« REGARDE ETHAN, UN WAILMEEEER ! »

Dire que Skye était excitée aurait été un pléonasme. Parce que Skye était toujours excitée. Toujours. Du matin jusqu'au soir, sans interruption. Néanmoins, dans l'instant présent, quiconque la connaissant aurait pu affirmer qu'elle n'était pas dans son état normal. Et ce quiconque avait on ne peut plus raison : l'adolescente était heureuse, infiniment heureuse ; l'air enjoué qu'elle arborait en pointant fièrement du doigt la baleine ronde traduisait à merveille l'euphorie qui émanait de son esprit. Elle attendit le « Bêêêh. » très concerné du Wattouat installé sur son épaule pour se laisser retomber sur son siège, mitraillée par le regard assassin des autres passages du train. On ne pouvait que compatir à la détresse de ces pauvres gens : passer un trajet de presque cinq heures avec une folle furieuse qui ne faisait que brailler à ses côtés n'était sûrement pas l'alternative la plus agréable de ce qu'on pouvait nommer un voyage tranquille et paisible. Le calme retomba l'espace de quelques minutes, le temps que Skye ne se trouve une nouvelle occupation. Elle avait déjà fait le tour complet des devinettes Pokémon, et semblait se lasser de la contemplation du paysage.

Elle décida finalement de quitter son siège et de se diriger d'un pas chancelant vers l'arrière du train pour on ne sait quelle obscure raison. Ethan, surpris, bondit de son épaule et partit au trot derrière elle avec une démarche aussi assurée que sa dresseuse. Comme quoi, l'expression « tel maître, tel Pokémon » était fondée, ces deux-là en étaient les preuves. Le regard brun de la demoiselle léchait avidement les vitres du wagon, desquelles on pouvait dors et déjà apercevoir les petits îlots abritant l'Académie Alcea Rosea. Elle prit l'initiative de se stopper l'espace de quelques instants pour admirer la vue qui se présentait à elle ; Ethan ne remarqua pas le brusque arrêt de sa maîtresse, se cogna contre ses mollets et tomba pitoyablement au sol. Skye lâcha un hoquet de surprise et s'accroupit à la hauteur du petit mouton, qui lança alors un faux gémissement de douleur. Elle le prit délicatement dans ses bras, baragouina quelques excuses sans queue ni tête et, tout en le serrant contre sa poitrine, reprit sa marche tranquille vers le dernier wagon. Elle parvint à sa destination en moins de deux minutes et, après avoir jeté de rapides coups d’œil autour d'elle afin de s'assurer que la voie était libre, elle sauta littéralement sur la poignée de la porte arrière, l'abaissa d'un mouvement sec et se jeta sur la plateforme extérieur du wagon.

L'air frais et la douce odeur d'eau salé lui giflèrent littéralement le visage. Ce même visage qui, quelques secondes plus tard, affichait déjà un grand sourire ravi. L'adolescente lâcha le petit Pokémon qu'elle maintenait dans ses bras et se laissa tomber contre la barrière de sécurité, qu'elle saisit fermement pour finalement basculer légèrement vers l'avant. La vue qui s'étendait en face d'elle était ... magnifique. L'eau livide et transparente était baignée par les doux rayons du soleil, et on pouvait sans trop de mal apercevoir de nombreux Pokémon aquatiques en-dessous du train. Gamine oblige, Skye ne put contenir un cri de joie qui, de par son ampleur, fit sursauter le pauvre Wattouat qui gisait lamentablement près de la porte. Porte qui s'ouvrit un instant plus tard sur un homme vêtu de bleu qui, malgré l'air blasé inscrit sur son visage, informa tant bien que mal la demoiselle que le train arriverait à quai dans cinq minutes. Cette dernière se retourna, dévisagea l'inconnu et, après une réflexion qui sembla durer des heures, se glissa à l'intérieur du train, suivie de très près par son cher Pokémon électrique.

Les cinq minutes passèrent, et le train arriva à destination. L'adolescente, après avoir rassemblé ses affaires, se précipita à l'extérieur du wagon, sans prêter attention aux mines de soulagement affichés par certains passagers. Son regard se posa sur une large horloge murale accroche près de l'arrivée : il était déjà quatre heures. « Mince, 'suis en r'tard. » Elle se fraya un chemin à travers la foule et, une fois échappée de cette marée humaine, elle lança un regard circulaire à l'ensemble des lieux. Bon, son frère ne devrait pas être loin ... Ses yeux marrons se posèrent alors sur un garçon, de dos. Elle reconnut immédiatement cette tignasse ébène mal coiffée, ainsi que le sympathique Héricendre fièrement accrochée à cette dernière. Elle s'approcha à pas de loup de son jumeau, prête à lui bondir dessus dès que la distance idéale serait atteinte.

