Une heure et demie. Un garçon, une fille. Une main qui en tenait l'autre. Une douce chaleur qui s'échappait d'une main vers l'autre. Il l'avait emmené derrière l'école, jusqu'à une verte prairie, où la chaleur léchait l'herbe verte. Pourquoi l'avoir emmené ici ? Parce qu'ici, les gens étaient en paix. Il n'y avait rien que l'instant présent. Le soleil dans le ciel contemplait cette vaste clairière dont l'unique plafond n'était autre que le ciel bleu. Il s'arrêta au milieu. Cet endroit était un de ses endroits préférés depuis son arrivée. Vide, pas de lien avec le passé... Juste une douce brise et une chaleur berçante vous invitant à vous allonger dans l'herbe. D'ailleurs, il l'invita à le faire et s'allongea à côté d'elle. Et le silence s'installa ... Atios ne disait rien, laissait le temps s'écouler. Ils se tenaient tout deux la main. Et pas un mot. Pas de sa part, ni de la sienne. Il cherchait les mots juste pour approcher ce qu'il avait vu plus tôt. Une souffrance forte que la jeune fille ne pouvait totalement contenir. Quelque chose qui dévorait cette dernière. Comment pouvait-il aider celle-ci à enjamber cette souffrance en elle ? Les yeux bleus factices du jeune homme contemplait le ciel en quête d'une réponse. D'une solution. Il avait peur de froisser la jeune fille. Peur de lui faire plus de mal que de bien. Mais il fallait qu'il trouve ses mots. Il fallait qu'il lui redonne courage. Qu'il lui permette de laisser le passé et d'avancer vers le futur. Il se mit sur les avants bras en regardant le ciel et dit alors, sur un ton particulièrement faible, comme si pour la première fois, il laissait apparaître le poids de l'univers :

▬ Je ne sais pas ce qui t'a mise si mal tout à l'heure dans le réfectoire. En fait ... On ne se connait pas encore très longtemps. Je n'ai pas le droit de te dire ça, du moins, je ne pense pas ...

Oui. Qui était-il ? Il n'était qu'un autre être humain en train de vouloir le bonheur d'un autre être humain. Mais cela ne voulait pas dire qu'il avait le droit de la réconforter... Ni qu'il le pouvait. Parce qu'il ne le pouvait pas. Il ne la connaissait pas. Il ne pourrait pas donc tenter de comprendre sa douleur sans savoir. Et même en sachant, il ne pourrait que s'imaginer, pas la comprendre. Pourtant, il ne pouvait pas abandonner pour autant. Ce n'est pas parce que les gens ne savent pas notre douleur qu'on ne veut pas qu'ils nous tendent la main.

▬ Je sais juste que le passé est passé. Peu importe aussi dur soit-il, il est derrière nous. Si tu continues de regarder derrière-toi, tu louperas des choses importantes dans le présent. Dans l'idéal, le passé doit te permettre de différencier les moments douloureux des moments heureux dans le présent et t'aider à te bâtir un futur heureux. Pas t'enchaîner à lui-même.

Oui. Il fallait regarder droit devant et avancer. S'accrocher. Parce que le monde ne pardonnait pas. L'univers tout entier était une force entropique quelque part, qui s'étendait. Chaque seconde qui s'écoulait était précieuse. Il fallait se concentrer pour ne pas perdre une seconde de son temps et consacrer celui-ci à la réalisation de nos rêves. Le passé ne pouvait être changé. Et même s'il pouvait l'être, cela n'était pas si simple. Même pour lui. Lui aussi avait ses démons. La soif du sang. L'envie de venger. L'assertion face à une vie morose. La violence comme sceptre. Le roi qui tue ses sentiments, dans le but de ne pas hésiter. Tout ça pour le bien d'une personne. Ce jour-là, il n'avait fait qu'accepter le fait qu'il risquât sa vie pour celle d'une autre personne. C'était quitte ou double. Il avait pris son couteau en main. Son coeur s'était mis à battre lentement alors que le sang battait à ses tempes. Il avait étreint son souffle en lui-même. Ses yeux s'était figés, son regard froncé. Il n'avait plus cherché. C'était lui et elle, ou l'autre. Finalement, tout s'était bien déroulé. Mais il avait cherché à savoir s'il avait véritablement été prêt, à ce moment-là, à tuer quelqu'un pour prolonger sa vie. Oui, être chef de gang, ça vous met dans des situations dangereuses. D'autant plus quand vous jouez les héros. Ce mec était un violeur. Personne ne le regretterait. Il devait sauver cette fille, l'aider. Mais finalement, le prix a payé était-il son innocence ? Encore maintenant, il ne voulait plus se souvenir du fait qu'il avait failli devenir un meurtrier.

▬ Je ne sais pas ce qui te tracasse. Je sais tout de même que ce qui est derrière nous devrait le rester. Même moi, j'ai eu des problèmes dans ma vie. Des choses que d'autres auront connu et que tu ne connaîtras sûrement jamais. Personne n'a une vie heureuse ... Parce que pour reconnaitre et bâtir son bonheur, il faut éprouver la souffrance. Quelqu'un qui n'a jamais souffert ne peut pas savoir ce que c'est d'être heureux. Alors, j'espère que tu sauras délaisser ton passé pour te concentrer sur ton futur. Ici, tu peux devenir une dresseuse d'élite. Si tu ne veux pas continuer dans les études supérieures, tu sortiras d'ici et tu pourras explorer les ligues pokémon. Peu importe ce que tu crains, tu sauras capable de t'en éloigner et de chercher ton bonheur, que ce soit maintenant, dans un an ou dans dix.

La jeune fille était triste ; l'étincelle si joyeuse qui dansait continuellement dans ses iris brunes avait disparu. Et pourtant, les commissures de ses lèvres étaient joliment relevées, et affichaient un sourire sincère, comparable à la douce lumière d'un phare dans une nuit sombre et agitée. A mesure que ses pas souples foulaient le sol, elle sentait son cœur se séparait de la souffrance qui lui était soudainement tombé dessus ; la chaleur qu’émettait la poigne douce d'Atios la rassurait, dans un sens. Son regard fixe était posé sur la nuque du garçon. La curiosité de savoir où il l'amenait la dévorer littéralement, mais une partie rationnelle de son esprit refusait catégoriquement de gâcher sa surprise ; alors elle se contentait de fixer sa chevelure de jais, sans jeter le moindre coup d’œil au chemin qu'il empruntait. Elle lui faisait confiance. Lorsqu'enfin il stoppa sa marche, elle détacha doucement la prise qu'elle tenait fermement sur sa main et lança un regard circulaire autour d'elle. Elle reconnut sans trop de mal la petite clairière non loin du campus devant laquelle elle était passée à maintes reprises, sans jamais s'y stopper toutefois. Elle prit une grande bouffée d'air fraîche, s'étira légèrement et vint s'allonger aux côtés d'Atios ; ses prunelles ambrées se perdirent dans la voûte céleste, au même titre que les idées qui flottaient alors dans sa tête.

Malgré son air impassible et rêveur, elle écouta avec attention les paroles du brun. Oublier le passé ? Faire l'impasse sur ses souffrances ? Elle y était parvenue. Il lui avait fallu de longs mois, certes, mais elle avait pu atteindre cet objectif. Elle s'était alors enfermée dans une solide bulle protectrice faite d'amour et d’insouciance, qui n'aurait en principe jamais dû se fissurer. En principe. Il avait alors suffi d'un souvenir insignifiant pour que ce bouclier inébranlable ne se brise ; la joie de vivre qui animait Skye s'était alors nichée dans un coin de sa tête, loin de la mélancolie, loin de la tristesse, loin de la souffrance. La brune plaça ses mains croisées derrière sa tête, tourna la tête avec Atios. Ses mots bien choisis la touchaient tant ils étaient vrais ; elle n'aurait pas été étonnée qu'il ait vécu une situation pareille à la sienne, du moins sur le plan émotionnel. Lorsqu'elle jugea que son discours était terminée, elle se releva en position assise et posa son regard sur le visage fin du Spiraea. Ses grands yeux bleu outre-mer captait toute son attention, et elle eut presque l'impression qu'elle aurait pu s'y perdre ... Lentilles ou non, il possédait un beau regard, mine de rien.

« J'ai essayé. » Voix grave, sérieuse, mais douce. « Et ça a plutôt bien marché, jusqu'à tout à l'heure. » Elle se tût quelques secondes, puis reprit. « Ma protection n'était pas si inébranlable que ça ... »

Elle détourna son regard et se mit à fixer droit devant elle, tandis que ses bras enlaçaient ses genoux collés contre sa poitrine. Se protéger, encore, toujours. Au lieu d'éviter la souffrance, pourquoi ne lui faisait-elle pas tout bonnement face ? Peut-être était-ce le seul moyen d'en venir à bout ... Mais elle était bien trop faible pour ça. Elle n'aurait pas pu supporter la douleur, elle le savait pertinemment. Ethan avait passé cette épreuve avec brio, tandis qu'elle était restée en arrière, sans jamais aller de l'avant. Pourrait-elle un jour franchir le pas ? Personne ne pouvait le savoir, elle la première. Mais peut-être que les belles paroles d'Atios feraient bouger les choses ...

