J'ignore encore ce qu'il s'est passé ce matin-là, pour lui. J'ignore encore si j'avais eu raison de tout abandonner pour tout reprendre à zéro, de me taire pendant un an, et finalement de t'avoir, toi à mes côtés. Lorsque je te regarde, je ressens une sorte de bien-être m'envahissant, et me permettant de respirer un air meilleur. Ce matin, dans mes bras, Mana dormait paisiblement. Je n'avais pas encore assez bien fait connaissance avec Destiny. Mais nous allions voir cela après. En attendant, je m'étais surprise à regarder ma petite Tarsal dormir paisiblement, envahie par de jolis rêves. Et l'évidence me vint à l'esprit. Il fallait que j'aille au temple. Ce matin. Pour ne jamais oublier celui qui n'était plus, et qui cependant occuperait toujours une place principale, primordiale, dans mon coeur.Je me levais, donc. Difficilement. La nuit avait été courte. J'avais potassé mes premiers cours jusqu'à environ deux heures du matin. Puis j'avais joué avec Destiny, jusqu'à quatre heures, avant de finalement m'endormir, pour mieux me réveiller à... Six heures du matin. Oui. Très courte, la nuit, décidément. Il allait falloir tenir le coup toute la journée, mais ça, je n'y étais pas du tout préparée. C'est avec un épuisement certain que j'enfilais ma robe noire, mes mitaines à dentelle, me maquillais à la va-vite et enfilais mes lentilles de contact d'un rouge sanglant. Oui, j'adorais porter ces lentilles. En fait, je les portais tous les jours. Pour chaque dresseur que j'avais croisé, j'étais une fille aux yeux rouges. Et j'en étais assez fière.

Sans même prendre de petit déjeuner, je réveillais ma Tarsal, et attrapais la poké-ball contenant Destiny. Mana détestait être enfermée dans sa poké-ball. Cela lui rappelait beaucoup trop de souvenirs douloureux avec son ancien dresseur, et je la comprenais. Alors je la laissais gambader à mes côtés, à condition qu'elle se tienne tranquille et ne me fasse pas honte en gigotant dans tous les sens. Mais à ce niveau-là, je n'avais rien à craindre de la part de mon pokémon. Tarsal était aussi froide et distante que moi, et ne regardait jamais un autre dresseur ou un autre pokémon de trop près. Elle marchait à mon pas, à côté de moi, ne me demandait jamais de lui donner la main, ne se plaignait jamais de fatigue. Elle et moi étions pareilles. Et nos masques se brisaient dès l'instant où nous étions seules, toutes les deux. Je ne souffrais plus de la douleur de perdre un ami, et elle, un dresseur. Nous étions bien, toutes les deux. Nos pertes se complétaient. Et ce matin-là, Mana avait parfaitement compris ce que je m'apprêtais à faire. Et où nous allions. Alors dignement, elle emboita mon pas. Elle marcha à mes côtés, durant le trajet de ma chambre jusqu'au temple du pokévillage.

J'entrais, non sans une certaine appréhension. Mais il le fallait. Cela ferait six ans à présent, que j'avais perdu mon petit compagnon. Et j'allais lui rendre hommage dans un temple, comme je le faisais tous les ans. Tarsal attrapa ma main. Je ne la refusais pas. Ce genre de lieu était sans doute un peu difficile à supporter pour les pokémons de son type. Alors, je fis de mon mieux pour la rassurer. Je m'assis à genoux, et allumais calmement une chandelle. De mon cou, je retirais un pendentif fabriqué par mes soins, représentant un petit pokémon-oiseau bleu aux ailes élégamment nuageuses et gracieuses. J'attachais mon pendentif à la bougie à l'aide d'un cordon en cuir. Restais silencieuse quelques instants. Après six ans, ma blessure n'avait toujours pas été guérie. J'avais causé la mort d'un innocent. Et je m'en voulais énormément. C'était un pokémon que je n'avais appris à aimer qu'au moment de sa mort. Une larme coula sur ma joue. J'avais tellement détesté mon Tylton que je ne lui avais même pas donné de nom. J'étais une mauvaise dresseuse. Tarsal, en voyant mes larmes, se colla contre moi. Même Destiny sortit de sa pokéball pour m'enserrer gentiment. Voilà. Ma seule famille était là. Celle que je m'étais faite moi-même, et qui me suivrait jusqu'au bout du monde. Qui me consolerait toujours, lorsque tous les ans j'irais déposer au temple une bougie à la mémoire de mon Tylton qui avait été tué par ma faute. Qui sècherait mes larmes. Les seuls auxquels je parlerais sans peur et sans honte.

On ne choisit pas sa famille. Mais ses amis, oui.

Un bruit de pas m'indiqua que quelqu'un venait d'entrer au temple. Je ne relevais pas. Je ne voulais voir personne. Ou du moins, si quelqu'un désirait me parler, qu'il fasse le premier pas, car moi, je n'avais pas la force de parler en cet instant. Ma douleur était encore beaucoup trop sourde.