Mais c'était sans compter l'intervention d'Ethan le Wattouat qui, pris d'un élan de joie et de gaieté, s'élança devant sa dresseuse ... pour se stopper quelques mètres plus tard. Ce qui suivit s'enchaîna de manière logique et naturelle : Skye se prit bêtement les pieds dans son Pokémon, bascula en avant, battit des bras l'espace de quelques instants pour finalement s'étaler de tout son long ... au pied d'Ethan, premier du nom. Pour l'effet de surprise, c'était raté. La demoiselle roula alors sur le dos et se mit à fixer le visage étonné de son frère, au-dessus d'elle.

« E... Ethan ... »

Et elle explosa en sanglots sous le coup de l'émotion.

Si un mot avait pu décrire l'expression qu'arborait le visage de Skye, ce dernier aurait été « écureuil ». Oui, le monsieur qui dort au fond, tu as bien entendu : écureuil. Comme le petit animal tout roux tout doux qui vit dans les arbres et mange des noisettes. L'air abruti inscrit sur sa figure ainsi que ses yeux bouffis par des vestiges de larmes de joie lui offrait un vague air de ressemblance avec ce charmant rongeur, que le monde Pokémonesque avait réinterprété à travers le célèbre Pachirisu, sympathique animal connu pour son apparition dans le célèbre anime issu de cet univers. On pouvait donc affirmer, de fil en aiguille, que Skye avait une tête de Pachirisu. Ce qu'il fallait démontrer. BREF. Parenthèse mise à part, la demoiselle fixait maintenant son jumeau depuis deux bonnes minutes, air légèrement perdu flottant sur son visage. Oh, elle n'avait que trop bien compris l'enchaînement de phrases que le garçon venait de lâcher. Mais ses questions lui paraissent tellement absurdes qu'elle ne voyait aucun moyen de lui répondre. Mais vraiment, aucun. Il fallait bien avouer que le voyage avait un peu — beaucoup — réduit en cendres les quelques neurones dont était pourvu le cerveau de la jeune fille. Et puis, leur grand-mère l'avait prévenu de son arrivée, non ? ... Elle se contenta donc d'esquisser un sourire niais au possible, qui traduisait on ne peut mieux sa stupidité apparente.

« Et bien, disons que ... »

Elle fut coupée dans sa phrase par un petit coup donné au niveau de sa cheville. L'adolescente baissa les yeux, curieuse, et fut étonnée de voir qu'il s'agissait de Flandre, l'Héricendre d'Ethan — premier du nom, bien sûr. Elle délaissa totalement son jumeau et s'accroupit à la hauteur du Pokémon, tout en le fixant d'un air interrogateur. L'hérisson de feu lui donne un coup de museau affectueux avant de pointer avec ce même museau le sac à bandoulière suspendu à son épaule. Skye, sans voir où il voulait en venir, l'ouvrit, enfonça sa main à l'intérieur et le fouilla rapidement, sans trop savoir ce qu'elle recherchait. Elle en sortit finalement une feuille de papier un peu froissé qu'elle ne se souvenait pas avoir laisser traîner là. Elle la déplia soigneusement et lut mentalement le contenu du message.

« Skye,
Je me doute fortement que tu tomberas sur ce message bien après avoir retrouvé ton frère, mais si ce n'est pas le cas, je préfère te prévenir : Ethan n'est pas au courant de ton admission à Alcea Rosea. Je sais très bien que tu avais insisté pour que je le prévienne, mais j'ai préféré lui laisser le plaisir d'être surpris par ta venue.
Bon voyage ! — Grand Mère. »

... Oh, tout s'expliquait.

La jeune fille se releva d'une manière bien peu élégante et plongea son regard brun-cuivré dans les yeux noisettes de son frère. Elle bomba fièrement le torse tout en essayant d'adopter un air noble et sûre d'elle. Sauf que lorsqu'on est ni noble, ni sûr de soi, c'est assez compliqué.