Cela ne marcherait pas. Ignorer son passé, c'était possible un temps. Mais quand on n'y faisait jamais face, en général par un sordide jeu du destin, ce dernier revenez à la charge et vous écrasait comme une vulgaire brindille. Et là, ignorer la souffrance devenait impossible. Elle était plus lancinante et forte et revenez, encore et encore. Et elle devenait intolérable. Et à ce moment-là ... Soit vous la combattiez, soit elle vous brisait. Comment combattre son passé ? La réponse était-si simple ... Et pourtant, si compliquée à mettre en oeuvre pour certains. Voir impossible. Mais ce n'était pas le cas pour Skye. Elle pouvait le faire, il en était sûr et certain. Elle était jeune, elle avait la vie devant elle... Elle se devait d'être forte et de ne pas abandonner pour tout ceux qui n'avaient pas la chance de pouvoir ignorer leur passé et la souffrance qu'il comportait. Certains, même en l'acceptant, finirait par être rattrapé par celui-ci. Parfois, ce n'était même pas le passé, mais simplement leur être qui les rattrapait ... Il se devait de sortir la jeune fille de cette spirale où, cycliquement, elle risquait d'ignorer son passé pour mieux en souffrir au premier souvenir ... Mais pourquoi faisait-il ça ? D'où avait-il eu l'idée de créer son gang ? L'ennui ? Pas tout à fait. Une autre raison quelque chose qui avait régit toute sa jeunesse... Une idole. Le porteur se sa façon de pensée. De ses idéaux. Quiconque rirait s'il découvrait l'identité de la seule "personne" qu'il respectait... L'incarnation de son idéal. Le mec parfait. Celui qu'il désirait être plus que tout. Alors que son caractère faisait qu'il ne pouvait pas l'être. C'était sa distorsion. Plus que tout, il vénérait le décoloré membre du gang de Shônan décrit par Tōru Fujisawa.... Loyauté, générosité, l'indépendance faces aux convenances ... La capacité à suivre ses idéaux jusqu'au bout malgré les regards des autres... Oui, il y croyait dur comme fer, mais il avait toujours eu peur de ne pas en être digne et qu'un jour trahir ceux-ci.

▬ Te protéger n'est pas suffisant. Du moins, c'est une solution à court terme...

Il regardait le ciel, sans la regarder. S'il était là, c'était sûrement à cause de ce simple manga et de cette transmission de valeurs qu'aujourd'hui, les gens n'avaient plus forcément. Cette tendresse qu'il donnait à ceux qui souffrait rentrerait sûrement en conflit avec ses intérêts. Il devrait choisir. Il avait peur de choisir. Maintenant qu'il y réfléchissait, plus il savait qu'il ne pourrait pas trahir ses idéaux. Il ne pourrait jamais supporté de faire souffrir quelqu'un qui ne le méritait pas... Et s'il le faisait, il ne voudrait même plus vivre. Il aimerait l'avoir en face de lui, lui demander quoi faire. Mais il était hypocrite. Il saurait quoi faire le moment venu. Mais il aurait voulu quelqu'un pouvant l'aider. Quelqu'un sur qui se reposait. Mais personne ici n'était son ami. Personne ne savait quoi que ce soit sur lui. Il était transparent. Allons, Atios. Tu le sais. Tu ne peux pas t'apitoyer sur ton sort. Personne ne le devrait non plus. Tu dois être celui que tu n'as pas pour les autres. Tu joueras le jeu jusqu'à ce que tu ne puisses plus ignorer tes idéaux. Et là, d'un geste vif et brusque, tu passeras ton bras sur l'échiquier, renversant les pieds et tu reposeras ton roi au centre, sous sa véritable couleur. Tu seras peut-être, seul, mais au moins tu n'auras rien à regretter. Tu feras face aux autres comme un homme responsable devrait le faire. Oui, il saurait comment agir le moment venu. Il ne serait peut-être pas fin, mais à quoi bon être trop intelligent si malheureux ? Et était-ce simplement intelligent de renier ses propres valeurs ? Il ne pouvait être quelqu'un de bien et de mal en même temps... Il ne pouvait être partout à la fois. Donc il devrait sûrement rester sur sa propre route; Ceux qui voudrait iraient posés leurs drapeau sur celle-ci ... Décidément, cette clairière et les sentiers étaient ses lieux préférés dans l'école.

▬ Arrête de fuir ton passé et accepte-le. Je me répète, mais je sais pas ce que tu as vécu ... Mais est-ce que ça vaut la peine de pourrir l'instant présent ? Passe à autre chose, accepte que tu as vécu des choses malheureuses dans le passé et fonce vers l'avant. Accélère, bats-toi pour être heureuse. Le passé est derrière, ici tu peux créer une nouvelle vie pleine de bonheur loin de celui-ci. T'es pas seule, tu as des amis non ? Tu as un avenir ! Alors bats-toi ! Arrête de fuir ! Tu peux le faire et si un jour tu trébuches, je t'aiderai à te relever et je serais pas seul. Tu dois avoir des personnes mieux placées que moi pour le faire. Allez, ouste ma politesse. Je vais être franc : le passé, on s'en branle. Alors souris, ris et accepte-le, puis n'y pense plus et profite de ta vie ! Il sourit à la jeune fille et fit un check avec celle-ci. Pour la première fois, la détermination d'Atios était visible à la jeune fille. Son ton avait été lui aussi plein d'espoir et de courage.

« I don't believe in the secrets you keep but I do wanna know : "How do you sleep at night ?" »
Elle ne sait plus où donner de la tête. Ses pensées s'emmêlent, son cœur se noie dans un flux d'émotions. Chaud, froid ; amertume, douce ; tout y passe tant sa confusion est intense. Son visage est de marbre, mais tout se joue dans son esprit : pourrai-t-elle vraiment parvenir à tout oublier ? Faire abstraction d'un passé douloureux était un luxe rare qu'Arceus tout-puissant n'accordait pas si facilement au plus humble des mortels ; était-elle assez digne pour mériter un tel cadeau ? Elle n'était pas assez qualifiée pour savoir une telle chose, malheureusement. Les yeux perdus dans le vide, elle réfléchit, écoute avec attention les paroles d'Atios. Le bonheur dont il vantait les mérites lui était tout à fait accessible, mais une fine porte invisible lui empêchait d'entretenir un contact permanent avec ce doux sentiment de gaieté. Skye était heureuse, mais ne pouvait l'être pleinement : ses souvenirs la rattrapaient à chaque fois, sans qu'elle n'en prenne conscience néanmoins. Elle frotte ses yeux humides, se lance dans des réflexions sans queue ni tête. Elle était une lâche, voilà tout. Sa faiblesse d'esprit ne lui avait pas permis de sauter cette obstacle comme elle l'aurait tant espérée ; Ethan était bien plus fort qu'elle, et avait réussi cette étape, tout en laissant sa jumelle adorée dans un torrent d'incompréhension et de souffrance. Après tout, n'était-ce pas elle qui avait opté pour une stratégie défensive ? Elle aurait pu lutter contre ses maux, les faire disparaître. Mais elle ne l'avait pas fait, et voilà qu'elle en payait les conséquences.

« And I'm over you, congratulations. And thank you for all the pain 'cause it made it be so much more fun ! »
Aller de l'avant. Prendre un nouveau départ. Laisser peine et pensées troubles derrière soi pour découvrir joie et bonheur alors inaccessibles. Il disait qu'elle en était capable, mais le pensait-il vraiment ? Il ne la connaissait pas et sa situation lui était inconnu ; il n'était personne pour parler. Personne. C'est du moins ce que la Tanner pensa, avant de repenser à sa propre situation. Une drôle de confiance à l'égard Atios était née en elle, confiance qui la poussait à croire en ses belles paroles. Il disait pour voir l'aider et la réconfortait en employant des termes accrocheurs qui, systématiquement, la touchait. Avenir, bonheur, tant de choses auxquelles elle croyait et dont l'existence lui était encore inconnue. Elle avait ses rêves grandioses, ses envies étranges et ses fantasmes les plus inavouables ; et toutes ces petites choses ne pourraient se réaliser si elle ne daignait pas mettre un point final à son passé si envahissement. Cela prendrait du temps, certes, mais elle s'auto-persuada qu'un jour, toute cette détresse emmagasinée finirait par n'être qu'un très mauvais souvenir. Un sourire s'installa sur ses lèvres et elle plaqua volontiers son poing contre celui du brun.

