie ne lui faisait pas grand mal. Mais les quelques regards curieux qu'elle perçut dans le réfectoire ne lui plaisaient guère. Etait-elle vraiment cataloguée telle un glaçon vivant, à ce point-ci ? Ses pensées se perdirent puis se firent plus floues, revenant au sujet initial, faisant finalement fi du regard des autres. Elle le savait, qu'elle les impressionnait, de toutes les façons. So what ?

« Un problème particulier dont tu voudrais me parler ? Ou de simples questions à éclaircir ? ... L'interrogeait-elle, plissant légèrement ses yeux. T'a-t-on déjà fait faire le tour de l'école, d'ailleurs ? »

Elle s'en tenait aux conventions, pour le moment.

Cette nourriture bon marché passait de moins en moins bien jusqu'à son estomac. Le goût était fade, la texture farineuse, la sauce trop liquide, des zones maintenant trop froides ... Expérience enrichissante, certes ! Mais à ne pas reproduire, à l'avenir. Ou avec un plat préalablement cuisiné, dans ce cas. Elle ne laissait rien transparaitre de son malaise vis-à-vis de son assiette, continuant de manger néanmoins à un rythme plus lent, mais n'oubliant pas son camarade, essayant de sonder la façon d'être de cette nouvelle personne tout en l'écoutant parler. L'analyse ne faisait que commencer.

Il observait la large vue que pouvait leur offrir cette baie vitrée sur une grande partie de l'académie. Lui répondant d'un air quelque peu détaché.

« Hmm disons que mes connaissances des lieux se limitent au minimum syndical. Je suppose qu'il y a des choses que je dois savoir. Pis niveau campus, bah ça s'résume à la même chose. En clair, quasiment rien, so j'suis pas contre un p'tit tour du propriétaire. »

A ces mots-ci, Elisabeth engloutit une dernière bouchée avant de poser ses couverts sur la table, laissant la moitié de son plat survivre. Décidément, elle dormirait bien, le soir venu. Elle avait un peu faim, tout de même. Mais cette chose lui coupait l'appétit, tant elle la trouvait infecte. Cependant, aucune grimace ne put démontrer le dégoût qu'elle éprouvait à l'égard de son repas de midi. Elle but une gorgée de son eau puis se détendit sur sa chaise, portant ses yeux inquisiteurs sur ce dénommé Kimi, prenant plus de temps pour détailler le garçon.

« Je vois. On va s'en charger le plus vite possible, afin d'éviter toute contrainte. »

La nette envie de s'en griller une lui vint alors, ce auquel elle retint un soupir d'exaspération ; les lieux étaient non-fumeurs, évidemment. A quand l'installation d'une terrasse afin d'assouvir ses désirs d'intoxiquée. Bien qu'elle ne fut pas prête de revenir en ces lieux, soumettre une telle proposition lors d'un conseil pourrait s'avérer utile, pour toutes les personnes dans le même cas qu'elle. Elle s'accouda à la table, posant son visage dans ses mains. Fixant le nouvel élève, inexpressive.

« J'ai cours, cet après-midi. Donc tu me rejoindras ce soir à l'entrée du domaine des Narcissus. Disons vers ... Vingt heures. »

Oui. Elle n'en finirait définitivement pas, avec cette journée. L'impassibilité dont elle faisait preuve ici témoignait de sa contrariété, suite à ces 30 petites heures où elle demeura éveillée, constamment. Pour aller en cours, pour bosser, pour réviser. Une petite tasse de café avant de prendre congé s'imposerait.