« Ethan, j'ai l'humble honneur de t'annoncer que j'ai récemment été admise à Alcea Rosea. »

Sa voix enfantine trahissait un certain manque de sérieux. Ses paroles étaient tout, sauf convaincantes, et elle en était plus que consciente. Elle voyait déjà venir la réponse de son jumeau : il se contenterait de lui offrir un grand sourire, d'ébouriffer sa tignasse châtain et, après avoir retenu quelques éclats de rire, il lui aurait gentiment proposé d'aller discuter du bon vieux temps devant une glace chocolat/vanille. Ou comment perdre toute once de crédibilité en même pas une minute. A ses pieds, Ethan le Wattouat était tranquillement en train de renifler les restes de ce qui semblait être un pain à chocolat. Ah, c'est vrai : Ethan premier du nom en mangeait un, tout à l'heure. Il avait dû le laisser tomber par inadvertance. La vue de l’appétissante viennoiserie eut l'effet d'un flash dans l'esprit de Skye. Son regard se scotcha littéralement sur la petite pâtisserie, tandis qu'un filet de bave commençait déjà à couler à la commissure de ses lèvres. Un gargouillement de ventre. Suivi d'une légère douleur au niveau de l'estomac. Vous l'aurez sans doute compris : la jeune fille avait faim. Terriblement faim. Elle rapporta son attention sur son jumeau et le dévisagea avec une tête de Magicarpe frit. Lui seul connaissait déjà l'endroit : il était l'unique personne capable de la conduire à un lieu de restauration. Elle porta ses deux mains à son ventre et commença à mimer les effets d'une future agonie.

« Frérooooot ... J'ai faiiiiiiim ... »

Ou comment changer de sujet de conversation sans s'en rendre compte.

« Je connais un coin sympa où on pourrait aller grignoter un truc. C'est à quinze minutes de marche, à dix si on court... On y va ? »

Si la conscience de Skye avait pu s'exprimer librement à cet instant, elle aurait sûrement hurlé un tonitruant « PLUTÔT DEUX FOIS QU'UNE ! » avant d'embarquer la demoiselle dans une course folle et frénétique en direction du lieu de restauration tant convoité. Si. J'insiste sur le conditionnel, car la scène fictive citée ci-dessous ne pouvait être réalisable. Le principal bémol à toute cette histoire était que cette conscience logeait dans une enveloppe corporel peu réactive et avait pour humble voisin un esprit simple et un peu bêta. Si bien qu'au final, la seule réaction de la jeune fille fut de baisser légèrement la tête sur le côté, de sourire d'un air un peu abruti et d'enchaîner trois basculements horizontaux avec sa boîte crânienne, un bon vieux signe d’acquiescement qui bizarrement lui seyait à merveille. C'était bien loin de la réponse sérieuse et réfléchie qu'une personne normalement constituée aurait pu formuler. M'enfin, Skye n'était ni sérieuse, ni réfléchie ; le problème ne se posait même pas. Sans attendre quelconque réaction de la part de son jumeau, elle souleva et vint plaquer contre son torse son charmant mouton, toujours occupé à mâcher quelques bouchées du pain au chocolat d'Ethan premier du nom. Elle s'assura que son sac à bandoulière était confortablement calé sur son épaule, s'empara avec sa seule main libre de sa petite valise qui n'était pas là jusqu'à présent — la magie des RP, que voulez-vous — et rejoignit au trot son frère, qui s'était déjà aventuré sur le chemin menant au restaurant.

Un quart d'heure et quelques gamelles plus tard, les jumeaux étaient tranquillement attablés sur la terrasse baignée par le soleil du restaurant. Les jambes battant l'air, Skye sirotait paisiblement un milkshake à la framboise entre deux bouchées d'un succulent gâteau au chocolat — entier, qu'elle ne partageait pas le moins du monde avec son frère, bien entendu. Ethan le Wattouat, couché sur ses genoux, se délectait quant à lui des miettes que sa dresseuse laissait tomber par inadvertance, et se laissait lentement prendre au jeu de la contemplation du paysage. Il était vrai que le panorama qu'offrait la terrasse aurait fait baver les meilleurs restaurants côtiers d'Oliville : les clients avaient une vue imprenable sur la mer et pouvaient admirer à leur guise les aller-retours permanents des trains sur l'eau. Un paysage idyllique qui faisait bien des envieux, en somme. Le bruit désagréable d'une aspiration dans le vide vint alors titiller les oreilles de la demoiselle. Elle baissa son regard vers son verre de milkshake et constata, à son plus grand désespoir, que ce dernier était vide. Moment de réflexion. Reconnexion des neurones. Un, deux, trois ...