« There's nothing to say now. The feelings are already dead and I don't believe there's a way now : all that is said has been said. »
Son visage s'adoucit légèrement tandis qu'une lueur pétillante se réinstallait dans ses prunelles brunes. L'espoir avait repris possession de son esprit tourmenté. Elle allait mieux, maintenant. Et ça, c'était grâce à lui. Lui qui lui avait ouvert les yeux. Lui qui l'avait rassuré alors que tout semblait perdu. Elle alla même jusqu'à se demander si sa rencontre avec Atios était un pur hasard ; mais peut-être n'était-ce que le fruit de ses pensées pétillantes d'une bonne humeur retrouvée.

« Tu as raison. Je dois faire abstraction de mon passé pour pouvoir profiter de mon futur et du moment présent. Merci de m'avoir fait prendre conscience de ça. »

Et, le plus naturellement du monde, elle s'approcha de lui en rampant à quatre pattes et l'enlaça. La tête calée contre son épaule, elle sentit une larme discrète couler le long de sa joue. Reconnaissance, émotion, elle ne savait trop ce qu'elle pouvait représenter ; mais elle était heureuse. Elle resserra légèrement son étreinte, le gratifia une nouvelle fois d'un doux merci et le lâcha finalement tout en lui offrant son plus beau sourire. Thank you for everything.

« I'm waiting for another day, another way. I don't believe that you can make all the pain go away so I'll leave it all behind, but I'm leaving with blood in my eyes ! »
Un bruit de branche qui craque. Curieuse, Skye tourna les yeux vers l'endroit d'où provenait ce son si distinct et remarqua avec surprise qu'il n'y avait pas la moindre créature à cet endroit. Son imagination ? Si seulement ... Il lui fallut bien une dizaine de secondes pour prendre conscience de la présence d'un petit dragon orangé sur ses genoux. Dix secondes de trop qui lui coutèrent une de ses précieuses mèches de cheveux, qui se vit enflammée par la torche brûlante sur la queue de l'animal. Il fallut encore quelques instants à la Tanner pour prendre conscience de la situation ; et lorsque celle-ci fut assimilée, elle ne put retenir un petit cri à mi-chemin entre la terreur et la stupeur. Réaction immédiate : sa main droite se referma sur la mèche embrasée, et la demoiselle dût subir le courroux terrible de la chaleur jusqu'à ce que cette dernière s'estompe, progressivement ; Seigneur Arceus avait dû ne pas apprécier sa prise de conscience, et la punissait ainsi d'une brûlure à laquelle elle ne s'attendait pas du tout. Ce fut, du moins, ce qu'elle pensa à cet instant. Elle détacha sa prise, grimaça en voyant sa paume brunie par le feu et se mit à fixer avec des yeux ronds le petit Pokémon fièrement juché sur ses rotules. Elle reconnut sans trop de mal un Salamèche, Pokémon typiquement de la région de Kantô, sans pour autant parvenir à comprendre la raison de sa présence ici. Elle sortit alors la phrase la plus constructive de l'histoire de l'humanité.

« ... Nyêh ? »

Le Pokémon Lézard lui lança un regard plein d'incompréhension suite à sa remarque pertinente. Mon Dieu, mais c'était quoi ce bordel ...

Mission accomplie, Great Student Atios. T'as réussi à lui faire comprendre qu'elle devait songer à son futur et pas à son passé. Quelque part, il avait fait sa bonne action de le journée, il avait donc réussi à lui rendre le sourire. Cela lui fit plaisir, mais là où elle le surprit vraiment... C'est quand elle l'enlaça .. Ce n'est pas qu'il détestât, mais bizarrement, en plus de la gêne, il se senti mal à l'aise. Comme à l'étroit en lui-même. C'était agréable, mais effrayant quelque part. C'était la première fois que quelqu'un qu'il ne connaissait aussi peu lui offrait une étreinte. C'était inattendu, c'était totalement imprévu. Il ne savait pas s'il avait le droit d'être heureux, ou s'il devait ne pas se sentir heureux. Les gens n'avaient jamais été aussi proche de lui. Même sa mère ne l'avait plus enlacer depuis ses dix ans. C'était bel et bien la première fois en sept années que quelqu'un le prenait dans ses bras. C'était étrange ... Cela le dérangeait en fin de compte. C'était de sa faute, cependant. Il était celui qui était en tort ici. Ce n'était que de la gratitude et de l'affection qu'il recevait et il était pratiquement hostile envers cette sensation. Il était un idiot. Il n'arrivait pas à simplement faire confiance. C'était trop inconnu pour lui. De se laisser approcher. Lui qui n'avait jamais eu personne sur qui compter, jamais personne à enserrer, jamais personne à apprécier. La seule chose qui connaissait tout de lui était son téléphone portable. La seule et unique chose qui contenait ses émotions, ses notes, ses regards, son avis sur le monde. En fait oui, une partie de son âme était dans cet engin électronique qui finirait par un jour ne plus fonctionner.

Finalement il rendit son étreinte à la jeune fille. Parce que même s'il avait peur, il ne voulait pas faire de mal à cause de celle-ci. Accorder sa confiance à quelqu'un est plus difficile que d'obtenir la sienne. Dans tous les cas, ici, cette phrase fonctionnait. Atios, quel idiot tu fais. Incapable de faire confiance, trop méfiant et intelligent pour ça ... Tu sais que tu finiras seul et malheureux si tu ne parviens pas à trouver quelqu'un en qui avoir confiance ... Tu es trop lâche pour pouvoir l'avouer à vive voix. Alors, tu ne peux qu'assumer le port de ton masque jusqu'au bout. Il le sait et s'exécute. Il lui sourit. Elle était vraiment plus petite que lui. Est-ce que le corps d'un être humain avait-il toujours été aussi chaud ? Il ne le savait pas lui qui n'avait pas l'habitude de ce genre de rapprochement et ce genre de marque d'affection. Mais soudainement... Elle le lâcha et lui fit son plus beau sourire, ce qui naturellement, le fit sourire. Oui, c'était ça qui l'avait motivé. Il n'avait pas voulu autre chose que de lui rendre le sourire. Mais soudainement, un salamèche sorti de nul-part vint voir la jeune fille. Ce dernier devait vraiment bien aimer celle-ci pour braver la timidité de son espèce. Il était content pour elle. Cela lui faisait penser qu'il partirait à la chasse au pokémon demain. Histoire de complété son équipe pour le tournoi. S'il y parvenait, ce n'était pas certain. En attendant, il se recula lentement, pour éviter de brusquer la salamandre orangé. Le faire fuir serait vraiment bête. Ainsi, prudemment, de loin, il dit :

▬ Il à l'air de bien t'aimer, c'est l'occasion de te faire un pokémon rare, alors bonne chance ! Dit-il en souriant, un peu plus loin, en mode spectateur.

D'un côté, il y avait Atios, un grand sourire aux lèvres, qui fixait la scène avec attention. De l'autre, cette petite salamandre orange sortie de nulle part qui ne semblait vouloir se résoudre à quitter son siège de fortune. Et enfin, au milieu de tout ça, il y avait Skye, arborant une mine profondément étonnée, qui fixait d'un air un peu bêta le charmant Salamèche qui avait élu domicile sur ses genoux. Les grands yeux bleus de l'animal la contemplaient curieusement, comme s'ils voyaient pour la première fois une demoiselle totalement dépassée par la situation. Récapitulons : le Pokémon feu s'était introduit dans la clairière et s'était directement dirigé vers la Tanner. Et il y avait cette réflexion du brun, qui lui conseillait de le capturer ... Devait-elle vraiment arracher un animal aussi rare de la nature ? Elle ne savait trop quoi penser. Alors elle décida d'agir, comme elle le faisait d'habitude lorsque son esprit lui faisait défaut ; doucement, ses mains se posèrent de part et d'autre du corps du Salamèche et le soulevèrent à la hauteur de son visage. Les yeux ambrés de la jeune fille se plongèrent dans les iris outremer de l'animal, et un sourire s'esquissa sur ses fines lèvres. Elle ne pouvait pas nier le fait que ce Pokémon était très mignon ... Mais avait-elle vraiment envie de le capture ? Ethan et Poséidon étaient déjà amplement suffisants ... Ou pas. Le tournoi de l'académie approchait, et un nouveau maillon dans l'équipe de Skye ne lui aurait pas fait de mal. De là à attraper le premier Pokémon rare venu ... Il fallait qu'elle arrête de penser. Vraiment.

« T'ES CRO MIGNON. ♥ »

La salamandre de la feu la fixa d'un air ahuri, puis fronça les sourcils avant de donner un violent coup de griffes sur la main droite de l'adolescente ; ses doigts cédèrent, et le Salamèche retomba gracieusement sur son fauteuil favori — dixit les genoux de celle qu'il avait griffée, donc. La Tanner se mit alors à souffler sur sa blessure, tout en sachant pertinemment que sa douleur ne partirait pas pour autant ; mais bon, lorsque l'on se blesse d'une manière ou d'une autre, nous avons tous les mêmes réflexes inavoués. Elle porta ses mains ensanglantés à sa bouche, sans quitter le Pokémon du regard ; elle craignait une nouvelle attaque de sa part. Pourquoi, alors qu'il semblait l'avoir prise en affection, s'en était-il si sauvagement pris à elle ? Elle lança un regard plein d'incompréhension à Atios avant que la vérité ne se jette littéralement à sa figure. Son regard passa plusieurs fois de sa main endolorie au Pokémon feu ; elle retrouva le sourire, et osa même reprendre le Salamèche dans ses bras.

« T'es une f'melle, c'est ça ? »

Ne cherchez même pas à comprendre comme Skye l'avait deviné. C'était comme ça, un point c'est tout. Toujours est-il que, ravie, la créature esquissa un grand sourire avant de se mettre à mâchouiller avec affection l'un des doigts de la jeune fille. Cette dernière laissa échapper un rire satisfait pour ensuite se relever et, Salamèche dans les bras, se diriger vers Atios. Elle lui montra fièrement l'animal orange, lui sourit de toutes ses dents avant de lui poser LA question.

« Tu penses vraiment que je devrais la capturer ? Chais pas moi, mais arracher ce pauvre bout d'chou d'la nature, ce serait limite criminel ! »

Oui, car la particularité de la Tanner était de réfléchir beaucoup pour, au final, pas grand chose. C'était tellement drôle de se prendre la tête pour rien ... Alors qu'elle s'apprêtait à sortir un nouvel argument digne d'un des plus grands politiques de notre époque, le Pokémon qu'elle tenait si fermement entre ses mains se défit on ne sait trop comment de son emprise qu'elle croyait inébranlable. Ni une, ni deux, le Salamèche se jeta vers le sac de la demoiselle, posé un peu plus loin, et se glissa à l'intérieur. On vit alors un rayon rouge, puis de petits mouvements significatifs à l'intérieur de la sacoche. Et enfin, tout s'arrêta d'un coup sec, tandis que le petit bruit électronique d'une Pokéball pleine venait de résonner dans la clairière. Lentement, Skye s'approcha de son sac et tira la bandoulière afin de le soulever ; elle fouilla à l'intérieur et, après avoir affiché une moue de surprise, elle en sortit une balle bicolore encore chaude.

« Ah bah, elle s'est autocapturée, tiens ... »

Il était presque drôle de remarquer le contraste flagrant entre son ton neutre à souhait — elle aurait tout aussi bien pu annoncer la météo du jour — et son air totalement ahuri. Pour résumer la situation ? La Salamèche s'était elle-même introduite dans ce qui serait sa maison sphérique jusqu'à la fin de ses jours. D'accord. Cool. Chouette. Toujours est-il que la Tanner était encore plus perdue qu'avant, maintenant. Un Pokémon qui se capturait lui-même, cela n'existait que dans les animes ... Ou pas.

Ouaip. Les salamèches étaient mignons. M'enfin, pour valider son diplôme de Dracologue, ils ne comptaient pas ... Déjà que Natu n'était pas un dragon, il ne pouvait pas prendre un faux-dragon dans l'un des six emplacements autorisés par l'académie d'Alcea Rosea. Il était heureux de voir que la jeune Tanner avait un peu de chance pour continuer son existence. Y avait des gens au passé triste qui n'avait pas cette chance, de voir débarquer dans leur vie un rayon de soleil et qui devaient continuer de s'accrocher sans dans l'espoir qu'un jour, ça serait à eux aussi leurs tours d'avoir un peu de chance. La jeune fille, comme on soulèverait un bambin, posa ses mains sous les bras du Salamèche et le souleva à la hauteur de son visage pour lui sourire. Elle était, du moins visiblement, en pleine réflexion. Sur quoi portait celles-ci ? Le dilemme d'arracher un pokémon à son milieu naturel ? La place dans son équipe ? Atios ne pouvait l'imaginer. Mais elle avait de la chance de se lier d'amitié avec un pokémon de cette façon. Lui ... Solochi lui avait été offert comme premier pokémon. Quelque part, ce sort était horrible, vous ne trouvez pas ? Arracher à son milieu, puis à son dresseur d'origine pour le confier à un nouveau venu ? Bon, il s'en était bien occupé, mais il ne pouvait s'empêcher de trouver ça horriblement cruel. Mais ça valait évidemment pour son Natu. Lui aussi, de la même façon, il avait été confié à un dresseur de l'académie, après avoir changé de main à plusieurs reprises. M'enfin, il ne pouvait pas se faire de mouron pour ça. Sinon il n'avait pas fini de se torturer l'esprit et puis ... Tant qu'ils étaient heureux avec. lui..

La jeune demoiselle aux courts cheveux châtains avait les genoux blessés à cause de la salamandre orangée. Ouaip, les filles portaient des minijupe au Japon. Et ça laissait place à ce genre de trace quand un pokémon aux pieds griffus se posaient sur leurs cuisses. Ah, doux Japon, tes filles en mini-jupes, tes shimapantsu, tes coups de vents, tes situations alambiquées et tes côtés les plus sombres sous ce ciel bleu... Il se laissa aller sur le dos alors que le coup de foudre frappait Skye & le nouveau venu laissant le monde l'aplatir contre le sol. Un de ses bras se leva pour attraper le soleil, avant de retomber en arrière, comme écraser par la gravité propre à l'univers et toutes les forces mises en jeu, comme s'il n'était rien d'autre qu'une bille rebondissant contre les astres pour s'écraser sur Terre. Il n'avait pas besoin de forcer, il pouvait se laisser aller en ce moment. Tôt ou tard, il devrait se relever, tôt ou tard, se battre serait nécessaire. Tôt ou tard, il devrait être prêt à se battre. Skye était mignonne à voir, si naïve d'apparence... Quelque part, il enviait cette apparente insouciance. D'autre part, cependant, il préférait aussi vivre comme il vivait en ce moment. Toujours trop anxieux, toujours trop inquiet. Toujours prêt à se lever pour les autres. Il en revenait à ce qu'il avait dit à Riley. Le brahmine envieux de la bigote pourtant, désireux de conserver la conscience de ce qu'il était, de son existence infime et de son manque de savoir, de la futilité de ses actes tout en sachant qu'il ne vivait que pour lui-même ... Mais sa rêverie métaphysique fut interrompue par une question venant de sa nouvelle amie. Question a laquelle il répondit simplement :

▬ Tu fais comme tu veux. Mais si elle a fait l'effort de venir vers toi, c'est peut-être qu'elle veut être ton pokémon ? Demande-lui. Avises ensuite.

Mais la créature de feu semblait pas tout à fait de cet avis et décida donc de ne laisser aucun choix à la dresseuse. Un pokémon squatteur. C'était la première fois qu'il en voyait un s'invitait comme ça dans les pokémon de chez quelqu'un d'autre. M'enfin. Que devait-il faire à présent ? Ah oui. Se reposer... Fallait se détendre, fermer les yeux et s'endormir. Une de ses pokéball à sa ceinture s'ouvrit, laissant sortir son Solochi qui vint s'allonger à ses côtés pour dormir contre son flanc.

Bientôt quatorze heures. L'astre solaire était haut dans le ciel, et dardait l'herbe verdoyante de la clairière de ses rayons protecteurs. Des nuages cotonneux scindaient la voûte bleutée du ciel ; chacun possédait une forme qui lui était propre, de la plus ridicule à la plus complexe. De temps à autre, un Pokémon oiseau venait compléter ce ballet féérique à grands coups d'ailes, et disparaissait aussi rapidement qu'il était venu, attiré par la fine brise qui soufflait alors. Le ciel avait toujours été un élément fascinant aux yeux de Skye. Grand, mystérieux, elle avait toujours apprécié de passer de longues heures couchée au sol, les yeux rivés par les hauteurs inatteignables, l'esprit accaparé par des pensées qui n'appartenaient qu'à elle. La Tanner était rêveuse et dotée d'une imagination à toutes épreuves ; elle se voyait voler avec les oiseaux, flotter aux côtés des légendes et bercer par le silence apaisant qu'il pouvait bien y avoir Là-haut. Depuis combien de temps était-elle installée ainsi ? Elle n'en savait trop rien. Deux minutes, une demi-heure, voire même plus ; il n'y avait que le ciel, les battements de son cœur et la chaleur d'Atios, qui se trouvait à moins d'un mètre d'elle. Elle leva le menton, regarda avec tendresse le Solochi blotti contre son flanc. Une belle bête, qui semblait heureuse aux côtés de son dresseur. Le regard noisette de la demoiselle glissa, se posa sur le visage du brun. Il semblait cacher beaucoup de secrets, qu'il conservait jalousement en enchaînant mensonge sur mensonge. Mais elle n'était pas apte à le juger d'une telle manière. Il l'avait aidé à prendre conscience d'une chose essentielle dans sa vie, et elle ne pourrait jamais assez le remercier.