« Ethan, repaye moi un milkshaaaaaaake ... »

Elle avait profité de l'occasion pour s'affaler de tout son long sur la table, son verre vide tenu à bout de bras à quelques centimètres du visage d'Ethan — le type, pas le mouton. Ce dernier faisait pâle figure à côté de sa jumelle : il n'avait commandé qu'un simple jus de pamplemousse avec une gaufre nappée de chocolat. Rien à voir avec la quantité astronomique de nourriture qu'aurait pu commander Skye après cinq minutes passées dans ce restaurant, elle avait déjà ingurgité le trois-quart de son gâteau au chocolat et mit un terme à la vie d'un innocent milkshake. La différence de taille d'estomac était flagrante — quoique, la jeune fille n'avait pas d'estomac, mais un gouffre sans fond qui menait sûrement à une nouvelle galaxie. Elle fut donc ravie de voir arriver à sa table un nouveau milkshake rose, qu'elle liquida aussi rapidement que le dernier. Ventre sur pattes, dites-vous ? Mais non.

Une autre boisson — elle avait varié et choisi de la limonade, cette fois — et quatre galettes plus tard, la demoiselle arrêta sa chasse folle à la nourriture et se laissa tomber sur le dossier de sa chaise, repue. Certaines personnes auraient pu se demander comme une adolescente aussi "pocket" avait bien pu avaler autant de nourriture en si peu de temps ; mais c'était Skye, après tout. Et Skye ne nécessitait aucune explication à ce sujet. Les minutes continuèrent de passer. Doucement, sûrement. Au bout d'un petit quart d'heure à regarder la ciel, la jeune fille releva la tête et se mit à fixer son frère sans raison apparente. Elle ne lui dirait peut-être jamais, mais elle espérait sincèrement qu'ils puissent se faire des amis ici. Beaucoup d'amis. Et cela malgré la pointe de jalousie qui naquit dans son esprit à la pensée de cette idée. Possessive ? Bien trop à son goût. Après tout, Ethan était son frère. Son jumeau. Sa moitié. La prunelle de ses yeux. Et surtout son ravitailleur officiel. Que pouvait-elle bien faire sans lui ? ... Beaucoup de choses. Il n'y avait aucun doute sur le fait que la présence d'Ethan pendant son éducation avait été un facteur important sur son évolution. Mais peut-être que sa stupidité aurait été beaucoup plus aiguisée sans sa présence. On ne peut pas vraiment le savoir. Et je fonce dans le mur en abordant des sujets qui n'ont rien, mais alors rien à voir avec le RP.

D'un air laxiste, elle finit finalement par décoller son derrière de la chaise et, après quelques secondes d'hésitation, rassembla ses affaires, prête à partir pour sa première destination. Qui était ... en fait, elle n'en savait trop rien. Elle n'était jamais entrée dans une grande école comme celle-là, et n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle devait se rendre pour régler son inscription. Début des problèmes, bonjour !

« Dis, 'Than ... Tu sais où que j'dois aller pour finir mon inscriptiiiiiiiion ? »

Aviez-vous remarqué que Skye prenait toujours un malin plaisir à accentuer certaines syllabes dans le dernier mot de ses phrases ? Maintenant, vous le savez.

Il était presque ironique de remarquer à quel point la communication pouvait s'avérer simple entre jumeaux. Certains, issus de la même cellule-œuf, les vrais de vrai, avaient soi-disant la capacité hors-norme de pouvoir communiquer mentalement. Skye n'avait jamais cru qu'une telle chose pouvait arriver : c'est vrai, seuls les espers pouvaient faire une telle chose, n'est-ce pas ? Et non, ceci n'est pas du tout une référence à Haruhi Suzumiya. Non mais. Bref. Les autres, les faux, se voyaient dépourvus de ce don, mais conservaient néanmoins un système de communication peu banal qui leur permettait, entre autre, de se comprendre dans n'importe quelle situation — et cela avec n'importe quel langage. Et ce que je viens d'écrire ne veut rien dire, mais on s'en fout. C'est ainsi que l'explication d'Ethan, que le plus commun des mortels aurait qualifié de bancal, parut on ne peut plus clair pour la jeune fille, qui le remercia illico-presto en lui adressant un magnifique sourire plein de dents. Un jour, leur grand-mère avait qualifié le sourire de sa petite-fille comme un "remonteur de morale on ne peut plus efficace". Et lorsqu'on voyait ce petit bout de femme arborait une risette aussi honnête, on ne pouvait qu'approuver les paroles de la vieille femme.