Doucement, ses paupières se fermèrent ; la fatigue qu'elle avait emmagasinée jusqu'alors l'emporta dans son flot de songes. Elle fit un sommeil sans rêve, qui l'apaisa néanmoins. Et finalement, au bout d'un laps de temps qu'elle n'aurait pu évaluer, elle réouvrit les yeux. Immédiatement, ses prunelles se portèrent au soleil ; il n'était plus à sa position de tout à l'heure, elle en conclut donc qu'une bonne demi-heure — au moins — s'était écoulée durant sa sieste réparatrice. Réflexe : se relever. Sauf que, malgré ses efforts, elle ne put y parvenir. Et lorsqu'elle en comprit la raison, ses joues ne purent qu'adopter une belle teinte cramoisie, synonyme d'une gêne extrême de sa part. Atios dormait, certes. Mais combien y avait-il de chance pour que son foutu bras se trouve au niveau de sa taille ? Skye se fichait éperdument du pourquoi du comment : après tout, le sommeil nous faisait souvent adopter des positions étranges, non-désirées. Mais la voilà confrontée à un beau dilemme : réveiller le brun pour se sortir de là ou attendre bêtement qu'il ne daigne revenir à la surface de lui-même. Solochi avait, quant à lui, conservé sa position initiale, c'est-à-dire lové contre le torse de son maître. Mince, mais que pouvait-elle bien faire ? Elle retenta une nouvelle fois de se glisser hors de son emprise, en vain ; même endormi, le garçon possédait une force supérieure à la sienne. Avant cet instant, la Tanner n'avait jamais autant haï sa faible corpulence.

Elle décida finalement d'adopter la seconde solution : poireauter gentiment jusqu'à ce que Monsieur se réveille. Ce qui n'était pas forcément la plus agréable des options, je vous l'accorde. Les yeux scotchés sur le ciel, elle patienta, longtemps. Impossible de se rendormir dans une telle situation. Génial. Enfin, il daigna bouger. Lueur d'espoir : peut-être était-il réveillé ! ... Non. Il s'était tournée. Vers elle. Son souffle chaud léchait dangereusement le cou de la jeune fille ; ses joues rougissent encore plus, si c'était possible. Beaucoup trop proches.

Elle attendait avec impatience le moment où il se réveillerait ... Et la réaction qui accompagnerait cet instant.

Oui, quand il dormait, il rêvait. De ses objectifs. De ses plans. De sa façon d'agencer ses mensonges ensemble pour créer un univers cohérents où chacun d'entre eux brillait tel une étoile formant les constellations d'une illusion qui lui serviraient de bouclier au jour le jour. Le refrain de sa vie. Il rêvait aussi de voir un jour Solochi évoluer. De capturer d'autres pokémons. De se faire des amis. De devenir quelqu'un de normal. De vivre une jeunesse normal. Mais dès qu'il rouvrirait les yeux, la fantaisie de son sommeil paradoxale finirait. Atios reviendrait dans ce monde où d'une main, il tient son masque et de l'autre, son portable, arme de la tromperie tout en étant l'armure sociale, au même titre que ses costards. Dans son monde onirique, il était dieu. Dieu d'un univers où tout allait comme il le voulait. Un monde banal, trop simple. Trop naturel. Même pour lui qui rêvait, responsable de ses songes, ce monde si faux et pourtant si paisible n'était pas réel. Jusque dans ses rêves, il se rendait compte à quel point la cohabitation pacifique des uns et des autres est impossible. Le moteur de l'avancer réside sur la résolution des conflits, peu importe la manière. C'est pourquoi un monde en paix est impossible ... C'est pourquoi il y aurait toujours des larmes et de la colère. Tout en sachant que son rêve d'une vie paisible était impossible, il continuait d'avancer tout en étant incapable de retirer son masque social. Et les problèmes qu'il fuyait dans la réalité le rattrapait dans ce monde où il pouvait faire face à sa propre incompétence, ses propres faiblesses. Parce qu'il était seul et loin de tout jugement d'autrui.

Il lui arrivait souvent de pleurer dans son sommeil. Le médecin avait décrit ce comportement sous la forme d'une évacuation du stress dans son sommeil par un rejet de celui-ci dans la vie de tous les jours. Atios n'avait mis que peu de temps avant de confirmer ces faits. Oui, il ne pleurait pratiquement jamais lorsqu'il était éveillé. Fort, inébranlable le jour, faible et craquant la nuit. Ce comportement bipolaire, il l'avait accepté. Il y voyait tant d'avantages à agir ainsi. Le jour, il pouvait affronter n'importe qui n'importe comment. Au point où il en était venu à être capable de tuer complètement ses émotions dans les moments critiques nécessitant un calme et une réflexion absolue. Mais il dormait aussi la journée. Et il contrôlait parfaitement ses larmes de jours. Peut-être la prise de conscience avant de s'endormir qu'il était en présence de quelqu'un d'autre. Sans s'en rendre compte, il avait agrippé le bras de la jeune fille dans son sommeil. Puis il s'était tourné vers elle, de sorte à ce que sans s'en rendre compte, il soit très proche l'un de l'autre. Il s'approcha encore un peu, posant pratiquement son nez contre celui de la jeune fille.... Avant de glisser sur son autre côté, pour attraper son Solochi qui dormait. Ce faisant, une de ses pokéball glissa sur le sol pour s'ouvrir, laissant s'échapper son Natu qui était toujours en train de danser. Il se passa cinq minutes avant que l'animal s'immobilise, l'air catastrophé avant de grimper sur son dresseur et de lui chanter son chant dans l'oreille. Atios rouvrit les yeux sans dire un mot et se retourna vers l'oiseau voyant pour le soulever et l'amener devant lui. Il le contempla et sourit avant de le presser contre son visage et se relever et de remarquer que Skye semblait un peu rouge ... Il demanda alors, sans savoir ce qu'il venait de se passer :

▬ Tu vas pas bien ? Tu as attrapé froid ? Dit-il en posant la main sur le front de la jeune fille pour prendre sa température.

rêve, nom masculin : 1. Suite d'images qui se forment dans l'esprit pendant le sommeil, songe. 2. Représentation, plus ou moins idéale ou chimérique, de ce que l'on veut réaliser, de ce que l'on désire.

Le terme "rêve" prenait tout son sens lorsque ces deux définitions se croisaient, s'emmêlaient, fusionnaient. Atios avait son âge, et devait sûrement partager un trait de caractère commun à tous les adolescents : l'ambition. Il avait ses envies, ses espoirs, ses quêtes ; et bien que ces derniers furent inconnus aux yeux de Skye, elle ne pouvait que les comprendre, quelque part. Il y avait également une seconde option, beaucoup plus sombre cette fois-ci : les rêves du brun pouvaient être hantés par des fantômes de son passé ; les songes devenaient cauchemars, et on cherchait alors du réconfort, désespérément. La Tanner n'était pas la demoiselle qui recevait son étreinte lors de son rêve, elle s'en doutait fortement ; peut-être était-elle destinée à un être cher, ou au contraire à une personne qu'il haïssait. Ses pensées confuses s'intensifiaient au fur-et-à-mesure que les battements de son cœur s'accéléraient ; le souffle chaud d'Atios lui fouettait le visage. Son teint pivoine s'atténua légèrement lorsqu'il se décida à changer de position et que, quelques minutes après, il ne soit arraché à ses rêveries par le chant d'un drôle de petit volatile vert vif, sorti tout droit d'une de ses Pokéball. Il lui avait dit avoir un Natu ... Mais ces derniers ne possédaient par un plumage plus sombre ?

La main du brun se pose alors sur son front. Skye le dévisagea comme s'il s'agissait d'un alien, alors qu'il approchait dangereusement son visage du sien pour s'informer quant à son état. C'était anodin, mais pourtant, les joues de la demoiselle reprirent une belle couleur tomate, qu'elle avait réussi à partiellement effacée depuis tout à l'heure. Prise d'une violente poussée de panique, elle fit un bond en arrière et remua la tête négativement ; et, après avoir jugé sa distance avec le Spiraea idéale, elle rabattit ses genoux contre son torse et se mit à fixer le vide. Solochi, Natu ... Il possédait de puissants atouts qui, bien entraînés, pourraient lui permettre de faire des merveilles en combat. Elle n'était qu'une simple dresseuse qui se fichait pertinemment de la puissance de ses Pokémon, mais qui souhaitait briller, être mis sous le feu des projecteurs au moins une fois dans sa vie. Elle était bien loin du cliché du dresseur à casquette qui voulait conquérir le monde ; elle souhaitait seulement s'amuse, prendre du plaisir avec ses amis animaux et les faire évoluer à leur rythme, doucement, sûrement. Elle posa un regard curieux sur Atios : avait-il le même état d'esprit qu'elle ? Bien sûr que non. Lui semblait enclin à faire de grandes choses, et en était parfaitement conscient. Tout un monde les séparait, après tout. Et pourtant, ils se retrouvaient là, à paresser tranquillement au soleil, parlant des problèmes de l'un et l'autre — "l'un et l'autre" désignant uniquement Skye —. Bien qu'elle n'aurait jamais voulu l'admettre, l'envie de savoir le passé du garçon lui titillait l'esprit. Il en savait beaucoup trop sur elle pour qu'elle soit laissée dans l'indifférence. Elle était curieuse. Très curieuse. Trop curieuse. Mais bon, elle s'auto-persuada qu'un beau jour, elle parviendrait à en savoir plus sur lui. D'une manière ou d'une autre.

« Tu comptes participer au tournoi ? »

Cette question lui avait échappé. C'était un bon début pour la prise d'informations : des questions qui pouvaient paraître banales, mais qui en disaient beaucoup. Naturellement, son regard, posé sur le brun, luisait d'une pointe de curiosité. Elle n'avait aucun doute quant à sa réponse : bien sûr qu'il participerait au tournoi. Avec une telle équipe, comment pouvait-il manquer cet évènement ?

« Tu comptes participer au tournoi ? »

Question amusante. La réponse était pourtant évidente n'est-ce-pas ? Mais elle l'avait posée. Elle voulait en savoir plus sur lui. Il allait lui permettre de voir en lui d'une façon inédite. Les mots ? Non. La voix ? Non. L'écriture alors ? Non plus. Ici beaucoup oublient pourquoi ils sont là. Ils ne connaissent pas la rigueur des routes. La férocité et la détermination des autres dresseurs. L'électricité qui sortait de ceux-ci. Dans les temps anciens, les samouraï, parvenaient, selon les rumeurs, à se comprendre au travers d'un combat. Il voulait qu'elle le comprenne à travers un combat de pokémon. On disait souvent qu'une bataille était idiote et dénuée de sens, de réflexion. Pourtant, que ce soit à mains nues, armées, ou grâce aux pokémons, les combattants brandissaient leur détermination, leurs sentiments, leurs idéaux dans un combat. C'était un moyen d'expression, en général brutal, mais qui exprimait des sentiments, donc qui pouvait être compris. Que ce soit par l'opposant ou le spectateur. Des gens se battaient pour être reconnu, D'autres pour protéger. D'autres, pour le plaisir de faire souffrir, de gagner. Tout comme dans la vie il existe mille et une raison de continuer d'exister, les raisons de combattre sont aussi diverses et infinies que les étoiles dans la mer de la voie lactée et l'univers. Les actions valent parfois plus que les mots, c'est pourquoi Atios voulait faire face à Skye et la défier. Pour qu'elle le comprenne d'une façon qui n'ébrécherai pas le masque. De sorte qu'elle puisse en tirer ses conclusions sans l'aide du concerner.

Atios se releva alors, rappelant son Natu dans sa pokéball. Il fit quelques pas en arrière avant de se tenir droit et de façon totalement détendue. Pourtant, son regard imposait une ambiance tendue. Aussi, la présence d'Atios était devenue légèrement pesante, imposante... La tension venait de parcourir la clairière alors que Solochi se plaça devant lui. Son regard s'était fait plein de détermination et d'un sérieux électrique. Il ressemblait à un dragon, noble et titanesque. Il ressemblait à un béhémoth humain désormais. Ses yeux bleus azurés foudroyaient désormais Skye. Pas de façon agressive. Mais d'un regard d'égal à égal qui allait se prouver de quoi ils étaient l'un l'autre capable. Puis, il leva la pokéball de Natu et sur un ton qui n'avait plus rien de doux et de gentil, de moralisateur, il dit alors :

▬ Skye F. Tanner, en tant que dresseur de la ligue d'Alcea Rosea, je te défie dans un match amical selon les règles de l'académie. L'arène de notre affrontement sera cette clairière. Tu auras le droit à tes trois pokémons et moi à mes deux pokémons. Je mets en jeu ce que tu veux. Tu pourras me faire faire ce que tu veux ou me poser la question que tu veux. Bref.. Solochi, tu seras celui qui ouvrira le bal. La stratégie habituelle.

« Skye F. Tanner, en tant que dresseur de la ligue d'Alcea Rosea, je te défie dans un match amical selon les règles de l'académie. »
« ... Waddafuk ? »

La profondeur inégalée de ces paroles résumait on ne peut mieux l'état d'esprit de Skye. Dire qu'elle était surprise aurait été bien trop faible pour décrire le tumulte de pensées qui venait de se créer dans sa petite tête. Elle n'aurait jamais, ô grand jamais, pensé pouvoir se faire défier de la sorte par Atios. Il n'y avait pas eu de confrontation. Ni d'échange froid entre les deux. Juste une question innocente, qui avait fait comme un déclic dans la tête du brun. Une question résonnait néanmoins dans son esprit : que devait-elle faire ? Elle n'avait que deux solutions : décliner poliment l'offre et s'enfuir en courant, comme si de rien n'était, ou alors accepter docilement, malgré le peu d'espoir qu'elle accordait à sa victoire. Elle ne s'était jamais voilée la face quant à sa puissance : elle n'était pas un de ses grandes dresseuses assoiffée de pouvoir qui s'entraînait à tout bout de chance, et savait pertinemment qu'un grosse partie des élèves de l'académie l'aurait écrasé à plat de couture en cas d'affrontement. Et alors ? Elle se fichait pertinemment de devenir la meilleure. Bien que sujette à l'envie d'atteindre des sommets, elle préférait profiter de la vie. S'amuser, se faire des amis, voir ses Pokémon grandir à leur rythme ... N'était-ce pas là les vraies valeurs du dresseur ? C'était du moins ce que pensait Skye, et son esprit cliché au possible. Le seul bémol dans toute cette histoire était son côté naïf et curieux. Ne lui avait-il pas promis de répondre à une question de sa part ? Une personne censée aurait gentiment refusé l'affront pour une telle raison, sentant venir le mensonge et l'arnaque à vingt kilomètres. Mais la curiosité de la Tanner en avait décidé autrement, au plus grand dam du peu de raison qu'elle possédait.

« Ma foi, j'accepte. »

Elle s'empara calmement d'une Pokéball nichée dans son sac et la porta devant son regard, songeuse. Aucun de ses Pokémon n'était capable de faire face à un Solochi. Alors, naturellement, son choix se portait sur le Pokémon auquel elle accordait le plus sa confiance : Ethan, Wattouat de son état. Elle jeta le sphère bicolore en l'air et la rattrape au vol, tandis que son mouton électrique retombait gracieusement sur le sol, fier comme un coq. Il dévisagea Atios avec des yeux ronds et, d'un air bêta, bêla à la vue de Solochi. Allez savoir si ce cri signifiait "Salut !" ou "Va te faire foutre" ; quelques secondes plus tard, l'électrique était assis devant Skye qui, accroupie, lui expliqua rapidement la situation. Enfin elle se releva, et lança un regard assuré au Spiraea, sourire aux lèvres.

« On peut commencer, je pense. »

Ah, les combats de dresseur. Ils avaient un charme. Autant pour les acteurs concernées sur le terrain que pour les spectateurs qui venaient de les voir. Ce n'était pas des combats à mort cependant. On considérait qu'une fois le pokémon adverse incapable de se relever et de continuer de se battre, il avait perdu. Et heureusement d'ailleurs. Imaginez qu'Atios demande à Solochi de s'acharner sur un pokémon au sol pour le tuer ? Non, ça ne collerait pas à son image et vous avez raison. Le combat opposant Atios à Skye était pourtant assez beau à voir. Certes, il était pratiquement unilatéral et cela avait été une véritable hécatombe, puisque Solochi avait encore vaincu à lui seul les pokémon de l'adversaire d'Atios ... Cependant ! Skye avait fait de son mieux, au point où elle tiendrait plus longtemps qu'un professeur avec qui Atios se battrait dans le futur. Il fallait relativiser les choses. Ils ne pouvaient pas tout le temps gagner. Que ce soit la jeune lychnis ou le jeune Spiraea. Le premier round avait été pour le moins expéditif et la jeune brunette avait été plus ou moins découragée par la tournure du combat. Il faut dire que le Solochi avait tiré un rayon explosif sur le pauvre Ethan qui venait sûrement de prendre la rouste de sa vie. L'explosion souffla la pauvre créature après le choc qui tomba inconscient, net. Oui, les pokémons d'Atios étaient semblerait-il, plus entraînés que ceux de la demoiselle aux cheveux courts.