« Ah et oui, qu'est-ce que tu as reçu, comme Pokémon ? »
« ... Neh ? »

Cette réponse constructive et on ne peut plus explicite aurait mérité un award. Voire même deux. Ou trois, soyons fous. Et comme pour amplifier tout ça, Skye ne put s'empêcher de buguer légèrement. Oui, buguer. Comme les humanoïdes. C'est ainsi qu'elle se retrouva plantée devant Ethan, le regard fixe, un petit sourire niais accroché aux lèvres. N'allez pas croire que, pendant son temps, son cerveau s'était mis en mode off. Au contraire : ses méninges travaillent à vive allure, tentant tant bien que mal d'analyser les données enregistrées. Recevoir, Pokémon ... Elle n'avait jamais entendu parler de ça. Peut-être avait-elle mal lu son dossier d'inscription ... Possible. Voire même très probable. Réinitialisation, restauration des données ...

« Parce qu'on r'çoit un Pokémon en v'nant ici ? MAIS FAUT QUE J'FONCE ALOOOORS ! »

Rigolez tant que vous voudrez, mais le fait que Skye ait réussi à sortir cette phrase était un petit miracle. Il faudrait penser à noter cet évènement quelque part. Bref. La demoiselle, surexcitée à l'idée de recevoir son tout nouveau compagnon, se leva d'un bond et prit Ethan le Wattouat sous son bras. Elle se contenta ensuite de demander d'une voix mielleuse à Ethan premier du nom de garder ses affaires et rajouta, plus bas, qu'elle essayerait d'être la plus rapide possible. Vous l'aurez peut-être compris : cette histoire de second starter avait donné la motivation nécessaire à la jeune fille pour finaliser sa foutue inscription. Après quelques mètres de marche, elle se stoppa, prit une grande inspiration et, tout en puisant son énergie d'on ne sait trop où, entama une course effrénée vers le bâtiment principal de l'Académie. Impossible de se perdre dans un tel complexe : des panneaux étaient repartis çà et là dans toute la structure, et permettaient entre autre aux élèves peu à l'aise avec l'orientation de s'y retrouver dans toute circonstance. Après cinq bonnes minutes de recherches intensives, l'adolescente trouva finalement le secrétariat et, sans plus attendre, pénétra à l'intérieur avec une démarche dansante et enjouée.

Il me semble qu'il ne soit pas nécessaire de vous expliquer ce que Skye dût faire pour venir à bout de cette épreuve. Ce serait blablater pour rien dire, comme je le fais en ce moment. Ce fut donc après une demi-heure de bataille administrative et une bonne dose de sang-froid en moins que la demoiselle ressortit fièrement du bâtiment, tenant toujours Ethan le Wattouat contre elle. Dans sa main libre : une Pokéball contenant son nouveau Pokémon. Nouveau Pokémon qu'elle adorait par-dessus tout. Il était, certes, peu commun et n'aurait sûrement pas remporté une concours de beauté. Mais la jeune fille l'aimait quand même, et l'avait déjà affublé du doux patronyme "Poséidon". Nom qui n'allait, bien entendu, pas du tout à ce Pokémon : mais Skye avait pour coutume de donner des noms étranges à ses Pokémon. Ethan le Wattouat en était la preuve vivante, bien qu'il se soit auto-nommé ainsi de son propre chef.

Elle revint sans trop d'encombres à la terrasse du restaurant, où patientait tranquillement Ethan — le garçon — : pour tuer le temps, ce dernier avait su se divertir en fabriquant un imposant château avec les assiettes usagées de sa sœur. Cette dernière s'approcha de la table, se planta fièrement devant son jumeau et tendit à bout de bras la Pokéball qu'elle venait d'acquérir, et cela en bombant non sans modestie le torse.

« Dis bonjour à Poséidooooooooon. ~ »

Joignant les gestes à la parole, elle lança fièrement la sphère bicolore en l'air et attendit les bras grands ouverts que la petite créature qu'elle contenait retombe. Un rayon rouge et un cri plus tard, la demoiselle tenait soigneusement son amphibien bleuté collé contre son poitrine, au détriment de son charmant mouton, qui se lova alors contre Ethan premier du nom. Skye, quant à elle, rayonnait. Elle eut alors la bonne idée de tendre son Axoloto flambant neuf à quelques centimètres du visage de son frère.

« Regarde comme il est bôôôôôôw ... »

Et cela accompagné d'un sourire éclatant. C'est qu'elle était fière de son nouveau compagnon, la Skye ...