Le second round se déroula pratiquement de la même façon, mais le courageux "Poséïdon" tint bon et parvint à contre-attaquer avec un tir de boue, surprenant le Solochi qui n'avait jamais reçu de contre-attaque de cette trempe. D'ailleurs, mauvaise nouvelle pour lui, la boue ça colle, c'est crade, c'est dégueulasse et ça l'emmerde. Rancunier, sans que son dresseur ne lui ordonne de contre-attaquer, il avait lancé une nouvelle-fois son attaque draconique et avait réglé ce round dans une nouvelle attaque Draco Rage. La clairière était pleine de petits cratères désormais. Le dernier round, le final, opposa la petite Charbonne à Solochi qui perdait de plus en plus son calme. On n'y pouvait rien, c'était dans ses gênes d'être colérique et ce dernier était un exemple pour son espèce en ce qui concernait le calme. Il était toujours très calme et serein ; sauf quand il était trop longtemps en combat. Atios le savait, mais avait décider de laisser son pokémon se rendre compte de lui-même que la colère vous aveugle parfois. Le soleil rendait le Salamèche de Skye un peu plus fort, un temps qui l'avantageait. Et la boue d'Axoloto avait considérablement ralenti son dragon aveugle. Alors forcément, quand on a le feu aux fesses, la colère monte et on vise un peu plus vite histoire que ça s'arrête. Résultats des comptes, colère, le cul en feu (sans jeu de mots s'il vous plaît), ce dernier tira pratiquement en rafale ses draco rage, provoquant deux explosions loin à côté de sa cible qui profitait de l'agitation colérique et enflammée du dragon pour harceler de petites flammèches celui-ci, qui au summum de sa colère explosive reprit son calme pour asséner une nouvelle attaque draco rage sur Charbonne au corps-à-corps, enfermant celle-ci dans un flux d'énergie explosifs et la mettant hors-combats sur le coup et clôturant au passage le match en la faveur du Spiraea. Quand la jeune demoiselle rappela son dernier pokémon, Atios sauta au cou de celle-ci pour la remercier avant de lui dire : ▬ Même si tu devais gagner le combat pour que je te dises quoi que ce soit, tu t'es bien battue et tu m'es quelqu'un de particulièrement agréable, c'est pourquoi je veux bien t'accorder le droit de me poser des questions sur ce que tu veux. Néanmoins , il se peut que je te demande de garder le secret sur certaines informations ... Et soit sûr que si tu parles, je t'en voudrais beaucoup. Il prit une pause, laissant le silence appuyé ses mots alors qu'il fit quelques pas en s'éloignant de la brunette. Il tendait une main à quelqu'un, mais elle avait fait l'effort d'accepter son défi ... Alors il pouvait faire un effort, donc il rajouta en souriant, tout en se retournant : ▬ Je suis certain cependant, que tu sauras faire attention et que tu seras capable de garder mes secrets.

Spoiler:

La défaite faisait parti de ces étapes essentielles qu'un dresseur en quête de renommée devait passer. On observait alors deux cas de figure : le dégonflage de chevilles express, qui consistait à faire rentrer l'individu dans une colère noire et à l'entraîner dans un état de déni totale ; ou alors l'acceptation, où on voyait le perdant relativiser les choses et se lancer dans une phase d'entraînement intensive pour prendre par la suite sa revanche. Skye représentait à merveille le second cas cité : malgré le goût amer que lui laissait la mort immédiate de son très cher Ethan, un sourire flottait sur ses lèvres. Ce sourire qu'elle offrait volontiers aux personnes qu'elle appréciait, dans n'importe quelle circonstance. Elle avait perdu de manière écrasante, et alors ? Cette défaite lui servirait de motivation pour partir s'entraîner dès que l'occasion se présenterait, et elle reviendrait par la suite défier le Spiraea. Pas dans le but de le battre, mais simplement pour lui montrer les efforts qu'elle avait bien pu faire. Ainsi, après que Charbonne — la Tanner avait totalement improvisé le nom, sur ce coup-là — soit revue dans sa Pokéball, elle se laissa tomber sur l'herbe, les bras en croix, et fixa intensément le ciel. Quelle heure était-il ? Le match n'avait pas duré longtemps, il ne devait même pas être quinze heures. Ou pas. A vrai dire, elle n'en savait trop rien. Le ciel est bleu. Les nuages passent. Le soleil brille. Elle s'éloigne de la réalité. Loin d'Atios, qui s'est éloigné ; loin de sa défaite, qu'elle digère pourtant bien ; et loin de cette fichue vérité qui va bientôt lui arriver en pleine face sans qu'elle ne s'en rende compte.

La voix du brun la fit sortir de ses pensées. Et, soyons honnêtes, ses paroles l'étonnèrent à tel point que Skye bondit sur ses pattes et revint en position debout en moins de temps qu'il fallait pour le dire. Elle se mit alors à fixer son interlocuteur avec un air sidéré : le pari ne tenait plus, alors ? Réjouissance. Seul bémol : elle n'avait strictement aucune idée de quelles questions elle pouvait bien lui poser. Il y avait à la fois peu et trop de sujets à aborder : autant dire qu'elle était totalement perdue dans toutes les interrogations qui l'assaillaient. Sa curiosité la poussait à vouloir tout savoir, tandis que sa raison l’incitait à demander le minimum. Elle se rappelait de son portable, de son mensonge, du site qu'il lui avait montré. Et puis il y avait ses paroles doucereuses, qui cherchaient tant à rassurer la brunette dans son temps de trouble. Peut-être était-il simplement gentil, ou alors était-ce l'inverse. Trop d'éléments qui lui tordaient les méninges, entre autre. Finalement, guidée par son instinct, elle s'approcha rapidement d'Atios et enlaça son bras, comme pour le retenir d'une quelconque évasion. Elle souhaitait qu'il la regarde en face, qu'elle puisse lui parler sans détour. Ses yeux marrons se perdirent dans les prunelles outre-mer, tandis que son visage affichait un air ferme qui lui donnait un air incroyablement sérieux.

« Tes secrets seront bien gardés »

Un sourire se dessina sur ses lèvres, cassant ainsi le masque dur qu'elle avait bien pu arborer l'espace de quelques instants. Elle ne prit même plus la peine de réfléchir à ses paroles. Elle resserra son étreinte, comme pour se rassurer de sa présence. Elle s'apprêtait quand même à obtenir des informations top-secrètes sur l'un des élèves les plus mystérieux de l'académie ... N'était-ce pas excitant ? Sentant l'instant fatidique venir, elle troqua la dureté de ses traits pour un air plus grave, quoique doux. C'était Skye, après tout.

« Tout d'abord, je voudrais savoir sur quel site tu traînais, tout à l'heure. Et le véritable lien que tu avais avec ces gens, là, tu sais, tes "amis de Céladopole" ... »

▬ Je l'espère. Surtout pour toi.

Ces mots raisonnèrent avec une force rarement entendue dans la bouche d'Atios. Pourtant, il n'y avait aucune menace dans ses mots. Mais l'avertissement avait réellement entendu. Le jeune homme n'avait pas eu l'air d'un simple étudiant quand il avait dit ça. Il avait eu la prestance de quelqu'un qui en faisait et en savait beaucoup plus qu'il ne le montrait. Une certaine froideur et distance avait pu apparaître quelques secondes. Skye pouvait se poser cette question : "Est-ce que c'était bien la même personne ?". Ou encore "Me regardait-il toujours de cette position si lointaine qu'on ne discernait pas ?". Voir même : "Est-ce que cette personne était la vrai ?". Oui, l'espace de quelques secondes, de quelques mots, Atios avait été beaucoup plus lointain, sérieux. Une facette de sa personnalité qu'il cachait la plupart du temps. Il est plus facile de paraitre normal, il est plus facile d'apparaître comme une personne simple. Même quand on se battait pour la peau d'une peste de chez les Menthae, il était plus facile de cacher son regard plein de morgue et cynique, ennuyé par son environnement et son jugement impitoyable sur tout ce qui l'entourait. Ce regard était parfois méprisant, mais il ne l'était pas sur Skye. Lui, un hypocrite ? Peut-être un peu. Ce n'est pas qu'il cachait ce qu'il pensait vraiment, mais plutôt qu'il sélectionnait et polissait ce qu'il disait pour parvenir au même résultat de façon plus détourné et moins brutale, donc plus facile à accepter pour les autres. Il détestât le geste de la jeune fille.. La partie la plus humaine de lui détestât qu'on colle son bras sur la poitrine d'une fille. Parce qu'il n'aimait pas être proche d'une fille, ça le rendait mal à l'aise comme tout garçon timide de son âge. Mais il ne pouvait pas le montrer, la situation était trop importante pour qu'il puisse se le permettre.

Cette douce sensation s'accentua encore pus plus quand elle resserra l'étreinte sur son bras. Son visage sérieux, dur, cynique, observateur, inaccessible se teinta de rose sur ses joues. Son visage était à la fois extrêmement gêné, avec un peu de colère et de frustration et un détournement du regard digne d'une tsundere, version mâle. Il aurait voulu taper du pied, se dégager de l'étreinte, se remettre dans cette position intouchable qu'il arborait tout le temps, reposer les pieds sur son pilier parmi les étoiles, son panthéon où seul lui siégeait regardant les gens en bas. Mais pour une fois, son humble personne daignait laissait entrevoir cette dimension si éloignée de lui-même que personne ne voyait en général. La question était réellement inutile à poser et pour la première fois, il se demanda si elle n'aurait pas eu mieux à lui demander. C'était de toute façon peu croyable et il n'avait pas forcément menti la dernière fois. Il soupira, l'air toujours un peu frustré, il poussa un profond soupir depuis son nez, avant de la regarder en face, l'air légèrement dédaigneux, celui d'une belle petite tsun-tsun. Finalement, de sa voix forte, mais légèrement hésitante, il proclama : ▬ C'est mon site. Et ce sont biens mes amis. Je suis juste le chef des Dollars. Même si aucun d'entre-eux ne connaît l'identité de celui qui s'occupe du site. Ils ne m'obéissent pas non plus. Enfin, je peux leur demander des services... Et puis, y à des experts en tout, même des hommes d'affaires, des scientifiques. Et les Dollars s'entraident beaucoup. Mais je surveille tout. Même dans les Dollars, il y à des gens un peu spéciaux.

Skye s'était imaginée beaucoup de choses au sujet d'Atios. Tueur en série, riche héritier, mafieux recherché, tout y était passé tant son esprit ne savait où donner de la tête. Et pourtant, l'idée qu'il puisse être un chef de gang ne lui avait effleuré l'esprit tant elle lui paraissait saugrenue. Lorsqu'il lui annonça son statut et les choses qui en coulèrent, elle ne put s'empêcher d'arborer la plus belle tête d'incompréhension de sa vie. Le brun avait son âge, et était à la tête d'un groupe aussi énorme ? Si son air n'avait pas été aussi sérieux, elle n'aurait pas cru la moindre de ses paroles. La surprise lui fit légèrement relâché la pression autour de son bras, sans pour autant le libérer complètement : elle craignait toujours qu'il puisse en profiter pour s'enfuir. Elle tenta de camoufler son air confus en esquissant l'ombre d'un sourire, mais ce dernier n'avait rien de convaincant. Quelque part, le fait que le Spiraea ait ce rang dans un ensemble la confortait sur pas mal de points : elle pouvait comprendre, entre autre, son attachement profond pour son téléphone portable. Mais le reste restait flou : s'il assumait pleinement son poste, pourquoi se couvrait-il d'un tissu de mensonges ? Il devait y avoir autre chose. Autre chose qu'il ne souhaitait dévoiler au premier venu, autre chose qu'il gardait précieusement pour lui. Intérieurement, la petite voix nommait conscience qui sévissait au cœur du bon-sens de la Tanner lui hurlait ses directives : elle ne devait pas en demander plus. A côté de ça, une autre petite voix anonyme, beaucoup plus curieuse que sa voisine, lui chuchotait d'une voix doucereuse de continuer l'affront. Et Skye était naïve, et si curieuse : elle abandonna sèchement son "Jiminy Cricket" personnel et se laissa bercer par sa curiosité.

« Tu m'dis pas tout. »

Adieu sourire, et rebienvenue à la face dure comme la roche. Elle consentit à relâcher le bras d'Atios et engagea quelques pas en arrière, sans détacher ses yeux bruns du visage fin du garçon. Ses canines se plantèrent dans sa lèvre inférieure : de près ou de loin, n'importe qui ayant côtoyé un menteur compulsif pouvait reconnaître en lui un de ces individus. Ses mains se placèrent de part et d'autre de ses hanches, sa tête se pencha légèrement sur le côté ; on y devinait là un manque certain d'assurance, mais surtout une soif énorme de savoir. Elle cogita longtemps sur la manière d'amener sa question. Elle souhaitait y aller en douceur, afin de ne pas trop brusquer le brun. Mais elle ne devait pas passer par quatre chemins non plus, afin de ne pas l'embrouiller. Quoi que, il était intelligent, il pourrait comprendre ... Mais si Skye partait dans ses explications bâtardes, là, il ne le pourrait pas. Pour résumer ? La brune était paumée. Elle savait quoi demander, mais pas comment l'aborder. Peut-être devait-elle se contenter de poser la question à l'état brut, au risque de créer l'incompréhension du côté du garçon ... Elle allait en prendre le risque. Après tout, son estomac commença à gargouiller, et elle mourrait d'envie de retourner à la cafétéria pour se prendre un goûter. Autant en finir le plus vite possible.

« Tu dois avoir mon âge, alors pourquoi t'être lancé dans une telle aventure ? Et surtout, pourquoi continues-tu de te masquer derrière tes mensonges ? »

Elle ne pouvait pas tout lui faire avouer : elle le connaissait à peine, et doutait profondément de la confiance qu'il pouvait bien lui accorder. Mais peut-être pourrait-elle lui venir en aide s'il était en quelconque difficulté, en connaissance de cause ...

Menteur compulsif ? C'était à revoir. Il mentait toujours de façon réfléchie et orchestrée. Ce n'était pas pour couvrir grand-chose en définitive, c'était juste une façon de forcer les gens à regarder dans le sens où il le désirait. Regardons ses actions avec Katerina ou Joyce McQueen : il allait simplement jouer un rôle lui permettant d'arriver à ses fins, de façon étudiée et logique pour que les deux types de personnes ayant un certain profil psychologique prenne le mensonge. Il ne cachait rien. Et si Skye pensait qu'il admettrait le fait qu'il puisse se sentir seul, c'était qu'elle était simplement une très mauvaise psychologue. C'est ce genre de ressenti qui ne s'avoue pas. C'est pour ça qu'il sourit à la question de Skye. Pourquoi se cacher derrière des mensonges ? La question, venant d'un Lychnis était juste absurde. Devait-il lui expliquer comment ce monde est une cascade de jugements et d'apparence qu'il se fallait soigner pour pouvoir réussir ? Devait-il lui rappeler que la discrimination, qu'elle soit raciale, vestimentaire, religieuse ou simplement à Alcea Rosea, que la discrimination sur la maison existe bel et bien entre elles ? Skye était donc trop naïve pour voir ce monde sous son vrai jour, où chacun portait un masque, où chacun vivait en arborant ses propres objectifs et luttant avec les autres pour la fructification de ceux-ci ? Devait-il lui rappeler ce qui arrivait aux gens trop honnête et pas assez débrouillard ? Aux gens qui s'éloignaient des normes et qui étaient incapables de défendre cette irrégularité ? Oui, ce monde cassait et réformait ceux qui déviaient. Le monde, ne tournait-il pas que dans un seul et unique sens ?

Pourquoi être devenu le pseudo-chef d'un groupe autonome et qui était libérée de toute hiérarchie ? L'ennui ? Les responsabilités ? Atios devenait de plus en plus caustique ... Il avait l'impression d'être face à une fille un peu trop naïve en comparaison avec lui, qui cherchait à le comprendre... Il soupira et dit : ▬ Quand ça marche, il est trop tard pour arrêter la machine. En quelques semaines, les cent inscrits se sont multipliés par à peu près trente, tu sais qu'il est trop tard pour l'éteindre. Donc il est de ma responsabilité de surveiller ce site, même si je suis tout seul pour le faire. Je sais aussi que je ne peux pas empêcher tout débordement, mais au moins il ne sera pas dit que je n'aurai pas fait attention. Atios se retourna alors, se libérant de l'étreinte avec une facilité féline avant de faire quelques pas en direction de l'académie. Il était un peu en retard sur sa liste de projets : ▬ Je serais le roi de l'école. C'est à toi de voir si tu me soutiendras ou non dans la réalisation de mon ambition... Sur ce, j'ai à faire dans le lac souterrain. Conclut-il en partant vers les quartiers Spiraea, histoire de préparer un peu son excursion.