Oh, si elle avait pu s'attendre à ça ... Le hurlement que poussa Ethan lorsque l'amphibien fut fièrement exhibé sous son nez manqua de causer la perte de l'Axoloto ; et pour cause, sous l'effet de la surprise, Skye avait failli relâcher la solide prise qu'elle avait sur lui. Etonnée, voire même choquée par le comportement de son jumeau, elle déposa délicatement Poséidon sur la table et s'accroupit près du garçon, un air anxieux masquant sa façade d'habitude si joyeuse. Elle n'avait, à son bon souvenir, jamais vu son frère dans une telle situation. Oh, elle se rappelait parfaitement l'avoir vu être tétanisé par telle ou telle chose, mais par un innocent Axoloto ... Son regard brun fit quelques allers-retours Ethan/Poséidon tandis que son cerveau surchauffait sur le coup de la réflexion — il n'y était pas habitué, le pauvre. Pourquoi avait-il eu une telle réaction en voyant le nouveau compagnon de sa sœur ? Si ce n'était pas de la peur, peut-être une crise de jalousie aiguë ? ... Non. On ne pouvait pas être jaloux d'un tel Pokémon. C'était donc bien la terreur qui avait déclenchée chez le garçon une crise d'hystérie pareille. Une phobie des Axoloto. Pourquoi pas. Du plus qu'elle se souvenait, Skye n'avait jamais détecté chez son frère la moindre trace d'une phobie envers quelconque Pokémon. Avoir peur des Migalos, ça passait. Avoir une crainte énorme des Ectoplasma était naturel, ces bestioles fichaient la chair de poule. Mais avoir peur d'un Pokémon eau qui ne faisait que sourire ... Ma foi, il faut de tout pour faire un monde.

Le court moment de réflexion de la demoiselle fut interrompu lorsque le bruit significatif ainsi que le rayon rougeâtre produit par une Pokéball vint s'écraser entre elle et son frère. Quelques secondes plus tard, un petit être blanc chapeauté regardait d'un air furieux la jeune fille et le mouton somnolant à ses côtés. Skye fixa curieusement la créature, reconnaissant sans trop de mal un Tarsal. Ces créatures avaient soi-disant le pouvoir merveilleux de pouvoir capter les sentiments de leurs dresseurs. Et, en vue du regard lourd en reproches que lançait actuellement le Pokémon, il en voulait clairement à la jeune fille pouvait avoir fait on ne sait trop quoi à son dresseur. Peut-être était-ce le Pokémon du petit garçon qu'elle avait basculé tout à l'heure ? Non ... Elle s'était confondue en excuses et ne semblait avoir entraperçu aucune trace de malveillance dans son regard. Et puis, il n'y avait personne aux alentours. Que pouvait-il bien faire dans un tel endroit ? Et comment avait-il pu apparaître sans l'intervention d'un dresseur ? Tant de mystères ...

« Ray ? Qu'est-ce que ... »

Le regard ambré de l'adolescente se reposa sur son frère, et elle ne put contenir un petit cri d'étonnement. Ray ? Il avait appelé ce Tarsal Ray ? Cela voulait donc dire que ...

« Ce truc est à toi ? »

L'emploi du terme "truc" était maladroit. Très maladroit. Trop maladroit au goût du Tarsal, qui amplifia l'aura mauvaise qui planait autour de lui. Cette once de mauvaise humeur ne manqua pas d'attirer l'attention d'Ethan le Wattouat, qui rompit provisoirement sa sieste et se plaça fièrement devant sa dresseuse, un regard de défi inscrit sur le visage. S'en suivit une terrible bataille du regard le plus menaçant, que Ray remporta haut la main lorsque le mouton s'endormit, ennuyé et lassé par ce petit jeu qui n'avait rien de très drôle. Que voulez-vous, tel maîtresse, tel Pokémon : cette chose ne servait strictement à rien. Mais vraiment à rien du tout. Quoique, vous seriez sûrement impressionné de savoir que le Pokémon Laine s'en sortait plutôt bien en combat. Ne jamais s'arrêter sur les premières apparences. Jamais. Revenons en à Skye. Cette dernière, après avoir assisté avec amusement à la terrible bataille entre les deux Pokémon, traîna ses genoux sur quelques centimètres et se rapprocha du Tarsal. Elle le fixa un long instant et eut le réflexe le plus débile de sa vie ; ce Pokémon voulait l'assassiner, et elle trouva intelligent de le soulever délicatement du sol et de venir le coller contre sa poitrine, un sourire niais au possible inscrit sur ses lèvres.

« Trop mignooooooooon. ~ »

Faites l'amour pas la guerre, hein.